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Campus - Contestation

Les étudiants contestataires ont la parole

Ils viennent de toutes les universités, de toutes les disciplines. Ils s’expliquent sur leurs motivations.

Dima Ayache s’adressant aux jeunes manifestants. Crédit photo : Lara Sabra

Dima Ayache, 22 ans, étudiante en architecture à l’AUB

« Nous sommes descendus dans la rue pour clamer : assez, c’est assez. Nés dans les années 90, nous n’avons pas eu notre mot à dire dans l’élection de ces politiciens corrompus qui ont mis en place les politiques économiques et financières. Pourtant, nous subissons les effets de leur sectarisme et de leur incompétence, et nous souffrons de la répression continue de nos contestations. Nous sommes descendus dans la rue parce que nous voulons récupérer notre avenir, un avenir qu’ils nous ont volé.

Nous sommes descendus dans la rue pour demander des comptes à tous les dirigeants sexistes, racistes et sectaires qui se cachent derrière des arguments confessionnels pour expliquer leurs politiques oppressives des groupes marginalisés de ce pays ; comme par exemple leur opposition au droit des femmes de transmettre leur nationalité à leurs époux et à leurs enfants, sous prétexte que les maris sont palestiniens ou syriens, et que cela déstabiliserait l’équilibre sectaire.

Par ailleurs, en tant qu’étudiants, nous sommes confrontés à des augmentations récurrentes des frais de scolarité, et cela depuis un long moment déjà ; cela a significativement alourdi notre fardeau financier et celui de nos familles. Et avec l’accroissement continu du taux de chômage, l’éducation devient de moins en moins un investissement rentable sur le marché du travail. Nous nous révoltons donc en premier car nous ne pouvons plus payer notre éducation. Nous sommes descendus dans la rue pour réclamer l’abandon de la dollarisation des droits de scolarité adoptée par certaines universités privées. De plus, nous demandons la mise en place d’un contrat financier étudiant garantissant la protection des universitaires qui ont déjà entamé leurs études de toute augmentation des frais de scolarité.

Nous demandons également une restructuration de la dette nationale pour que les banques paient leur juste part. Nous voulons mettre fin aux politiques d’austérité qui consistent à imposer un impôt forfaitaire régressif aux citoyens ; nous voulons un système fiscal progressif. Ces politiques d’austérité se font au détriment des plus pauvres du pays. Nous voulons un système fiscal et une administration publique qui s’articulent autour de politiques justes visant à rendre ceux qui bénéficient du système économique redevables et à leur faire payer leur juste part. Nous réclamons une augmentation de la taxation sur les biens immobiliers non habités, les banques commerciales et ceux qui détiennent plus de 100 millions de dollars en dépôts bancaires.

En tant que membres du club séculier de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), nous avons manifesté ces deux derniers jours aux côtés d’autres clubs laïcs dans d’autres universités comme Notre-Dame de Louaizé (NDU), l’Université Saint-Joseph (USJ) et l’Université libanaise (UL), et cela dans le cadre de Mada, qui est un réseau de groupes étudiants laïcs au Liban. Dimanche, nous avons conduit environ 500 étudiants sur la place des Martyrs, manifestant tous ensemble en tant que mouvement étudiant uni.

Au cours des deux dernières années, le gouvernement a arrêté des personnes simplement pour s’être exprimées sur leurs pages personnelles sur les médias sociaux. Nous estimons qu’il est de notre devoir, en tant que jeunes, de nous débarrasser de ce système politique obsolète contre lequel nous protestons depuis des années. De nombreux manifestants ont été arrêtés, passés à tabac et renvoyés chez eux avec des contusions. »



Salem Dabliz, 21 ans, gestion, USJ : « Nous ne voulons plus d’un système qui ne nous ressemble plus »

« Après des décennies de frustrations, les Libanais se sont révoltés. Depuis le premier jour, je suis descendu dans la rue. Avec des amis et des milliers de mes compatriotes, je passe quotidiennement au moins 10 heures debout dans les rassemblements. Nous manifestons aussi car nous avons ras le bol de devoir voyager loin de nos familles pour nous construire un avenir, pour travailler et faire carrière.

Je ne suis affilié à aucun parti politique. Aucun leader ne me représente. Et vu l’alignement extrême de certaines personnes de mon entourage, je ne m’intéressais pas à la politique.

Les manifestations montrent notre attachement à notre patrie et notre refus d’un système qui ne nous ressemble plus. Nous nous considérons comme des Libanais et non plus comme des chrétiens, des sunnites ou des chiites. Nous refusons les idéologies extrêmes qui nous empêchent de considérer l’autre comme un frère de la patrie.

Dans les manifestations, les gens expriment leur rejet du statu quo de manière différente : en chantant, en dansant ou en scandant des slogans. Mais cela ne change rien au fait que nous nous révoltons ensemble.

Nous poursuivrons les manifestations jusqu’à la démission de toutes les personnes au pouvoir, et nous espérons que notre avenir sera celui que nous avons toujours voulu avoir. »



Adiba Suleiman, 21 ans, master en études sur le genre, Université Lumière Lyon 2 : « Je me révolte aujourd’hui contre la corruption, le sectarisme et toutes les discriminations qu’ils produisent. »

« Citoyenne enfin, à 21 ans. Il y a deux ans, une question nous a été posée à l’USJ : vous sentez-vous citoyens/citoyennes ? Étant donné que je venais d’atterrir au Liban après avoir passé dix-huit ans en Arabie saoudite, ma réponse fut négative. Je me sentais déconnectée de tout ce qui se passait au Liban. Je ne pouvais pas voter, je n’avais jamais adhéré à un parti politique, mes parents non plus. Mais on apprend avec le temps, on observe et on choisit. Aujourd’hui, ma citoyenneté se fonde en partie sur ma conviction que nous méritons mieux que ce que le système politique actuel nous offre. J’ai rapidement compris l’absurdité de la situation politique. Des discours vides, sectaires et hypocrites, des promesses de changements recyclées. En tant que femme, j’aimerais ajouter quelques mots : on voit certaines mères privées de leurs enfants, incapables de leur transmettre leur nationalité. Il n’est plus possible que nous continuions à être considérées comme des citoyennes de seconde classe, que nous soyons sans cesse renvoyées à notre sexe sur des plateaux télévisés ou sous-représentées au pouvoir. Tous ces problèmes s’ajoutent aux défauts économiques structurels, au développement du chômage de masse et de la corruption qui l’accompagne. De mon côté, je vis pour le moment hors du Liban pour terminer mes études en France. Dimanche dernier, nous avons décidé, Libanais et Libanaises de Lyon, d’apporter notre soutien aux manifestants à travers un rassemblement solidaire place Bellecour. C’était pour nous une manière de nous joindre aux efforts de nos compatriotes en envoyant un message clair à la classe politique actuelle : vous ne pourrez jamais nous arracher au Liban et à ce qui nous unit tous. Je me révolte aujourd’hui contre la corruption, le sectarisme et toutes les discriminations qu’ils produisent. »


(Lire aussi : « Cher professeur, désolé (...), j’essaie de faire tomber le gouvernement »)


Christophe Harb, 19 ans, journalisme, UL : « Rejoignez les rangs des manifestants, ils représentent le seul espoir du Liban »

« Le Liban assiste aujourd’hui, pour la première fois de son histoire moderne, à des manifestations sans divisions sectaires ni partis politiques, sous la bannière du Liban. Personnellement, depuis le premier jour, je me suis joint aux manifestants à Riad el-Solh, Jal el-Dib et Jounieh.

Ces protestations ont restitué au peuple son pouvoir car les politiciens sont au service du peuple, et non le contraire. Elles ont réveillé mon patriotisme et fortifié mon sentiment d’appartenance au Liban. Elles m’ont redonné espoir que le peuple libanais pourrait ramener le Liban à ce qu’il était avant la guerre : la Suisse de l’Orient.

Aux jeunes qui ne se sentent pas concernés par ce mouvement de protestations, je dis : ces manifestations visent à sauvegarder votre avenir, notre avenir à tous. Ne voulez-vous pas rester au Liban ? Ne voulez-vous pas vivre dignement et occuper des emplois sûrs et rentables dans un pays qui respecte la dignité de tous ses citoyens, jeunes et moins jeunes ?

Quant aux personnes qui continuent de suivre aveuglément leurs leaders, je demande : n’avez-vous pas assez de l’humiliation, de la faim et de l’oppression que vous vivez dans votre pays ? Les leaders, pour servir leurs propres intérêts, ont divisé les gens, ils ont séparé le frère de son frère, l’ami de son ami… Rejoignez les rangs des manifestants, ils représentent le seul espoir du Liban. »


Christopher Arida, 25 ans, master en génie civil et environnemental, NDU : « De nombreux citoyens dans toutes les régions du Liban ont nettoyé les rues »

« Les protestations des citoyens libanais, dans toutes les régions du pays, appelant à la révolte, leur ont permis de s’exprimer librement sur tous les problèmes politiques et économiques dont ils souffrent. J’applaudis tous les hommes et les femmes qui participent à ces manifestations pacifiques. Et je suis très fier de la persistance du peuple, protestant dans la rue depuis plusieurs jours. J’espère que toutes leurs revendications pour un pays meilleur seront exaucées.

Les gens qui réclament une vie et un avenir meilleurs pour leurs enfants ne semblent pas conscients qu’un environnement sain est fondamental pour un avenir meilleur. Face aux rues jonchées d’ordures, j’ai décidé de me joindre au chapitre étudiant de la Air and Waste Management Association et Ecovibes à la NDU pour nettoyer les rues à Zouk Mosbeh et au centre-ville de Beyrouth. Cette activité nous a permis, d’un côté, de sensibiliser les gens sur l’importance de garder les rues propres et, de l’autre, de donner une image positive du Liban.

Ces activités de nettoyage comprennent aussi le tri des déchets que nous ramassons dans deux sacs : le bleu pour tous les produits recyclables et le noir pour les autres types de déchets. En outre, nous avons appris ce processus de tri à de nombreux manifestants qui ont rejoint avec enthousiasme le groupe.

Sensibiliser les gens sur l’importance de garder les rues propres et du tri des déchets est beaucoup plus important que le nettoyage effectué, notre objectif étant d’avoir un impact positif permanent sur les manifestants et non pas de nettoyer ponctuellement. De plus, notre unité de travail à la NDU s’occupe de la durabilité non seulement des déchets, mais également de la conservation de l’eau, de l’empreinte carbone, de l’utilisation des sols, etc.

Je tiens à rappeler que de nombreux citoyens dans toutes les régions du Liban ont nettoyé les rues. Cela constitue l’un des temps forts du mouvement de protestation et une indication positive sur l’avenir de la gestion des déchets solides au Liban. »


Alissar Sibaï, 20 ans, biochimie/sciences de la vie et de la terre, USJ, campus du Liban-Nord : « Voir mon peuple finalement unifié me redonne espoir »

« La corruption et le manque de responsabilité des politiciens ont poussé les gens à sortir dans la rue. Voir mon peuple finalement unifié derrière le drapeau libanais, manifester de la manière la plus civilisée que le monde n’ait connue, me redonne espoir en mon pays. Je suis certainement avec la révolution pour la cause qu’elle défend.

Cela étant dit, j’ai peur qu’elle n’expose le Liban à de grands risques. Toutes les manifestations commencent paisibles. Si une cinquième colonne s’infiltre parmi les manifestants et sème le chaos, provoquant des pertes humaines, qu’adviendra-t-il ? Et si, au contraire, les manifestants obtiennent la démission du gouvernement et qu’un vide s’installe... Un pays sans gouvernement perd sa place sur l’échiquier international, les répercussions sur son économie se feront rapidement sentir. Le meilleur pour moi est de garder le gouvernement actuel, mais d’observer de près sa performance, histoire de gagner du temps pour relever le pays en profitant de l’argent du CEDRE. »


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Dima Ayache, 22 ans, étudiante en architecture à l’AUB « Nous sommes descendus dans la rue pour clamer : assez, c’est assez. Nés dans les années 90, nous n’avons pas eu notre mot à dire dans l’élection de ces politiciens corrompus qui ont mis en place les politiques économiques et financières. Pourtant, nous subissons les effets de leur sectarisme et de leur...

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