La séance de dialogue entre Gebran Bassil et des jeunes du courant du Futur a été annulée, hier, par Saad Hariri. Archives Reuters
Le Premier ministre, Saad Hariri, a décidé hier soir d’annuler la séance de dialogue entre le chef du Courant patriotique libre (CPL), le ministre Gebran Bassil, et des jeunes partisans du courant du Futur qui était prévue mercredi prochain. Ce dialogue devait, selon la lecture d’une source proche de la formation haririenne, d’une part introniser Gebran Bassil comme parrain du dialogue sunnito-chrétien, et rapprocher de l’autre le leader du courant du Futur de l’alliance des minorités chiito-chrétienne, représentée par le CPL et le Hezbollah.
La décision de Saad Hariri d’annuler ce dialogue peut être interprétée comme le signe d’une tension avec le CPL, qui avait commencé à se faire ressentir la semaine dernière et qui s’est cristallisée sur la crise économique et financière.
La mise en œuvre des résolutions de la Conférence de Paris d’avril 2018 attend que le cabinet entérine les réformes requises pour débloquer les fonds promis par les donateurs. Parmi celles-ci, deux réformes sont fondamentales mais ne font toujours pas l’unanimité au sein du gouvernement, du moins au niveau de la forme sous laquelle elles devraient être appliquées : la création des autorités de contrôle du secteur de l’énergie et la hausse des tarifs d’électricité parallèlement à une hausse progressive de la production.
La rencontre entre le président français, Emmanuel Macron, et Saad Hariri, il y a deux semaines à Paris, a confirmé l’appui de la France à la relance économique du pays. Elle a surtout été l’occasion de revoir les raisons du blocage des deux réformes requises par le programme CEDRE. Parmi ces raisons, une réticence du ministre Gebran Bassil – auquel est confié le dossier de l’Énergie – à les mettre en œuvre incessamment.
La hausse des tarifs est ouvertement contestée par le Hezbollah et le ministre Bassil en a suggéré le report jusqu’à la mi-2020, en dépit des conseils du diplomate français chargé de la mise en œuvre du programme CEDRE, Pierre Duquesne, lors de son passage au Liban en septembre dernier, de ne pas repousser la hausse des tarifs en vue de conserver la confiance des donateurs.
Pour ce qui est des autorités de contrôle, la création d’une autorité de régulation indépendante, devant se charger de l’organisation et du contrôle du secteur de l’électricité, fait l’objet d’une loi existante, non mise en œuvre, que le chef de l’État a pressé le président du Parlement d’amender pour en proroger l’application.
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La rencontre du président français avec son homologue libanais Michel Aoun, en marge des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, a permis de rebondir sur l’entretien que le premier avait eu avec Saad Hariri à Paris deux semaines auparavant. De source politique indépendante proche du 14 Mars, Emmanuel Macron aurait échangé avec son interlocuteur libanais sur les raisons du blocage des réformes, sans en écarter la part de responsabilité du CPL. Cela n’a pas été sans éveiller le doute chez Michel Aoun sur ce que Saad Hariri aurait pu lui reprocher auprès du président français.
Résultat : au lendemain de la rencontre de New York, lors de la session parlementaire de mardi dernier, des députés du CPL ont attaqué le Premier ministre sur le terrain de ses prérogatives constitutionnelles, allant jusqu’à remettre en cause d’une manière inédite la qualité du Premier ministre à représenter le gouvernement. Deux jours plus tard, depuis le Canada, Gebran Bassil a tancé « ceux qui conspirent contre le pays et son économie nationale », tandis que Michel Aoun, avant même d’atterrir à Beyrouth, a fait savoir que le pays et son économie nationale « font face à des pressions extérieures ».
À la suite des manifestations dans la rue, une prise de position du chef de l’État selon laquelle « la solution serait dans la démission du cabinet » a circulé. Attribuée à des sources proches du palais présidentiel, elle a été démentie par Baabda, où Saad Hariri ne s’est pas rendu depuis le retour du président.
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Sachant que les fonds du programme CEDRE sont nécessaires pour faire face au péril économique que traverse le pays – selon des lectures politique et économique concordantes – l’absence de consensus au sein du cabinet autour des réformes requises met Saad Hariri dans une situation contradictoire : tout en étant prêt à mettre en œuvre ces réformes, il pourrait être le premier à devoir assumer la responsabilité de leur non-adoption, de l’échec des résolutions de la Conférence de Paris et de la crise économique conséquente. Si bien que se pose la question de savoir si, in fine, il ne serait pas utile pour lui de se prémunir d’une crise devant laquelle il est à court de moyens. Les manifestations de dimanche dernier, et les casseurs qui en ont surgi – affiliés aux Brigades de la résistance, selon deux sources politique et sécuritaire – ont rappelé que le risque d’une déstabilisation est réel, avec le concours du Hezbollah.
Cela sans compter que le prononcé du verdict dans le procès de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri contre les quatre accusés affiliés au parti chiite est attendu avant la fin de l’année (voire dans les deux prochaines semaines, selon des informations de presse).
L’option se poserait, y compris dans certaines chancelleries, d’une démission de Saad Hariri du gouvernement, afin de se prémunir au niveau politique en se dédouanant de toute responsabilité du fait des autres, à savoir le CPL et le Hezbollah. L’annulation du dialogue avec Gebran Bassil est-elle un premier pas dans ce sens ou seulement une mesure préventive avant le verdict du TSL ?
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commentaires (13)
Tout va mal politiquement et socialement et le comble nos chefs de tribus ne trouvent plus un terrain d'entente .
Antoine Sabbagha
19 h 36, le 02 octobre 2019