Des tentes dressées par des organisations à la place Riad el-Solh. Photo Ahmad Azakir
Mardi, au treizième jour de la mobilisation populaire contre le pouvoir, la révolution, née spontanément dans les rues à travers le Liban le 17 octobre, a marqué son premier point avec la démission du gouvernement annoncée par son chef, Saad Hariri. Si les routes ont été débloquées hier et que les écoles et universités doivent rouvrir aujourd’hui, avant les banques demain, la lutte est loin d’être terminée pour tous ceux qui réclament un changement radical dans la classe politique. Dans le cadre de ce soulèvement qui entre donc dans sa seconde phase, un mouvement sans leader ni porte-parole, comment s’organise la société civile qui a élu domicile sur les places et lance déjà des débats sur le visage d’un nouveau Liban ?
Une tournée auprès de certains des principaux acteurs de cette société civile, ONG et partis hors système, permet de déduire que leur organisation reste entourée de flou. Et ce pour deux raisons principales. D’une part, par principe, ces acteurs pensent que cette révolution populaire doit rester sans leadership parce que personne ne peut – ou ne doit – se sentir autorisé de parler au nom des manifestants qui se sont spontanément mobilisés dans tout le pays. D’autre part, les activistes peuvent craindre qu’une identification d’éventuels meneurs du mouvement ne devienne une carte aux mains du pouvoir, utilisée potentiellement en vue de réprimer leurs actions, de limiter leur marge de manœuvre et de lancer des accusations de récupération du mouvement.
Un militant souhaitant garder l’anonymat rappelle, à cet effet, les campagnes de dénigrement lancées « mystérieusement » contre les jeunes qui avaient formé des collectifs comme « Vous puez », lors du grand mouvement de protestation contre la crise des déchets en 2015. « L’histoire des révolutions dans le monde montre bien que les tentatives d’organisation sont des causes d’échec, estime Vicky Zwein, membre du bureau politique du parti Sabaa. Une manifestation s’organise, mais une révolution a sa part de spontanéité populaire dont il faut tenir compte. »
« Il ne faut surtout pas désigner de représentants de cette révolution, ce serait répondre aux vœux des autorités qui ne demandent que cela depuis le début », renchérit une source du mouvement « Citoyens et citoyennes dans un État ». Une autre source rejoint cette idée : « Le pouvoir en place cherche un interlocuteur pour instaurer un dialogue et se sortir du pétrin dans lequel il est plongé. Lui donner satisfaction à un moment où la rue est en position de force serait une concession. »
(Lire aussi : Le vent mauvais qui les emporte, l'impression de Fifi ABOU DIB)
Au moins deux comités de coordination
Toutefois, au-delà des principes à suivre et des craintes exprimées, la société civile et les partis qui soutiennent ce soulèvement depuis le début peuvent-ils se permettre de rester si discrets alors même que la révolution a passé un cap et qu’il devient indispensable de porter les revendications de la rue afin d’empêcher que le mouvement ne s’étiole ? « Ce flou est la faiblesse de la révolution et sa force », résume un activiste. Il n’empêche que des tentatives d’organisation se profilent, « même si elles n’en sont qu’aux prémices », selon un autre.
Les informations disponibles font état de plus d’un comité de coordination en cours de formation. L’un d’eux comprend le parti Sabaa, les militaires retraités et des dizaines d’autres groupes, beaucoup d’entre eux régionaux. Vicky Zwein explique que les revendications de ces groupes sont assez homogènes : exiger un gouvernement restreint avec des prérogatives extraordinaires et des élections législatives anticipées afin de renouveler la classe politique. Toutefois, les groupes gardent leurs spécificités dans le cadre de cette initiative qui vise surtout à la coordination sur le terrain sans qu’il n’y ait de prétention de parler au nom de quiconque, assure-t-elle. Une coordination d’autant plus nécessaire que, selon elle, « les tentatives du pouvoir de faire imploser les mouvements ou de susciter les divisions se poursuivent ».
Selon des informations récoltées auprès de sources anonymes, un autre comité de coordination serait en cours de formation. Des réunions « positives » se sont déjà tenues en plus d’un endroit, selon une de ces sources. Celle-ci insiste sur la nécessité de la coordination « en vue d’éviter deux écueils, la démobilisation de la rue et sa division ». Elle permet ainsi « d’apporter aux jeunes les réponses qu’ils demandent et de canaliser l’énergie de la rue loin des slogans qui peuvent être source de discorde », poursuit-elle.
Toujours selon cette source, une coordination entre plusieurs organisations pouvant mobiliser et être le moteur d’un éventuel retour à la rue semble donc inévitable, notamment entre les régions. « Et s’il se forme plus d’un comité de coordination, ce n’est pas grave étant donné qu’il existe plusieurs sensibilités dans la rue, dit-elle, d’autant plus que les coalitions pouvant résulter de ces initiatives pourront se coordonner entre elles. »
Dans ce contexte, s’il fallait qualifier, aujourd’hui, un état des lieux de la représentation de la révolution à ce niveau, c’est le terme d’ « insaisissable » qui viendrait à l’esprit. Jusqu’à nouvel ordre du moins.
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commentaires (9)
Je parle de georgy schwartz dit Georges soros.
FRIK-A-FRAK
20 h 07, le 31 octobre 2019