Les images sont impressionnantes : des véhicules en feu, des corps ensanglantés gisant à même le sol et des soldats qui rendent les armes. Dans une vidéo publiée dimanche dernier, les houthis ont revendiqué une attaque à la frontière de la province saoudienne de Najran contre les forces de la coalition menée par Riyad et Abou Dhabi au Yémen. L’Orient-Le Jour n’a pas pu authentifier les images de manière indépendante.
La veille, un porte-parole des rebelles avait annoncé la mort de centaines de soldats et la capture de 2 000 hommes de troupes de la coalition, dont des mercenaires étrangers et « de nombreux officiers et soldats de l’armée saoudienne ». Il a également fait part de la saisie de plusieurs « centaines » de blindés, alors que l’opération baptisée « Victoire grâce à Dieu » aurait débuté le 25 août et duré trois jours. Le flou persiste toutefois quant à la date et la localisation exactes de l’attaque. De nombreux observateurs ont fait part de leurs doutes quant à la capacité des houthis de mener une telle opération. Alimentant un peu plus la confusion, le porte-parole de la coalition, le colonel Turki al-Maliki, a dénoncé devant des journalistes lundi « une campagne de presse trompeuse » des houthis qui « ne vaut même pas une réaction ». Il a également affirmé que la coalition avait déjoué un attentat des houthis fin août à Kitaf, dans la province de Saada, dans le nord-ouest du Yémen, le long de la frontière avec l’Arabie saoudite. Pour Fatima Alasrar, chercheuse au Middle East Institute, « il y a pléthore de raisons pour lesquelles les houthis ont décidé de divulguer cette information maintenant, et d’induire tout le monde en erreur en faisant croire que cela s’est déroulé en Arabie saoudite et non au Yémen ». « Les houthis tentent de contrôler leur image d’acteur indépendant de l’Iran », estime-t-elle avant d’ajouter que « l’ironie est que l’Iran pourrait leur avoir conseillé de publier cette propagande pour renforcer l’image des rebelles ».
(Lire aussi : Un an après l’affaire Khashoggi, MBS presque seul au monde)
Contexte agité
Selon l’Agence France Presse, un responsable yéménite a confirmé lundi sous couvert d’anonymat qu’environ 200 combattants des forces loyalistes ont été tués et plus de 1 000 capturés lors de l’attaque. Il a également souligné que le nombre de prisonniers est « inférieur » à celui annoncé par les houthis, estimant qu’il était « proche de 1 300 soldats », incluant 280 blessés. « Le gouvernement yéménite a eu recours à une milice et non à l’armée régulière », rapporte Fatima Alasrar. « Selon les rumeurs, le commandant n’aurait eu aucune expérience en stratégie. Certains ont soupçonné qu’il avait collaboré avec les houthis, bien que cela puisse sembler être tiré par les cheveux ; cela s’est produit à de nombreuses reprises par le passé », note-t-elle.
« Quelle que soit la crédibilité exacte des revendications des houthis, cette histoire rappelle que l’Arabie saoudite fait face à une menace directement à sa frontière », observe pour L’OLJ Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy. « Nous entendons le plus souvent parler de drones et de missiles lancés par les houthis sur le territoire saoudien, mais il y a aussi un jeu au sol à la frontière », poursuit-elle.
L’annonce intervient dans un contexte déjà bien agité entre les houthis et la coalition. À la mi-septembre, les rebelles ont revendiqué une attaque contre les installations pétrolières de la compagnie nationale saoudienne Aramco dans la région. Qualifiant l’opération d’« acte de guerre », Riyad et Washington ont estimé que Téhéran, leur bête noire dans la région, en est à l’origine. La coalition lancée en 2015 par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a pour objectif d’appuyer les forces du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi tandis que les houthis sont soutenus par l’Iran. « L’offensive, même si elle n’est que partiellement vraie, montre que l’Arabie saoudite a largement sous-estimé les défis posés par la guerre au Yémen », estime pour L’OLJ Elisabeth Kendall, chercheuse en études arabes et islamiques au Pembroke College de l’Université d’Oxford. « Les houthis semblent être plus compétents sur le plan militaire qu’au début de la guerre et leurs attaques et leurs armes sont devenues plus sophistiquées », poursuit-elle.
(Lire aussi : Les houthis annoncent la capture de « milliers » de soldats saoudiens à Najran)
Sympathie internationale
Suite à la montée des tensions, le président du conseil politique suprême des houthis, Mahdi al-Mashat, avait annoncé le 20 septembre sur la chaîne des rebelles al-Massirah leur décision de « cesser de viser le territoire saoudien avec des drones militaires, des missiles balistiques et toute autre forme d’armes ». « Nous attendons une action réciproque », avait-il ajouté tout en se réservant le droit de répondre aux Saoudiens en l’absence de réaction de leur part. Vendredi dernier, Riyad acceptait de mettre en place un cessez-le-feu limité à quatre zones, dont la capitale yéménite Sanaa, tenue par les rebelles depuis 2014. Une décision qui était intervenue quelques semaines après la visite de David Schenker, le secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, lors de laquelle il avait indiqué la tenue de pourparlers entre Washington et les rebelles.
Une situation délicate à laquelle s’est greffé un nouveau dossier avec la libération hier de 290 prisonniers par les houthis, annoncée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Un nombre contredit par la déclaration de Abdel Kader Mortaza, un responsable des rebelles, peu avant celle du CICR, expliquant qu’il s’agissait d’« une initiative unilatérale consistant à libérer 350 prisonniers, dont 3 Saoudiens ». L’opération renvoie à l’accord de Stockholm conclu en décembre 2018 et selon lequel aurait été prévu un échange de plusieurs milliers de prisonniers. La mesure n’avait pas été appliquée jusqu’à maintenant. « L’interprétation bienveillante est que les houthis souhaitent progresser vers la voie de la paix et ont libéré ces détenus pour renforcer la confiance (entre les parties) parallèlement à l’engagement pris de mettre fin aux attaques contre les Saoudiens », indique Elisabeth Kendall. « Cependant, la vérité est probablement plus compliquée. Cela pourrait être perçu comme une tentative des houthis d’acquérir l’empathie morale et la sympathie de la communauté internationale, surtout après leurs affirmations douteuses d’avoir mené les attaques de drones contre Saudi Aramco à la mi-septembre », ajoute-t-elle.
Pour mémoire
Nombreux civils tués dans un double raid aérien au Yémen
MBS et le retour de flammes, le commentaire d'Anthony SAMRANI
commentaires (8)
Est ce que les houthis son capables tous seuls ? Les Ayattollahs sont la pour une fois je suis pour Trump
Eleni Caridopoulou
17 h 36, le 02 octobre 2019