L’Irak a-t-il été la plate-forme de lancement de l’attaque, samedi, contre deux des plus importantes installations pétrolières saoudiennes ? Si l’origine des tirs, revendiqués par les houthis yéménites, n’est toujours pas claire – Washington pointant l’Iran du doigt, alors qu’hier soir, le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdel Aziz ben Salmane, déclarait que son pays « ne sait pas qui est derrière » ces attaques –, une des thèses avancées est celle d’un lancement à partir de l’Irak. Le territoire irakien a récemment subi plusieurs attaques directes de la part de l’aviation israélienne. La dernière en date a eu lieu le 20 août, lorsque l’État hébreu avait mené au moins une frappe aérienne visant « un dépôt d’armes » qui, selon des responsables cités par le New York Times à ce moment-là, « serait utilisé par l’Iran pour acheminer des armes en Syrie ». Israël élargissait alors officiellement son champ d’action contre l’Iran, au-delà de la Syrie où des opérations israéliennes contre des bases ou combattants iraniens, ou dépendants de l’Iran, avaient été recensées.
L’Irak est ainsi devenu une « base avancée » de l’Iran afin de lui permettre de mener des attaques dans la région. Les milices pro-iraniennes qui y sont présentes – aux côtés du corps des gardiens de la révolution (pasdaran) – ont acquis un poids conséquent jusqu’à devenir l’un des piliers stratégiques régionaux de la République islamique, tant du point de vue militaire que politique.
Analystes et experts de la question sont d’accord pour dire que ce poids trouve principalement ses origines dans la faiblesse du gouvernement irakien, mais aussi dans la corruption endémique qui sévit dans le pays. « Les milices n’ont pas beaucoup d’argent, pas beaucoup d’armes, pas beaucoup d’entraînement, mais elles reçoivent un soutien financier, politique et militaire de la part de l’Iran mais aussi par le réseau de corruption en place », explique à L’Orient-Le jour Michael Knights, spécialiste des questions militaires et sécuritaires en Irak, en Iran et dans les États du Golfe au Washington Institute. Il ajoute que si ces milices peuvent sembler faibles militairement, elles apparaissent plus fortes comparées au gouvernement irakien faible et corrompu. « Les milices perçoivent parfois l’Iran comme un protecteur de l’État irakien », ajoute de son côté Renad Mansour, spécialiste de l’Irak au Think Tank Chatham House, expliquant par exemple que « l’Iran a été vu comme le premier acteur de la défense de l’Irak lors de “l’éveil” du groupe État islamique dans le pays en 2014 en leur fournissant un soutien actif ».
(Pour mémoire : Le Premier ministre irakien espère intégrer pour de bon les milices chiites pro-Téhéran)
Légitimité
« Lors de la mobilisation pour la lutte contre l’EI, beaucoup d’Irakiens, venant en particulier du Sud, avaient rejoint les groupes paramilitaires pro-iraniens plutôt que les forces régulières de sécurité en raison des échecs cuisants qu’elles avaient subis auparavant », rappelle M. Mansour. « Ces groupes étaient dès lors perçus comme étant plus efficaces pour défendre le pays et leurs victoires contre les jihadistes de l’EI leur ont donné une légitimité et un poids. » Ce poids est non seulement militaire, mais aussi politique. En témoigne leur arrivée en deuxième position lors des élections législatives de mai 2018, derrière le leader religieux chiite Moqtada Sadr.
Une grande partie de ces groupes paramilitaires pro-iraniens sont rassemblés au sein des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) « qui comptent près de 63 000 membres », selon M. Knights. Il existe aussi « d’autres milices pro-iraniennes, comme l’organisation Badr dont on ne connaît pas vraiment les effectifs, mais dont on sait que certains sont intégrés dans les forces de sécurité irakiennes (armée et services de renseignements) et aussi dans le Hachd al-Chaabi », ajoute-t-il. Selon un article du Washington Institute publié en août dernier, chaque milice aurait une zone d’opération particulière. Le Hachd al-Chaabi serait principalement actif dans l’Ouest et le Nord irakiens – le long de la frontière avec la Syrie – mais aussi dans le centre et l’est du pays, tandis que la milice Badr opérerait dans les territoires situés au nord et l’est de Bagdad. Parmi les plus radicales de ces milices pro-iraniennes, on retrouve par exemple la Harakat Hezbollah al-Noujaba (HHN), qui est un petit groupe, mais qui « est le plus radical et fera tout ce que l’Iran lui demande comme attaquer les bases américaines, le Golan ou encore Israël », explique M. Knights, ajoutant que le groupe Kataëb Hezbollah est aussi radical et (encore) plus puissant que HHN. Concernant leurs arsenaux militaires, « les milices ont, par exemple, accès à des drones, mais elles servent davantage d’hôtes pour les forces iraniennes en Irak. Elles leur donnent des bases et ont plutôt un rôle d’assistant dans la chaîne logistique iranienne », explique M. Knights.
(Lire aussi : L’alliance américano-saoudienne dans la tourmente)
Plusieurs fronts
Ces milices semblent toutefois, selon les analystes, soumises à un certain « contrôle » de la part de la République islamique. « Les pasdaran aiment avoir une multitude de groupes ou de suppléants en Irak », poursuit Michael Knights, expliquant cependant que « lorsqu’un groupe devient trop puissant, comme l’organisation Badr ou le mouvement de Moqtada Sadr, l’Iran le casse pour pouvoir agir avec de plus petits groupes et des commandants individuels qui ont moins de ressources et sont dès lors plus dépendants de Téhéran ». Les liens entre les chefs de milices et l’Iran remontent d’ailleurs parfois à plusieurs années, voire à la fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Mais aujourd’hui, « l’Iran achète leur loyauté », explique l’expert. Le pouvoir de ces milices ne se limite pas seulement à l’Irak. L’Iran compte sur une multitude d’autres groupes supplétifs dans la région qui représentent, en cas de guerre ouverte avec les États-Unis, un atout indispensable. Ils lui permettent d’activer plusieurs fronts à la fois – en Irak, en Syrie, au Yémen ou encore à Gaza – mais également de contrebalancer la faiblesse de son armée régulière (Artesh). L’armement conventionnel iranien n’égalant pas celui des Américains, Téhéran possède ainsi la capacité de répondre de manière asymétrique à une éventuelle attaque.
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12 h 36, le 19 septembre 2019