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Culture - Publication

Les énigmatiques photos tailladées de Hoda

Dans son ouvrage « Hoda »*, Mahmoud Merjan réécrit un pan de l’histoire de sa grand-mère à partir d’une mystérieuse pile de clichés...

La boîte à biscuits, devenue boîte à photos, d’une grand-mère quelquefois heureuse et quelquefois en colère. Photo DR

C’est l’histoire d’une boîte en fer, a priori commune et banale, qui, dans une vie antérieure, renfermait un « assortiment de biscuits anglais » et que Hoda, la grand-mère paternelle de Mahmoud Merjan, comme bien des grands-mères libanaises, a choisi de recycler en boîte à photos. Rien de surprenant, non plus, à l’idée que le jeune homme, un spécialiste de la documentation à la Fondation arabe pour l’image à Beyrouth, se soit intéressé il y a trois ans de cela au contenu de cette boîte : une pile d’images jaunies par le temps et recelant des bribes de souvenirs de la vie de la dénommée Hoda. Son katb ktéb (mariage) ; elle en randonnée ; elle, chic et apprêtée en robe longue pour un soir de gala ; elle pelotonnée dans le cuir clair d’une berline des années 60; elle, entourée de sa famille lors d’un dimanche estival ; elle et sa maman au bord d’une source d’eau ; elle et son fils quelques mois après sa naissance. Bref, de ces moments doux et fugaces que tout un chacun, à cette époque, avait l’habitude de coucher sur pellicule.

Un geste énigmatique

Sauf que les faits ne s’arrêtent pas là. « Alors que je parcourais, pour les classifier, ces photos que ma grand-mère avait accepté de me donner sans trop de difficulté, je me suis rendu compte que la plupart d’entre elles étaient coupées. Très vite, il m’a semblé clair qu’elle faisait cela pour retirer certaines personnes de ces images », raconte celui pour qui ce geste énigmatique n’a pas tardé à devenir un objet d’étude. Il découvre, dans la foulée, que Hoda s’était échinée à retirer toute trace visuelle de son mari, duquel elle avait divorcé à deux reprises, mais aussi de sa sœur, avec qui elle avait pourtant partagé un appartement jusqu’à son décès, en mars dernier. Ses parents ainsi que son fils (le père de Merjan, donc) restaient systématiquement intouchés. Intouchables? De ce fait, en planchant sur ces failles par lesquelles les photos étaient traversées – des photos tantôt méticuleusement coupées aux ciseaux et tantôt déchirées hâtivement –, en interrogeant les fantômes de ces visages manquants, Mahmoud Merjan se met à imaginer – « faute d’indices, car ma grand-mère refusait, jusqu’à la fin de ses jours, de répondre à mes interrogations » – l’état d’âme dans lequel cette dernière se trouvait alors qu’elle tailladait sa mémoire en papier glacé. De fait, et en examinant les cicatrices du papier, il pouvait en déduire si Hoda avait prémédité son geste ou si celui-ci coïncidait avec un éclat de colère. Et de rajouter, à ce propos : « À l’œil nu, je pouvais sentir le pouvoir libérateur dont était chargée cette action de découpage que ma grand-mère avait entreprise sur chacune des images. »

Un geste photographique

Cela dit, et par-delà la portée strictement psychologique de ce rituel, Merjan se rend compte que sa grand-mère, sans doute inconsciemment et à son insu, avait reconstruit ses images, et donc reconstitué, à sa manière, un volet de sa mémoire personnelle. « Son geste, à première vue simple, se double, à mon avis, d’un geste photographique dans la mesure où ma grand-mère avait réécrit sa propre histoire », dit-il. C’est du fait de ce constat, doublé d’une volonté de décoder les motifs de Hoda, que Mahmoud Merjan décide de lui consacrer un livre éponyme dans lequel il publie chacune des images retrouvées dans cette boîte de biscuits et qu’il décrit comme « un résumé visuel de ce que (s)a grand-mère représente, un mélange de tendresse et de force ». Et dans un effort de conserver l’intimité de ces souvenirs amputés, Merjan choisit de déployer les images sur un fond sombre, comme si elles s’y blottissaient, et dont elles ressortent grâce à une impression en relief, si bien qu’on penserait avoir les originaux sous les yeux. Ainsi, en parcourant cette série de photos arrachées des nimbes des sixties libanaises, en se référant aussi à l’index de la fin, à l’affût d’une clef ou d’un indice, on se retrouve surtout au cœur d’une conversation silencieuse et poignante entre une grand-mère et son petit-fils qui, en fabriquant son histoire, lui offre cet ouvrage comme un beau gage d’humour et d’amour.

*« Hoda » de Mahmoud Merjan, disponible à la galerie Plan Bey, rue d’Arménie, Mar Mikhaël, Beyrouth.

C’est l’histoire d’une boîte en fer, a priori commune et banale, qui, dans une vie antérieure, renfermait un « assortiment de biscuits anglais » et que Hoda, la grand-mère paternelle de Mahmoud Merjan, comme bien des grands-mères libanaises, a choisi de recycler en boîte à photos. Rien de surprenant, non plus, à l’idée que le jeune homme, un spécialiste de la...

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