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Liban - Déchets

L’adoption du cahier des charges de l’incinérateur de Beyrouth « ajournée »

Opposition à l’intérieur et manifestations à l’extérieur : la contestation du projet du conseil municipal a eu raison de la volonté affichée par son président de faire passer le texte tel quel.

Les députés Paula Yacoubian, Nadim Gemayel et Élias Hankache au cours de la manifestation. Photo Marwan Assaf

Bien qu’une clause sur le vote du cahier des charges de l’incinérateur de Beyrouth ait été incluse dans l’ordre du jour de la réunion hebdomadaire du conseil municipal qui a eu lieu hier, la discussion autour de ce sujet hautement polémique a été « ajournée », suivant les échos qui sont parvenus du président du conseil Jamal Itani. De fait, l’opposition systématique venue de toutes parts avait commencé dès le début de la semaine et s’est intensifiée hier par une contestation à l’intérieur du conseil, et par une manifestation de la société civile à laquelle se sont joints plusieurs députés devant le siège de la municipalité.

Depuis que le conseil municipal de la capitale a décidé d’opter pour une solution séparée pour la gestion de ses déchets en 2016, le projet d’installer un incinérateur pour – et dans – la capitale fait son chemin, drainant une opposition de plus en plus importante. Le cahier des charges que comptait présenter M. Itani hier au vote n’est accompagné ni de la désignation d’un site ni, par conséquent, d’une étude d’impact environnemental – il comptait laisser au Conseil des ministres le soin de déterminer le lieu qui accueillerait le futur incinérateur. Toutefois, le site qui aurait la préférence du président du conseil est un secret de Polichinelle, puisqu’il n’est autre que celui de la Quarantaine.

Hier donc, à la réunion du conseil municipal, le sujet de l’incinérateur, pourtant sur toutes les lèvres, a été « ajourné ». Gaby Fernaini, membre du conseil notoirement hostile à l’installation d’un incinérateur dans ces conditions (il s’est exprimé en ce sens dans le cadre de la manifestation), affirme à L’Orient-Le Jour que « le président du conseil a invoqué la volonté affichée de deux partis, les Forces libanaises et le Courant patriotique libre, de remettre à plus tard le débat ». « À mon avis, la vraie raison du report est que nous aurions été une majorité à rejeter ce projet, poursuit-il. M. Itani affirme qu’il ajoutera une nouvelle fois cette clause à l’ordre du jour la semaine prochaine, mais je pense que remettre cette question sur le tapis est décidément compromis. Il faut dire que le refus ferme de l’option de l’incinérateur exprimé par le métropolite de Beyrouth pour les grecs-orthodoxes, Mgr Élias Audi, a renversé la donne. »


(Pour mémoire : Plan de Jreissati pour la gestion des déchets : le ver est-il dans le fruit ?)


Un cahier des charges controversé
De son côté, Ragheb Haddad, membre du conseil municipal représentant les FL, souligne que la position de son parti a été clairement exprimée dans un communiqué publié deux jours avant la réunion, et qu’il s’agit d’un refus net d’approuver ce projet dans ces conditions. « D’une part, nous rejetons ce projet tant que le site n’a pas été déterminé, assure-t-il à L’OLJ. D’autre part, même le cahier des charges que nous avions contribué à améliorer est toujours manquant. Trois grands points n’ont pas encore été pris en compte, notamment notre exigence de l’implication d’un expert international pour le contrôle, étant donné que nous n’avons pas confiance dans la capacité des autorités à assurer la supervision d’une technologie aussi complexe. » M. Haddad pense, lui aussi, qu’il sera difficile, dans ces conditions, pour le président du conseil municipal de rouvrir ce dossier de sitôt. « La population est clairement hostile à ce projet et les partis représentent la population », dit-il.

Nicolas Sehnaoui, député CPL de Beyrouth, avait, quant à lui, précisé dès la veille, dans un tweet, avoir demandé le report de la discussion autour de l’adoption du cahier des charges « en vue de poursuivre les études et de prendre en compte les remarques des députés du CPL ». Dans un tweet ultérieur, il a annoncé que « le sujet a été reporté comme nous l’avons demandé » et que « les pourparlers se poursuivent avec les parties concernées et le ministre de l’Environnement, en vue d’une gestion augmentant la proportion des déchets triés et recyclés et réduisant celle de ceux qui seront transformés en énergie ».

De son côté, l’ancien député de Beyrouth Michel Pharaon a réitéré hier, en marge d’une visite à l’archevêque grec-catholique de Beyrouth, Mgr Georges Bakaouni, sa position « claire » concernant l’incinérateur. Il a rappelé avoir maintes fois mis en garde contre l’adoption d’un cahier des charges sans étude d’impact environnemental et sanitaire, même avant qu’un site ne soit désigné pour accueillir l’usine. « On ne peut mettre à l’ordre du jour du conseil municipal un tel projet sans les garanties nécessaires », a-t-il dit.

Parmi les nombreuses réactions politiques à cette affaire hier, celle du Bloc national. Ce parti a estimé que la manière dont le sujet est abordé par le conseil municipal comporte deux risques majeurs : d’une part, aucune garantie de changement des filtres et, d’autre part, le problème de l’exportation des cendres toxiques résultant de l’incinération des déchets en vue d’un traitement spécialisé. Pour le BN, « le cahier des charges est non conforme aux normes en vigueur, étant donné que les industries lourdes sont interdites dans la capitale ».


(Lire aussi : Odeurs nauséabondes sur le Grand Beyrouth : quand s’attaquera-t-on aux racines du problème ?)


Mobilisation dans la rue
Devant la municipalité, ils étaient, en outre, quelques centaines à scander, hier, des slogans hostiles au conseil municipal et à son président, en présence d’un nombre impressionnant d’agents des forces de l’ordre bloquant l’entrée au siège de la municipalité. Parmi ces manifestants, un grand nombre d’adhérents au parti Sabaa, portant l’écharpe mauve caractéristique de leur formation, ainsi que des membres du parti du Dialogue national, de la Coalition civile pour la gestion des déchets, et d’autres regroupements comme le parti des Verts ou le Mouvement écologique libanais.

Trois députés se sont joints aux manifestants, les députés Kataëb Nadim Gemayel et Élias Hankache, et la députée Paula Yacoubian. Les trois élus ont réitéré leur opposition aux incinérateurs à Beyrouth ou ailleurs, dans quelque quartier ou ville que ce soit, dans la conjoncture actuelle qui ne protège ni la santé ni l’environnement, insistant sur le refus de la population et la nécessité de le respecter. Jean Talouzian, député de Beyrouth, avait également envoyé des représentants, notamment son chargé de communication Marwan Kaddoum, qui assure à L’OLJ que le député « respecte la volonté des habitants de Beyrouth » et « plaide pour une gestion des déchets respectueuse de l’environnement et de la santé ».

Samar Khalil, au nom de la Coalition civile, a réitéré les très nombreux arguments scientifiques qui poussent à rejeter l’installation d’un incinérateur dans ces conditions, assurant que les alternatives existent et qu’elles ont maintes fois été exposées aux autorités.

Dans une longue diatribe faite à voix très haute pour être entendue de la municipalité toute proche, Ghada Eid, présidente de Sabaa, a fustigé « les deals douteux » qui ont depuis toujours marqué l’approche du dossier des déchets ménagers par les autorités, et plus particulièrement par le conseil municipal de Beyrouth. Le parti Sabaa insiste, dans ses slogans, sur « le refus de l’installation d’un incinérateur exprimé par 70 % au moins de la population ». Interrogée par L’OLJ sur le sujet, Rania Bassil, membre du parti, affirme que des statistiques ont été effectuées par le parti. « Les Beyrouthins doivent se rendre compte qu’ils ont voté pour ces gens-là qui, aujourd’hui, ne tiennent pas compte de leurs intérêts », affirme-t-elle.

Pour sa part, le président du parti des Verts, Toufic Souk, insiste sur le fait qu’il faut opter pour d’autres solutions, bien plus adaptées à la composition de nos déchets, dans leur majorité organiques donc très humides. Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, estime que c’est la mobilisation populaire qui pousse les autorités à reculer, bien plus que d’éventuelles dissensions politiques.


Pour mémoire
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Bien qu’une clause sur le vote du cahier des charges de l’incinérateur de Beyrouth ait été incluse dans l’ordre du jour de la réunion hebdomadaire du conseil municipal qui a eu lieu hier, la discussion autour de ce sujet hautement polémique a été « ajournée », suivant les échos qui sont parvenus du président du conseil Jamal Itani. De fait, l’opposition systématique...

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