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Culture - Festival de Beiteddine / Photo

La Syrie dans l’œil de Ammar Abd Rabbo

Ce n’est pas une photographie choc d’un pays ruiné et divisé, mais celle de la vie quotidienne et de la résistance des habitants d’Alep que s’attache à présenter le chasseur d’images franco-syrien.


« Syrie, mon pays qui n’existe plus » : tel est l’intitulé de l’exposition rassemblant quarante-huit photographies de Ammar Abd Rabbo, jusqu’au 10 août, au palais de Beiteddine. Photo Ammar Abd Rabbo

Loin de l’image trop univoque de la violence de la guerre, Ammar Abd Rabbo dresse un véritable portrait de la Syrie, véhiculant ainsi à destination du public un message unique qui donne son titre à l’exposition : « Syrie, mon pays qui n’existe plus », présentée dans le cadre du Festival de Beiteddine. Quarante-huit photographies contribuent à créer une iconographie, images témoignant du spectacle qu’offrent les rues de Damas et d’Alep entre 1990 et 2015.

Appareils photos en bandoulière, ce Franco-Syrien, ancien élève de Sciences Po devenu chasseur d’images, a couvert les conflits en Bosnie, en Irak, en Libye pour différentes agences parisiennes telles Sygma, Sipa et Abaca Press, avant de s’orienter vers la photographie artistique. En 2013 et 2014, il réalise plusieurs reportages à Alep.

L’exposition mêle la street photography et la photographie artistique, et véhicule à destination du public un message. Ces clichés s’inscrivent dans une démarche polysémique : offrir un souvenir de la ville, besoin de sceller une scène ou un paysage, saisir les instants de convivialité, témoigner d’un monde pressenti comme sorti de l’ordinaire ou comme perdu…

Le travail de Ammar Abd Rabbo manifeste par ailleurs une volonté d’évoquer un passé où musulmans, juifs, chrétiens et autres communautés cohabitaient. Ainsi, à la mosquée des Omeyyades et aux monastères de Maaloula, refuges troglodytiques datant des premiers siècles du christianisme, se mêlent sur les cimaises le très populaire vendeur de jus de réglisse, une scène de marché tranquille et un très beau cliché pris lors de la messe célébrée par le pape Jean-Paul II dans le stade des

Abbassides de Damas, en 2001. Livre de prière à la main, des chrétiens de la Syrie du Nord, portant la dishdasha (la longue robe blanche) et le keffieh, perpétuent les traditions ancestrales. On aurait pu facilement les confondre avec des musulmans.

Un autre cliché montre Simon Hassoua et son petit-fils posant devant la synagogue al-Rouqui, dans le quartier juif de Damas. « Pour moi, cette photo que j’ai prise en 1990 illustre la fin d’une ère. La communauté juive n’existe plus à Damas et la jeune génération syrienne ne connaîtra jamais un juif syrien. » Selon une enquête menée sur place, en 2016, par la journaliste américaine B. Anderson, uniquement 17 juifs syriens pour la plupart âgés sont restés au pays. Et la synagogue al-Feranji est encore active.

À travers son objectif qui saisit un ouvrier en train de recouvrir de peinture noire une affiche publicitaire de shampoing représentant une femme cheveux au vent et sourire éclatant, Ammar Abd Rabbo évoque ce fameux juin 2000 où « toute forme de joie devait être étouffée pour ne pas perturber la tristesse qui plane sur le pays à la mort du grand leader syrien Hafez el-Assad ».



(Lire aussi : Que reste-t-il du patrimoine syrien ?)



La vie plutôt que la mort
Qu’est devenue « l’éternelle Alep » en 2013-2014 ? Son impressionnante citadelle construite au XIIIe siècle domine une ville aux immeubles éventrés, aux rues barrées de draps tendus pour éviter les tirs des snipers ; les combattants sont dans les ruelles, mais aussi les écolières rentrant de classe ; un vendeur de fruits et, signe de bon augure, un cycliste passent sous un arc-en-ciel. Quant aux boutiques, elles offrent le spectacle permanent des mannequins aux yeux bleus arborant des voiles colorés. Un voile aussi pour la poupée Fulla, une alternative à la poupée Barbie, et son trousseau de vêtements conforme à la tradition musulmane. Une photo qui illustre en trois images « un microcosme de la société alépine » : le vendeur ambulant de kaak et de brioche ; le commerçant de draps et de couvertures ; et une mosquée à l’intérieur de laquelle deux hommes font leur prière.

Plus que la mort, le photographe cherche à illustrer la vie à Alep. « Il y a l’homme qui veut rigoler, travailler, sortir de la condition de la guerre », comme ce réalisateur de séries télé filmant dans les décombres d’un immeuble, qui lui lance avec humour : « Si Hollywood veut reproduire ce décor, ça lui coûterait un million de dollars. Là, on peut se targuer de l’avoir gratuitement ! »

Une magnifique image de grande taille souligne l’importance que l’auteur a voulu donner au savon d’Alep. Superposant le papier peint et le tirage métallique, Abd Rabbo rend hommage au patrimoine immatériel et au procédé de fabrication millénaire. Grand format aussi pour le souk d’Alep, fantôme désolé ravagé par le feu.

Au fil de la visite, on découvre un spectacle culturel à Palmyre, la perle antique du désert syrien devenue le théâtre d’effroyables exécutions commises par les jihadistes de Daech.

Une présentation des derviches tourneurs dans la mosquée des Omeyyades à Damas, en 2002 ; et une autre à Alep en 2003 avec le chanteur alépin Cheikh Habbouch et Julien Jalaleddine Weiss (qui s’était produit au Festival de Beiteddine en 2011), en un merveilleux hommage chrétien et musulman à la Vierge. Et pour dire « le génie d’invention de nos anciens, qui ont inventé un système hydraulique pour puiser et canaliser l’eau », il fixe les norias de Hama dont certaines datent du Ve siècle. Un lieu devenu un espace de jeu pour les garçons qui s’amusent à plonger du haut de la noria dans l’Oronte. Célébrer l’homme dans sa quotidienneté, les enfances innocentes, les anonymes, les figures tendrement héroïques, les espaces de liberté et de convivialité dans lesquels ils se meuvent. D’un réalisme poétique, les paysages urbains et scènes de vie de Ammar Abd Rabbo prennent pour l’histoire une dimension informative qui pourra documenter le monde de l’après-guerre.


Palais de Beiteddine jusqu’au 10 août. « Syrie, mon pays qui n’existe plus » de Ammar Abd Rabbo.


Loin de l’image trop univoque de la violence de la guerre, Ammar Abd Rabbo dresse un véritable portrait de la Syrie, véhiculant ainsi à destination du public un message unique qui donne son titre à l’exposition : « Syrie, mon pays qui n’existe plus », présentée dans le cadre du Festival de Beiteddine. Quarante-huit photographies contribuent à créer une iconographie,...

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