Ankara n’est pas prêt à renoncer à Idleb. Du moins pas entièrement. Au lendemain de l’entrée des troupes progouvernementales syriennes dans la ville-clé de Khan Cheikhoun, située entre les villes de Hama et d’Idleb, et tristement connue pour avoir été le théâtre de massacres et d’un bombardement chimique, la Turquie a réagi en procédant hier à l’envoi d’un convoi militaire « chargé de munitions » dans le sud de cette zone.
Ce convoi serait composé d’environ cinquante véhicules militaires, dont des blindés, des transporteurs de troupes et au moins cinq chars, et destiné à ravitailler le poste d’observation turc dans la ville de Morek, mis en place dans le cadre des pourparlers d’Astana, à 11 km de Khan Cheikhoun. Ce transfert d’armes turques intervient au moment où la province d’Idleb, composée de trois millions d’habitants et dominée par le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, ex-branche syrienne d’el-Qaëda), est depuis près de quatre mois le théâtre d’une intense campagne de bombardements et de pilonnages par les forces progouvernementales, assistées depuis les airs par l’aviation russe. Près de 600 000 personnes ont été déplacées depuis le début de cette campagne, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Si le régime syrien a condamné « l’ingérence flagrante de la Turquie », l’OSDH a fait état de raids russes et syriens non loin du convoi pour l’empêcher de poursuivre son chemin. Ces bombardements ont fait « 3 morts et 12 blessés » d’après des propos émanant du ministère turc de la Défense, cité par l’agence turque Anadolu. Cette escalade met en péril la viabilité du partenariat russo-turc dans le cadre du processus d’Astana.
Dans un communiqué, le ministère turc de la Défense a également « condamné fermement cette attaque contraire aux accords en vigueur ainsi qu’à notre coopération et notre dialogue avec la Russie », ajoutant qu’en « dépit d’avertissements répétés que nous avons adressés à la Russie, les opérations militaires menées par les forces de Damas continuent à Idleb, en violation des mémorandums existants et des accords passés avec la Russie ». Le communiqué insiste par ailleurs sur le fait que la Russie avait été informée en amont de l’envoi du convoi militaire turc. Une source médiatique turque a indiqué hier qu’Ankara avait autorisé le décollage de plusieurs F-16 dans la zone afin de sécuriser la bonne réception des armes et, sans doute, dissuader le régime syrien d’avancer plus que cela. La Turquie semble ainsi plus que décidée à maintenir cette zone sous son aile, et à soutenir les rebelles qui s’y trouvent.
(Lire aussi : Les forces du régime progressent à Idleb, un avion de Damas abattu par des jihadistes)
Détermination
« Les Turcs ont eu des réactions très limitées depuis le début de l’offensive d’Idleb », estime Nawar Oliver, chercheur et analyste au centre Omran, un groupe de réflexion basé à Istanbul.
La détermination turque à maintenir une présence en Syrie se heurte à celle de Damas et de ses alliés, bien décidés à en finir avec la présence rebelle et jihadiste dans la région, et plus largement dans le pays. Les tirs russes d’hier sur le convoi d’armements turc témoignent à la fois de cette volonté, mais aussi des désaccords qui existent dans les rapports russo-turcs. « Les tirs russes contre le convoi turc sont faits pour dissuader Ankara d’amener des armes supplémentaires en Syrie, ce qui montre que Moscou ne respecte pas ses engagements », explique Bayram Balci, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la Turquie, contacté par L’Orient-Le Jour. Il fait ici référence à l’accord russo-turc de septembre 2018, qui avait vocation à empêcher l’offensive du régime syrien sur Idleb par l’instauration d’une zone de sécurité. Celle-ci semble désormais caduque, compte tenu de la situation sur le terrain. « Le fait que les Russes se joignent aux forces progouvernementales et effectuent des tirs contre les Turcs rend la situation encore plus compliquée pour Ankara », estime M. Balci, ajoutant que « si les tirs se poursuivent et que les forces de Damas avancent, les Turcs vont être obligés de se retirer (…) et ce sera une humiliation pour Ankara ». « Il semble ainsi que les Turcs ne prévoient pas de mener d’opération militaire contre le régime syrien au sud. Leur principal objectif est maintenant de sécuriser leur point d’observation à Morek », nuance toutefois Nawar Oliver.
(Pour mémoire : Le partenariat russo-turc à l’épreuve de la bataille d’Idleb)
Il semble peu probable que l’escalade se poursuive entre Russes et Turcs. Même si les postes d’observation turcs sont pris pour cible par l’artillerie syrienne, Ankara n’a pas intérêt à se fâcher avec le Kremlin, à un moment où leurs relations se réchauffent continuellement et où Ankara est en froid avec les Occidentaux. Les relations entre les deux pays, malgré les différends sur le dossier syrien, sont intactes, comme l’a démontré l’acquisition des missiles russes S-400 par la Turquie. Mais en cas de nouveaux tirs et/ou de victimes turques suite à des tirs russes, l’histoire pourrait être différente. « Des tirs sur les forces du régime syrien sauveraient l’honneur de la Turquie (…) mais s’il y a des morts parmi les soldats turcs suite à un tir russe, ce pourrait être la “rupture” entre les deux pays », explique M. Balci. « Astana n’est pas détruit, mais il a reçu un énorme coup et il faudra du temps pour s’en remettre », note Nawar Oliver.
Pour mémoire
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L'orsque Al qaeda est combattu en Afghanistan par les occidentaux, on l'appelait organisation terroriste avec Ben Laden. Lorsque la même al qaeda s'implante en Syrie avec le soutien des même occidentaux et la Turquie on l'appelle les résistants djihadistes avec joulani en tête. Est ce que vos lecteurs saisissent la nuance....
18 h 53, le 20 août 2019