La police anti-émeutes tirant du gaz lacrymogène sur les manifestants, vendredi soir, dans le centre-ville de Beyrouth. REUTERS/Mohamed Azakir
Le discours du Premier ministre Saad Hariri, qui a accordé trois jours à ses partenaires au gouvernement pour soutenir les réformes avant de décider s’il démissionnait, a tout sauf calmé les manifestants rassemblés par milliers dans le centre-ville de Beyrouth, qui veulent régler leurs comptes avec la classe politique.
Alors que le rassemblement était pacifique et dans une atmosphère bon enfant tout au long de la journée de vendredi, l’atmosphère a commencé à se tendre en soirée, et des échauffourées en éclaté place Riad el-Solh entre manifestants et forces de l'ordre, qui ont eu recours au gaz lacrymogène. Un policier anti-émeutes a réussi à échapper aux protestataires qui l'ont battu. D'autres manifestants pacifistes se sont interposés entre les forces de l'ordre et des protestataires qui voulaient s'en prendre aux policiers. Des manifestants ont en outre commencé à brûler des pneus.
Même si peu de manifestants sont parvenus à écouter le discours du Premier ministre, ceux qui en ont été informés ont rejeté en bloc ses propos et assuré qu’ils poursuivaient les protestations.
"Je me donne un très court délai : soit nos partenaires au sein du gouvernement donnent des réponses qui nous convainquent et convainquent ceux qui manifestent dans la rue et la communauté internationale, soit j'agirai de manière différente (...) Ce délai est de 72h", a dit le chef du gouvernement, lors d'un discours adressé aux Libanais et prononcé en direct du Grand Sérail, peu après 18h30.
"Hariri veut 72 heures, alors nous allons rester ici 72 heures", a réagi un manifestant qui campait près du Grand sérail. "Hariri veut 72 heures, mais que compte-t-il faire en 72 heures ?. On lui a donné 15 ans, depuis 2005, mais qu'a-t-il fait?", déclarait Fares, un étudiant à l’AUB. Hicham, quant à lui, assurait qu'il ne comptait pas donner une minute de plus au Premier ministre et à son gouvernement. "Aujourd’hui, c’est la journée du peuple. Ce n’est pas la journée des ministres et on ne veut pas les écouter", affirmait, pour sa part, Léa, 23 ans.
En soirée, l'atmosphère, qui virait aux dures échauffourées, tranchait avec celle de la journée, mais n'étaient ps sans rappeler celle de jeudi soir, premier jour de ce mouvement de colère qui touche tout le Liban.
Terezia, employée d’ambassade originaire de Bécharré, raconte en quittant le centre-ville que des casseurs sont arrivés et ont commis des actes de vandalisme. "Mais les manifestants sont largement pacifiques, assure-t-elle. Je reviendrai manifester demain, bien sûr. Il faut faire chuter le gouvernement, organiser de nouvelles élections, récupérer l’argent pillé…". Venu depuis jeudi soir participer aux manifestations, Hussein Taleb, originaire du Akkar, affirme pour sa part s’être évanoui en raison du gaz lacrymogène. "Nous sommes des manifestants pacifiques, nous allons continuer le mouvement de protestation", assure-t-il.
"Révolution !"
Les manifestants avaient afflué en masse en fin d'après-midi vers le centre-ville. "Révolution ! Révolution !" , répétait la foule qui grossissait à vue d’œil. Les manifestants, dont beaucoup de jeunes, ont à plusieurs reprises entonné en chœur l’hymne national.
La foule était hétéroclite, des familles de la classe moyenne côtoyant des ouvriers ou des étudiants, certains brandissant le drapeau national. Affluant par toutes les rues menant au centre-ville, en dépit de la fermeture de plusieurs artères à la circulation, les manifestants qui se sont regroupés sur la place des Martyrs, épicentre des manifestations de la nuit précédente, se disaient déterminés à faire chuter la classe dirigeante et exprimaient leur ras-le-bol.
La plupart des magasins étaient fermés et les rues encore jonchées de bris de verre et de détritus, témoignant des dérapages de la nuit précédente.
Chrétiens, musulmans, femmes voilées, personnes prônant un État laïc... ils étaient côte à côte, unis dans leur demande de régler ses comptes à la classe politique et d’avoir droit à une vie digne.
Hiba, 31 ans, assistante médicale, est venue avec son mari Salim et leur fils Omar. "Nous avons à peine les moyens de mettre notre fils de cinq ans à l’école, de payer le loyer, de payer l’électricité, et ils veulent nous imposer de nouvelles taxes ? Nous sommes complètement à genoux. Je ne peux pas penser à avoir un deuxième enfant, comment payer le lait, les couches et plus tard la scolarité ?". Son mari, âgé de 45 ans, enchaîne "Il n’y a pas de travail, je suis opticien, mais je n’arrive à rien vendre".
Nabiha, la cinquantaine, qui tient une petite boutique à Beyrouth, avoue que c’est la première fois qu’elle prend part à une manifestation : "Je vends pour à peine mille livres par jour. J’ai des enfants, ma fille veut aller à l’université mais il faut un piston. Nous sommes chiites, mais il faut un piston pour les chiites pour entrer à l’Université libanaise, qui devrait normalement être ouverte à tout le monde". Elle indique que sa fille n’a par conséquent pas pu entrer à l’Université, faute d’être affiliée à un leader politique. Et elle s’inquiète pour sa santé : "si je tombe malade, il faudra payer le médecin, il va demander un scanner, des radios, et je n’ai pas de quoi payer. Je n’en peux plus".
A ses côtés, Nadim, 35 ans, chef d’une entreprise de distribution alimentaire, est venu avec sa famille et leur chien, un golden retriever, Boris. "Je suis venu pour dire assez, il faut qu’ils partent. Les choses peut-être changeront. On ne peut plus accepter. D’une année à l’autre, les choses empirent et la dette grandit. Un enfant de huit ans saurait trouver de meilleures solutions qu’eux".
Myrna, une avocate d’Achrafieh, n’a pour sa part raté aucune manifestation depuis 2005. "Ce n’est pas en restant à la maison qu’on va changer les choses. J’ai dit à tous mes amis de descendre", dit-elle.
Les manifestants veulent garder le caractère pacifique du rassemblement. Un groupe de femmes élégantes s’approche même de quelques voyous qui tentent de mettre le feu à des pneus et les forcent à rebrousser chemin.
(En images : à travers le Liban, un ras-le-bol généralisé pour le deuxième jour consécutif)
Quelque chose a changé
Des écoliers se sont mobilisés sur WhatsApp avant de diriger vers le centre-ville, comme Habib, 16 ans, qui n’en est pas à sa première manifestation. "Mes amis et moi avons dû emprunter des ruelles intérieures en taxi car l’autoroute de Hazmieh est bloquée par les manifestants pour arriver à Achrafieh et puis nous avons continué à pied", dit-il. "Nous aimons le Liban et ça nous fait de la peine de devoir postuler dans des universités ailleurs et passer notre vie à l’étranger car rien ne fonctionne dans ce pays ». "Nous voulons un pays plus sûr pour nous et si nous n’agissons pas maintenant, ce serait trop tard après, car c’est notre génération qui héritera des dettes et des problèmes socio-économiques, et nous n’en voulons pas", insiste-t-il. Et il laisse éclater sa colère contre les dirigeants : "Qu’ils s’en aillent ! Qu’ils quittent le pouvoir et que d’autres personnes viennent diriger ce pays en toute transparence sans le voler et dégoûter sa jeunesse".
"Je n’étais pas là hier soir, mais j’ai senti que quelque chose bougeait vraiment dans le pays", déclare Dalia Kowatly, étudiante à l’USJ, devant la mosquée al-Amine. "Je ne suis pas affiliée politiquement, mais je veux des solutions, aujourd’hui, notamment à la crise économique que traverse le Liban", ajoute la jeune fille, qui brandit un drapeau libanais.
En matinée, les manifestants n’étaient encore que quelques centaines, lorsqu’ils ont marché vers le Grand sérail, avant de poursuivre leur chemin dans une atmosphère bon enfant vers la rue Hamra, aux cris de "le peuple veut la chute du régime"..
"Moi j'ai atteint le fond du désespoir. Mais quand ma fille a dit qu'elle voulait manifester, j'ai décidé de venir avec elle", dit Anita Sader, une enseignante. « Nous voulons du sang neuf, du sang propre, on a en marre de cette classe dirigeante", ajoute-elle, en chemin depuis le centre-ville vers Hamra. Autour d'elle, des manifestants interpellent les gens qui les regardent depuis leurs balcons : "Descendez, joignez-vous à nous !"
"Je travaille pour une entreprise qui installe des ascenseurs, je n’ai pas touché mon salaire depuis six mois", explique Hadi, 39 ans, et père de deux enfants. "Je n’ai pas encore pu inscrire ma fille à l’école. Les responsables libanais nous privent de nos droits les plus élémentaires. L’électricité, l’eau. Ils ont joué la carte confessionnelle pour nous diviser. Mais cette fois, ils ne nous diviseront pas", poursuit-il alors qu'il marche dans Hamra, avec la colonne de manifestants.
Un homme aux bras tatoués, qui ne veut pas donner son nom, dit être resté dans le centre-ville toute la nuit : "Nous n’en pouvons plus. Nous payons trois factures d’eau, deux factures d’électricité. Ils ont détruit l’enseignement public, le secteur public de la santé. Nous ne pouvons même pas avoir recours à la justice, les juges sont nommés par les dirigeants politiques. Alors que nous reste-t-il, à part manifester ?"
En tête des manifestants, un homme aux cheveux blancs, Abou Ali, galvanise les marcheurs avec des slogans que les protestataires répètent en chœur. "Révolution populaire ! Nous ne voulons plus de confessionnalisme ! Pars, pars, pars ! Ton mandat a affamé tout le monde !". "Ce sont tous des voleurs, c’est un État de voleurs !" Professeur d’arabe à la retraite, il avoue inventer les slogans au fur et à mesure.
Jeudi soir, le catalyseur des manifestations avait été l’annonce, dans la matinée, d’une taxe déguisée sur l’utilisation des applications de messagerie sur base du principe du VoIP (Voice over Internet Protocol), un service notamment disponible sur WhatsApp. Dans un contexte marqué par une montée des tensions, à travers le pays, sur fond d'aggravation de la situation économique, avec des craintes d'une dévaluation et d'une pénurie de dollars sur les marchés de change, cette annonce a mis le feu aux poudres. L’annonce, en soirée, par le ministre des Télécoms, Mohammed Choucair, de l’annulation de cette taxe, n’a pas suffi à calmer les esprits.
Ces dernières semaines la tension est montée au Liban sur fond d'aggravation de la situation économique, avec des craintes d'une dévaluation et d'une pénurie de dollars sur les marchés de change. Le ras-le-bol vise la classe politique, accusée de corruption et d'affairisme dans un pays aux infrastructures en déliquescence et où les citoyens se plaignent de la cherté de la vie.
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On apprend ce matin que l'Arabie S. a commencé le rapatriement des ses citoyens, pourquoi elle ne rapatrie pas aussi ses sympathisants? et que l'Iran et la Syrie fassent de même, pour permettre au Liban une bonne renaissance, avec peut-être une centaine de millier de personne en moins. Il faut laisser le Liban indépendant au pro-libanais et souhaiter bonne chance aux "pro-les autres" en les encourageant d'immigrer chez les autres.
11 h 58, le 19 octobre 2019