Les principaux dirigeants et responsables politiques du pays se sont réunis hier au palais présidentiel de Baabda afin de prendre acte de la gravité de la situation économique et financière que traverse le pays, avec une croissance qui devrait être nulle, voire négative selon certains observateurs, et un modèle financier qui inquiète les principales agences de notation financière. Le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et le président de l’Association des banques du Liban Salim Sfeir étaient également présents.
« Nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de décréter l’état d’urgence économique et sur la création d’une commission d’urgence que le président Michel Aoun peut convoquer lorsqu’il le souhaite », a déclaré le Premier ministre, Saad Hariri, lors d’une conférence de presse organisée à l’issue de cette réunion qui a démarré peu après 15h pour s’achever environ cinq heures plus tard. Les participants ont en outre adopté une série de mesures sélectionnées parmi une série présentée par la présidence et dont beaucoup ont déjà été évoquées à plusieurs reprises depuis la formation du gouvernement Hariri III au début de l’année.
Un manque de nouveauté assumé, l’une des « mesures » énumérées par le Premier ministre consistant à appliquer les engagements pris lors d’une précédente réunion organisée à Baabda le 8 août avec plusieurs hauts responsables pour marquer la fin des tensions politiques liées à l’incident de Qabr Chmoun (caza de Aley).
Quant aux autres mesures, elles consistent à : respecter les objectifs du budget 2019 ; adopter la loi de finances pour 2020 dans les délais constitutionnels et visant un ratio déficit/PIB inférieur à 7 % ; maintenir la stabilité de la livre, qui est arrimée au dollar depuis 1997 ; plafonner le déficit d’Électricité du Liban à 1 500 milliards de livres en 2020 (1 milliard de dollars, alors que le fournisseur d’État a absorbé près de deux milliards d’avances du Trésor en 2018) ; geler les recrutements dans la fonction publique ; ou encore réformer les retraites. « Certaines mesures datent même des débats sur le budget 2019 voté le 19 juillet », relève une source proche du Parlement.
« Le même air depuis 4 ans »
Les propositions ayant fait consensus ont enfin été rassemblées dans un communiqué dont le contenu a été dévoilé par le Premier ministre après la réunion. Si aucun participant n’a rejeté le texte, le chef des Kataëb Samy Gemayel a indiqué aux journalistes en sortant de la réunion que sa formation politique s’était « abstenue ». Regrettant que des « mesures plus radicales et audacieuses » n’aient pas été prises « au vu du danger de la situation », évoquant notamment l’arrêt du gaspillage des deniers publics, M. Gemayel a estimé que les dirigeants libanais « jouaient le même air depuis quatre ans », sans que cela ne fasse évoluer les choses. Il s’est en outre une nouvelle fois prononcé pour la mise en place d’un gouvernement « d’experts » capable de mener à bien les réformes nécessaires pour redresser le pays, dont l’endettement s’est élevé à 85,73 milliards de dollars à fin juin (+3,2 % et environ 150 % du PIB).
Le chef des Kataëb a enfin indiqué que tous les participants à la réunion avaient rejeté toute nouvelle hausse d’impôt dans la liste des mesures à prendre, alors que la liste des propositions débattues, publiée plus tard dans la soirée, en prévoyait plusieurs, dont : la mise en place d’une TVA à 15 % pour certains produits ; d’une taxe de 500 livres (0,33 dollars) sur les paquets de cigarettes ; ou encore d’une nouvelle hausse d’un point, à 11 %, du taux d’imposition sur les revenus des intérêts bancaires, alors que ces derniers ont été augmentés à deux reprises depuis 2017. Le gel des rémunérations dans la fonction publique, qui figurait également dans la liste des propositions initiales, n’a pas été retenu.
« Il n’est pas absurde de craindre que ces propositions seront à un moment ou un autre une nouvelle fois envisagées par le gouvernement dans la mesure où, comme l’a dit le Premier ministre pendant son intervention, la marge de manœuvre du pays est de plus en plus réduite », a encore analysé la source précitée.
Tout le spectre politique
Il reste que la réunion d’hier, présidée comme celle d’août par M. Aoun, a été marquée par la présence importante de dirigeants représentant l’ensemble du spectre politique du pays. Outre le président du Parlement et chef du mouvement Amal Nabih Berry, et du Premier ministre, lui-même chef du courant du Futur, figuraient notamment plusieurs ministres CPL dont celui des Affaires étrangères Gebran Bassil et celui de l’Économie et du Commerce, Mansour Bteich, le ministre des Finances (Amal) qui a présenté un rapport de 200 pages sur la situation du pays pendant la réunion, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah Mohammad Raad, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, le chef des Forces libanaises Samir Geagea, le chef des Kataëb Samy Gemayel, le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane, le chef des Marada Sleiman Frangié, le chef du parti arménien Tachnag Hagop Pakradounian, l’ancien Premier ministre Nagib Mikati (Futur), le député Jihad el-Samad pour la Rencontre consultative (députés sunnites pro-8 Mars) et le député Assaad Hardane pour le Parti syrien national social. Une source à l’ABL a enfin indiqué de son côté que Salim Sfeir s’était rendu à la réunion avec « certaines idées à défendre », sachant à l’avance que le gros des propositions serait soumis par la présidence pour être débattu pendant la réunion.
« Le fait que l’ensemble de ces forces aient été présentes est beaucoup plus significatif que les mesures elles-mêmes dévoilées à l’issue de la réunion et qui ne pourront de toute façon par être mises en œuvre sans décision du gouvernement ou du Parlement, surtout après les récentes tensions, que ce soit dans la Montagne au début de l’été ou à la frontière avec Israël le week-end dernier », a expliqué à L’Orient-Le Jour la source proche du Parlement.
« Nous n’allons pas nous mentir : la situation économique du pays est difficile et nécessite que le gouvernement soit diligent (…) après ce qui s’est passé avec Fitch et Standard & Poor’s (S&P) », a notamment jugé le Premier ministre lors de son intervention, faisant référence aux mises à jour, publiées simultanément le 23 août au soir, des évaluations respectives des deux agences de notation américaines. Fitch avait alors dégradé la notation souveraine du pays d’un cran, à « CCC », tandis que S&P l’a maintenue à « B- », avec perspective « négative », en laissant six mois de sursis aux dirigeants libanais.
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Comme mesure "radicale" je suggère le gel des salaires et privilèges des députés et ministres (y compris voitures de fonction, gardes du corps, etc.) jusqu'à ce que la situation économique du pays soit réglée. D'abord ça y contribura directement, et puis ça les fera peut-être enfin sentir l'urgence de la chose...
14 h 56, le 03 septembre 2019