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Le vent mauvais qui les emporte

Une amie m’a dit : « Ils nous ont enfin vus. » Qu’ils sont terribles, ces mots. C’est donc cela qu’il fallait ? Brûler des pneus, fermer des routes, casser du mobilier urbain, paralyser le pays, scander des insultes, avaler du gaz lacrymogène et des fumées toxiques, se confronter avec l’armée et les forces de l’ordre, s’exposer à des attaques brutales de 5es colonnes mobilisées au pied levé, piétiner sous l’orage, dormir sur l’asphalte, joindre le Nord au Sud de proche en proche, de corps en corps, pour qu’enfin, dans cette classe politique dédaigneuse de la base, une oreille se dresse, un sourcil se lève, une narine frémisse ? Sans doute. Sans cela, au sein de l’équipe au pouvoir, on ronronnait encore, un peu trop sûr de son invulnérabilité et de la soumission des siens, un peu trop confiant de pouvoir échapper à la colère populaire en s’en lavant les mains. Jusqu’à quand croyaient-ils cacher au peuple libanais, sous un tapis d’illusions qui ne suffit plus à la couvrir, l’énormité du désastre résultant, au choix ou en vrac, de leur incompétence, de leur ignorance, de leur impuissance et de leur corruption ? Quand la révolution dit « tous », elle entend bien qu’ils ne sont pas tous coupables, mais qu’aucun n’est innocent. Mais tous sont bien responsables tant qu’ils occupent des postes de responsabilité. Ailleurs, on démissionnerait pour bien moins pour sauver l’honneur ou se démarquer d’un ensemble malfaisant dont, par principe, on choisirait de ne pas couvrir les crimes. Trop tard pour ceux qui ont quitté le navire en réponse à la foule en colère ; ils auraient dû le faire avant. Qu’il est mauvais pour les assis, ce vent d’automne !

Le Liban est failli, nul besoin de grappiller des points auprès des agences de notation pour se donner l’illusion du contraire : la dégradation est visible à l’œil nu, et le montant de la dette publique est invraisemblable. Tant pis ; ce n’est pas la première fois que notre économie s’effondre, et il nous faut faire face. Tant mieux ; en cette année du centenaire de la création du Grand Liban, le moment est enfin venu de remettre à plat les dysfonctionnements qui empêchent ce pays d’aller de l’avant. Et puisque aucun responsable ne s’estime responsable et que chacun jette la faute sur l’autre, sur les réfugiés, sur Israël, la Syrie, l’Arabie saoudite, l’Iran ou sur pas-de-chance, il est temps de changer le staff. Le bon sens dicte qu’il est absurde de confier le sauvetage d’une entreprise à ceux qui ont tout fait pour la couler. Que serait-ce d’un pays ? La révolution, et c’est ainsi que l’on se doit d’appeler désormais l’implacable colère du peuple et sa détermination à prendre son destin en main, n’est pas une foule aveugle. Regarder les protestataires comme une masse confuse d’affamés conduirait à de graves erreurs d’estimation. La révolution, donc, est éminemment transversale et laïque, et c’est ce qui la rend hautement inflammable : faites taire les vétérans de l’armée, vous entendrez les étudiants. Faites taire les étudiants, vous entendrez les intellectuels, les artistes, les salariés, ce qu’il reste de la classe moyenne, le fameux million qui vit en dessous du seuil de la pauvreté, les chefs d’entreprise, les agriculteurs, les enseignants, le personnel hospitalier…

On a beau maîtriser l’art de l’entourloupe, on ne peut escamoter tout un peuple qui accuse. Tout au plus peut-on essayer de neutraliser le mouvement en mobilisant des foules adverses puisées dans les réservoirs partisans, sachant que la foule du zaïm ne manifeste jamais pour ses droits, mais pour défendre son guide. On peut aussi lancer contre des protestataires qui comptent parmi les plus dignes, les plus brillants, les plus généreux, les plus créatifs et les moins violents de la planète d’abjects « mostiks » et forts à bras armés de bâtons, jurant leur fidélité à leur chef, jetant les filles à terre, giflant les garçons, hurlant leur testostérone. On peut donner l’armée, la pousser contre sa vocation de protéger les citoyens, et c’est un crève-cœur. On peut aussi, désespérément mais très efficacement tant le traumatisme est encore vivace, agiter les fantômes de 1975 en superposant les situations. Tout cela n’est que gesticulations car, au moment du bilan, seuls compteront les changements nécessaires qui auront été concédés aux forces vives du pays, uniques planches de salut. Issues de l’ère numérique, celles-ci n’ont que faire du confessionnalisme et des vieilles casseroles, il leur faut de l’efficacité. Elles savent pertinemment que chaque service offert par un édile est payé avec leurs propres deniers et soustrait de leur avenir. Elles savent qu’à condition d’entreprendre, elles peuvent compter sur le soutien d’une diaspora dont elles sont l’unique garantie de retour. Dès à présent, au travail !

Une amie m’a dit : « Ils nous ont enfin vus. » Qu’ils sont terribles, ces mots. C’est donc cela qu’il fallait ? Brûler des pneus, fermer des routes, casser du mobilier urbain, paralyser le pays, scander des insultes, avaler du gaz lacrymogène et des fumées toxiques, se confronter avec l’armée et les forces de l’ordre, s’exposer à des attaques brutales de 5es...

commentaires (10)

Il n'y a que la vérité qui blesse ! Irène Saïd

Irene Said

21 h 56, le 31 octobre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (10)

  • Il n'y a que la vérité qui blesse ! Irène Saïd

    Irene Said

    21 h 56, le 31 octobre 2019

  • On ne pouvait mieux décrire cette révolution ! En espérant que dans ce rapport de force ceux qui récupéreront cette révolution adhéreront à notre idéal de société libre, laïque et démocratique. le Liban n'a jamais été autant uni, cette contestation transcende tous les clivages confessionnels, ethniques, générationnels, régionaux, et au même moment il est apparu deux visions opposées, une cassure nette entre un Liban des lumières face à un Liban de l'obscurantisme et du fascisme!

    OMAIS Ziyad

    14 h 11, le 31 octobre 2019

  • Le soutien d’une diaspora dont elles(les forces vives du pays) sont l’unique garantie de retour. Tout est dit! Mais aussi l’Armee , la Grande Muette que de nombreux gouvernements etrangers ont tente de soutenir en l’aidant financierement. Elle seule pourra faire la difference dans la suite de la Revolution.

    Marie-Hélène

    13 h 30, le 31 octobre 2019

  • Excellent article BRAVO Mm Abou Dib La question que je me pose depuis un certain temps: Le President affirme avoir envoye une multitude de lois au parlement tous au sujet des revendication du peuple et tous dorment dans les tirroirs et qu'il n'a aucun pouvoir pour les faire sortir du tirroir ALORS SOIT IL EST L'ALLIE DE BERRY ET HN ET IL A AVEC LE CPL LA MAJORITE DES VOIX DONC IL ENVOIE CES LOIS SCIEMENT POUR DORMIR DANS LES TIRROIRS MAIS POUR POUVOIR DIRE J'AI FAIT MAIS LES AUTRES ONT BLOQUE Je regrette M la President vous avez une majorite a la chambre et si vous vouliez vraiment passer ces lois il suffisait d'obliger VOTRE ALLIE M BERRY a le faire ou casser cette alliance et s'allier a d'autres et vous auriez eu aussi la majorite VOUS NE L'AVEZ PAS FAIT DONC VOUS AVEZ ETE IMPUISSANT A FAIRE CE EN QUOI VOUS CROYEZ SINCEREMENT ET CE POUR LEQUEL LE PEUPLE VOUS A CHOISI AVEC SINCERITE ET FOI EN VOUS VOUS AVEZ DONC ECHOUE EN TROIS ANS ET VOUS AVEZ TRAHI VOS FIDELES JE REGRETTE A NOUVEAU DE LE DIRE VOUS RESTEZ LE PLUS RESPONSABLE DANS CETTE REVOLUTION CAR VOUS N'AVEZ RIEN FAIT. VOUS VOULIEZ D'ABORD GARDER VOTRE SIEGE ET CELUI DE VOTRE GENDRE A QUI VOUS AVEZ CONFIE EN FAIT LA GESTION SI NULE DE L'ETAT. PEUT ETRE VOUS AVEZ EU PEUR VOUS AUSSI DE FINIR COMME BACHIR GEMAYEL , RAFIC HARRIRI, GHASSAN TUENI, ET TANT D'AUTRES M SAAD HARRIRI A MIS L'INTERET DU LIBAN AVANT SA PROPRE VIE QUAND ALLEZ VOUS LE FAIRE VOUS AUSSI?

    LA VERITE

    12 h 50, le 31 octobre 2019

  • Les révolutions, toutes les révolutions réussies sont celles qui ont vu des têtes tombées sous les guillotines, les corps pendus aux potences ou criblés de balle au peloton d'exécution. Au liban on a dansé, on a chanté c'est la vie la la la la la.... Nous avons eu plus de Bob Dylan que de Robespierre, aau-delàdes insinuations dont Fifi a la maîtrise, je tiens à rappeler que la seule communauté qui a osé s'attaquer à ses élus en incendiant des permanences ou des domiciles privés, c'est celle que Fifi accuse à tort de contre-révolution. Quelle autre communauté l'a fait ? A moins que fifi veuille nous convaincre que les fossoyeurs de l'économie libanaise n'existait pas chez les " autres" , toujours et de toute façon au au-dessus de tout soupçon. C'était déjà pas que fifi m'impressionnait par ses articles de nostalgie larmoyante , mais dans celui ci elle a dépassé les limites de la tolérance de non déception.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 48, le 31 octobre 2019

  • LE PEUPLE S,EST PRONONCE. KELLON YE3NE KELLON. AUX ABRUTIS CORROMPUS ET INCOMPETENTS DE SE CONFORMER AUX ORDRES DU PEUPLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 53, le 31 octobre 2019

  • Excellente description et analyse de la situation qui prévaut et de la Révolution qui doit suivre son chemin.

    Tabet Karim

    09 h 09, le 31 octobre 2019

  • Quel texte formidable , acéré et percutant , lucide et limpide de vérité et de colère , et tellement porteur d'espoir , que cette " impression " de Ms. Fifi Abou Dib , cette écriture qui vous saisit d'admiration ! L'heure n'est plus à la résignation , le peuple libanais est décidé à se prendre en main et à changer son destin jusqu'ici foulé aux pieds par les gangs de mafieux avides et arrogants , vils , , que son combat vienne à bout des mauvais génies du passé ! Bravo et En Avant , peuple courageux !

    Anne Da Costa

    08 h 25, le 31 octobre 2019

  • Au travail avec plus d'enthousiasme pour cette nouvelle jeunesse qui depuis 1975 parait plus sérieuse . Bonne chance .

    Antoine Sabbagha

    07 h 53, le 31 octobre 2019

  • Très bel article Fifi... Vous avez mis le doigt sur la phrase clé: « la révolution est éminemment transversale et laïque et c’est ce qui la rend hautement inflammable ». Sauf que de tous les scénarios envisagés, la solution ne viendra pas facilement et c’est sans compter l’état d’ esprit et la frustration de tous ces accusés pris de court, qui commencent à tergiverser, à vouloir poser leurs conditions, à menacer, ce qui mènera à une radicalisation plus marquée de la rue, et à faire pourrir encore pour un certain temps la situation, avec même tentation d’autoritarisme et de violence... Donc, plein d’inconnues et de surprises et il faudrait s’attendre à beaucoup de grincements de dents et de temps perdu avant de voir la lumière au bout du tunnel! Sauf que le mouvement est irréversible, unique dans l’ histoire du Liban et ne pourra aboutir qu'à de meilleurs jours: c’est la seule certitude pour l’instant!

    Saliba Nouhad

    04 h 27, le 31 octobre 2019

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