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La Consolidation de la paix au Liban - Août 2019

Histoires de femmes passées des coopératives agricoles à la célébrité

Les coopératives agricoles ont de tout temps représenté un refuge pour les femmes dans les zones rurales. Elles leur permettent d’avoir un emploi non loin de chez elles et de ne pas négliger de la sorte leurs obligations familiales. Grâce à leur débrouillardise, certaines sont devenues des modèles pionniers dans leur environnement, au point qu’elles ont fini par avoir une renommée internationale. Deux femmes sont passées de derrière leurs fourneaux et saj populaires (une grande plaque concave en fonte, au-dessus d’un feu de bois, utilisée pour la confection de pain très fin –Marqouq – ou de galettes au thym – Manakiche) jusqu’aux premières lignes de la défense de la cuisine libanaise traditionnelle, qu’elles ont disséminée comme un message de paix à l’intérieur comme en dehors du pays.

© PNUD

L’ambassadrice de la fraké et de la friké

Si on lui demande se présenter, Zeinab Kachmar (54 ans) répond sans l’ombre d’une hésitation qu’elle est « par excellence l’ambassadrice de la Fraké (plat de viande crue qui est une spécialité du Sud) et de la Friké (du blé vert grillé) du Liban-sud ». Il s’agit d’un titre qu’elle a travaillé dur pour acquérir, précisément depuis 2008. Cette femme au foyer, qui avait abandonné ses études scolaires au niveau du complémentaire, n’a jamais imaginé qu’en s’impliquant dans la coopérative de son village, Halloussieh (caza de Tyr) elle fera un jour le tour du monde, grâce à son talent de cordon bleu et à sa formidable capacité à commercialiser les produits de la mouné traditionnelle libanaise (les provisions alimentaires préparés à l’avance et qui se conservent pendant des mois).

L’histoire de Zeinab commence lorsqu’elle décide, une fois ses trois fils suffisamment grands, de s’engager dans les activités sociales de son village où elle rejoint la coopérative agricole de Halloussieh. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Souk el-Tayyeb – un marché hebdomadaire à ciel ouvert, durant lequel les producteurs proposent à la vente des produits alimentaires biologiques – et se met à commercialiser les produits de cinq villages du Liban-Sud. Grâce à sa débrouillardise, elle réussit à tout vendre et gagne de la sorte la confiance des organisateurs qui lui permettent d’exposer ses produits pendant tout un mois, au cours duquel elle acquiert une expérience dans la publicité et la commercialisation, des concepts qu’elle ignorait auparavant. « Mon langage est aussi bon que ma cuisine », commente-t-elle. Grâce à la commercialisation de l’huile et des olives de Halloussieh, du thym et de la friké du sud, Zeinab finit par décrocher le titre de reine de la cuisine du Sud, et sa vie s’en trouve bouleversée. Elle devient une femme active au double plan économique et social, grâce à ses mets et à l’art de la cuisine qu’elle enseigne à ceux qui le souhaitent.

Son souci premier est de préserver le patrimoine culinaire traditionnel libanais et d’empêcher que les plats des villes et leur « fast-food » n’envahissent les villages du Sud, de la Békaa, de la Montagne et du nord du pays. Zeinab compare la cuisine à l’histoire dont les racines sont bien ancrées dans la terre. Aussi, décide-t-elle d’œuvrer pour assurer une renommée internationale à la cuisine libanaise méridionale. Elle fait le tour des régions-sud du pays pour apprendre auprès de ses aînées les recettes traditionnelles, leurs origines et leur histoire, les présentant à titre exclusif à Souk el-Tayyeb. Sa réputation vite fait de dépasser les frontières nationales et c’est en France, en Inde, à Singapour, en Belgique et en Suisse qu’elle finit par présenter « la friké du Sud ». Elle doit surmonter de nombreux défis, notamment ceux de la langue et de la communication, il est vrai, mais son sourire et la saveur de ses mets étaient devenus sa carte de visite. Si elle est fière de ses réalisations, c’est surtout parce que celles-ci lui ont permis de montrer à la communauté internationale une image différente du Liban-Sud, longtemps associée aux guerres, aux exodes, aux morts et aux blessées, et de lui communiquer l’histoire, mais aussi toutes les richesses de cette terre dont elle puise ses recettes. Zeinab assure que celles-ci sont toutes bonnes pour la santé.

Même si elle s’installe à Beyrouth pour travailler à Souk el-Tayyeb et à Tawlet – le restaurant qui propose à ses clients des plats traditionnels cuisinés à tour de rôle par des femmes venues des quatre coins du Liban – et adhère en même temps à la Coopérative Atayeb el-Rif, Zeinab n’oublie pas les femmes qui, comme elle, travaillent au sein de la coopérative de Halloussieh et œuvre pour améliorer leur situation. Elle achète leurs produits et fait appel à elles pour l’aider à préparer des quantités impressionnantes de friké, contribuant ainsi à les soutenir au double plan financier et moral. « Ces dames protègent les mets du Liban-Sud et les empêchent de disparaître. Elles restent attachées à leurs terres en dépit des difficultés », affirme-t-elle.

Zeinab est soucieuse de préserver tout ce qui se rapporte au patrimoine et de protéger les communautés locales contre l’expansion de modèles culinaires occidentaux, qui représentent un danger pour leur identité culturelles. Sur ce plan précis, la situation au Liban n’est guère rassurante. Le patrimoine culturel et culinaire y est en danger. Selon Zeinab, les nouvelles générations ne connaissent rien de la cuisine traditionnelle. C’est la rapidité qui leur importe. Et c’est pour cette raison qu’elle propose des cours de cuisine à l’intérieur et en dehors du Liban à tous ceux qui veulent découvrir le patrimoine culinaire du pays. « Mon but est de protéger ce patrimoine. Comment puis-je ne pas le transmettre à d’autres ? »


Rima Massoud : « J’ai bousculé les traditions »

Zeinab n’oublie pas de nous introduire à une de ses collègues, Rima Massoud (52 ans), originaire du village de Ramlieh, dans le caza de Aley. Avec Rima, c’est une autre histoire qui est contée, celle d’une femme qui ne doit sa réussite qu’à elle-même. Rima est réputée pour le pain qu’elle confectionne sur son saj et qu’elle vend au village afin d’aider son mari qui travaille dans l’agriculture.

Elle adhère à l’Association de protection des ressources forestières, qui lui donne accès à un programme organisé par la Fondation René Moawad pour le développement des aptitudes de la femme libanaise. Elle suit des sessions de formation à l’économie, à la commercialisation, à la production et à la préparation de la mouné, ce qui lui ouvre une nouvelle voie qui la conduit à Beyrouth. Mais de la sorte, Rima bouscule les traditions qui veulent que la « femme de la Montagne » ne travaille pas en dehors du cadre de sa région. Forte du soutien de l’Association de protection des ressources forestières, elle prend cependant son saj pour s’installer à Souk el-Tayyeb.

Les débuts sont difficiles. Rima manque d’assurance et n’arrive pas à fabriquer son pain devant le public. Mais l’encouragement qu’elle obtient et l’afflux de clients libanais et étrangers pour y goûter lui insuffle du courage. Un changement qualitatif s’opère dans sa vie. La situation socio-économique de Rima se développe. Celle-ci devient le principal soutien de sa famille, notamment de ses enfants qui suivent des études universitaires avant d’intégrer le marché du travail.

Le message qu’elle véhicule s’adresse à toutes les femmes qu’elle encourage à devenir autonomes au plan financier et à travailler chez elles, que ce soit en réalisant des travaux manuels de crochets, en préparant la mouné ou en faisant la cuisine.

Son rêve de se rendre à Beyrouth s’est étendu, puisqu’avec son saj elle a fait le tour de plusieurs pays arabes et européens, grâce à l’association à laquelle elle avait adhéré depuis des années et qui lui avait permis de développer ses capacités sociales, pédagogiques et économiques.


* Journaliste


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.



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