La commémoration de la disparition il y a 41 ans en Libye du chef spirituel de la communauté chiite, l’imam Moussa Sadr, est intervenue cette année dans un contexte explosif reflétant une situation aux antipodes du projet politique dont le leader chiite s’était fait le porte-étendard dans les années 70 du siècle dernier.
Ceux qui ont eu le privilège de le connaître, notamment à l’occasion de ses formidables prêches du vendredi saint à l’église Saint-Louis des capucins, à Bab Idriss, se souviennent encore de son exceptionnel charisme, voire d’une sorte de magnétisme qu’il dégageait par son regard perçant (sans jeu de mots). Sans compter la profondeur de sa pensée, son ouverture d’esprit et son engagement soutenu pour défendre haut et fort, et de manière ferme, les droits de sa communauté.
Il est, de ce fait, indéniable que si Moussa Sadr n’avait pas été écarté de la scène libanaise en 1978, le paysage politique chiite n’aurait certainement pas suivi la même trajectoire que celle qui l’a caractérisé depuis les années 80 et il n’aurait pas pu prendre la forme que l’on connaît aujourd’hui. Cette disparition restera sans doute pendant longtemps l’une des grandes énigmes de la guerre libanaise, encore que nombre d’observateurs chiites avertis se lancent dans d’audacieuses conclusions en soulevant la traditionnelle question « à qui profite le crime ».
Fort de son charisme, de sa détermination et d’une vision claire de l’objectif à atteindre, Moussa Sadr avait réussi à galvaniser les masses chiites, à les mobiliser autour de lui, parvenant ainsi à leur redonner leur dignité et à imposer progressivement leur présence sur l’échiquier politique local.
Mais plus important encore, son projet était fondamentalement « libaniste », axé sur la défense des droits de sa communauté en tant que composante fondamentale du tissu social libanais, loin de toute allégeance aveugle à une puissance étrangère. En ce sens, il avait adopté une attitude critique à l’égard du système iranien de gouvernement fondé sur un pouvoir absolu accordé aux mollahs (le vilayet el-fakih), comme le prônait l’ayatollah Khomeyni avant même son retour d’exil. Moussa Sadr a été ainsi un véritable précurseur et un réel avant-gardiste en la matière. Son successeur à la tête de la communauté, le cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine, adoptera bien plus tard sa vision du rôle et de la place des chiites dans la région, exhortant ces derniers (dans son testament politique) à ne pas adhérer à un projet chiite transnational, et à lutter plutôt pour la défense de leurs intérêts et de leurs droits au sein de la société dans laquelle ils vivent. En clair, il leur demandait de se comporter en Libanais, Irakiens, Bahreïnis, etc., en s’abstenant d’être ancrés à un projet transnational, en l’occurrence iranien. Ce courant de pensée ne se limite d’ailleurs pas au cas spécifique du Liban, puisqu’il se manifeste aussi, entre autres, en Irak même sous la houlette du chef spirituel de la communauté chiite irakienne, l’ayatollah Sistani.
Dans un tel contexte, force est de relever que depuis les années 80, la communauté chiite libanaise a été bétonnée par le Hezbollah – grâce à une aide iranienne massive – et a été entraînée, sous le fallacieux slogan de « résistance », sur la voie d’une allégeance absolue au guide suprême de la révolution iranienne (le wali el-fakih) pour toutes les questions d’ordre stratégique, dont notamment la décision de guerre et de paix. Soit l’antithèse du projet prôné par l’imam Sadr et le cheikh Chamseddine.
L’imam disparu n’aurait jamais pu concevoir que les jeunes de sa communauté soient transformés en boucliers humains et en bras armés pour sauver de la débâcle un régime voisin ou pour servir les desseins et les visées expansionnistes d’une lointaine puissance régionale. Il n’aurait certainement pas agréé que tout le pays et l’ensemble des Libanais soient pris en otage pour défendre le projet hégémonique d’un pouvoir autocratique étranger qui s’emploie à déstabiliser nombre de pays du monde arabe en vue de l’exportation de la révolution islamique iranienne. Le vide – d’une portée stratégique – laissé sur ce plan par Moussa Sadr a été relevé, fort à propos, par le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, lors du discours qu’il a prononcé dimanche à l’issue de la traditionnelle messe annuelle en mémoire des martyrs de la résistance libanaise.
Dans un discours prononcé le week-end dernier à l’occasion du lancement des cérémonies pour célébrer la proclamation du Grand Liban, le président Michel Aoun a souligné que « nul n’a le droit de violer le territoire libanais comme bon lui semble ». Certes… Mais le chef de l’État a omis d’ajouter que de la même façon, nul parti ne devrait avoir le droit de prendre le Liban en otage et de s’arroger le privilège de monopoliser la décision de guerre et de paix en bafouant l’autorité souveraine de l’État central, du Conseil des ministres… et de la présidence de la République.
commentaires (6)
C'est une belle prosopopée qui n'aurait servi qu'à faire parler les morts. Autres temps autres mœurs. Mr Touma vous ne connaissaient point les chiites, please don't pretend.
FRIK-A-FRAK
14 h 24, le 03 septembre 2019