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Culture - Littérature

L’Iran sous la plume et le regard de Saïdeh Pakravan...

Du pays du chah, des mollahs et des pasdaran à la liberté absolue, témoignage – à travers trois romans – d’une auteure à l’écoute du monde, et particulièrement de la terre où ont fleuri la civilisation perse ainsi que les échos des pays limitrophes...

À 76 ans, venue d’une famille où la culture est une nourriture naturelle, Saïdeh Pakravan, née en Iran, a vécu en Amérique et en France pour s’établir définitivement dans la Ville-Lumière.

La petite fille d’Emineh Pakravan (qui a obtenu le Prix Rivarol en 1951 pour Le Prince sans histoire, porte plusieurs casquettes. C’est dans la continuité de cette création littéraire et de jugement sur l’histoire que Saïdeh Pakravan, lectrice avertie et chevronnée dès l’âge de quatre ans, allie aujourd’hui ses atouts et affûte ses armes de défense en déployant des activités d’écrivaine mais aussi de poète, de critique de films et, parfaitement femme dans le vent, de blogueuse politique. La politique étant le nerf moteur et central de son œuvre. Surtout dans la contestation pour la quête de la démocratie, l’émancipation de la femme, la laïcité et la liberté. Elle, qui a écrit son premier opus (Celle qui rêvait) à 18 ans, dont plusieurs romans ont été couronnés de prix, manie aussi bien la langue anglaise que française. Sa voix, à travers un poste de rédactrice en chef pour la revue Chanteh, en anglais, s’adresse surtout aux Iraniens exilés de seconde génération. Il ne faut pas croire que son ton véhément, ses dénonciations d’un pays qu’elle a dû quitter sont simplement pure amertume ou grief tonitruant. Par-delà une insidieuse nostalgie, il y a là bien plus car on ne se détache pas vraiment de ce que l’on a, un jour, profondément aimé.

Antigone moderne

Azadi (Belfond, 439 pages, Prix de La Closerie des lilas et de Marie-Claire en 2015) jette bien sûr la lumière sur la notion de la liberté (car Azadi signifie liberté en persan), mais dénonce, aussi, le système politique répressif après l’élection d’Ahmadinejad à la tête de la République islamique d’Iran. La jeunesse de Téhéran se rebelle, et se dessine alors le portrait de Raha, héroïne du récit violée et jetée en prison, qui se battra de toute ses forces pour que justice lui soit rendue…

Telle une Antigone moderne, elle révélera, dans ces pages d’une beauté violente, la face cachée d’un Iran où, par-delà les classes sociales compartimentées, le sort des femmes, hélas, est de peu d’importance…. Pour cette fiction-réalité quand même à l’esprit bien manichéen, une citation du livre de Pakravan, qui se mobilise depuis la révolution iranienne en 1979 pour un mouvement de libération, est éclairante : « Avant mon arrestation, j’étais une jeune femme de 22 ans qui devait bientôt terminer ses études, se marier. J’aimais la vie, mes amis, Kian. J’avais aussi découvert l’action politique et nourrissait l’espoir que le régime deviendrait raisonnable, et l’Iran un pays civilisé. Mais à présent ? Que suis-je à présent? » Une question que peut-être bien des Libanais ou des Levantins se posent aussi aujourd’hui…

Et c’est ce qui fait dire à un critique de la presse étrangère : « Et pourtant, malgré la répression, malgré les bains de sang, malgré la brutalité, malgré ce que l’Occident considère une dictature, Saïdeh Pakravan parle de l’Iran avec quelque chose proche de l’amour ou du pardon. »

« Cent voyages »

Comme un retour à la terre ancestrale, mais avec des digressions et une infinie mélancolie, la narratrice, Garance, entreprend ces Cent Voyages (Belfond, 216 pages). Voyages plus intérieurs et affectifs que focalisés sur les lieux d’une terre quittée à regret… Mais il y a aussi, dans cet opus introspectif fragmenté, l’absence de la fille de l’auteure pour un deuil insurmontable. Une quête de soi avec style et élégance grâce à une langue qui booste parfois la narration sans pouvoir toutefois sauver le texte de bien des platitudes.

Virginie et Khaled

Avec L’Émir (Belfond, 489 pages), Saïdeh Pakravan aborde encore plus frontalement la politique et ce qui ronge et gangrène les pays de la région. Elle braque ses feux sur Saddam Hussein qui se prépare à envahir le Koweït à travers la plume de Virginie Page, une voyageuse qui fixe ses pérégrinations sur papier…

Par-delà le grondement des tanks du dictateur irakien pour attaquer le pays frontalier et les semonces guerrières américaines de Bush, sur un plan différent, il y a la rencontre inattendue de Virginie et de l’émir d’Osmanie, Khaled Hourani, progressiste avant l’heure et aux voisins encombrants et remuants qui cernent ses territoires : l’Arabie saoudite, le Koweït, l’Irak, l’Iran… Pour ces deux êtres riches, cultivés et séduisants que rien n’oppose si ce n’est leur appartenance à des cultures différentes, voilà que, coup de théâtre, Cupidon lance ses flèches…

Saïdeh Pakravan, parfaitement dans son élément de l’analyse politique, offre là un portrait des dérives du pouvoir, de cette sinistre période qui a vu le clan Bush et ses alliés du Moyen-Orient déstabiliser l’ordre mondial. Mais les corps et les cœurs ont dit leur mot : Virginie et Khaled vont vivre une belle passion dans un monde arabe qui change, et pas forcément dans le bon sens… Politique, intermittences du cœur, divergences de croyances et d’attitudes sociétales sont décryptées avec finesse et intelligence dans L’Émir. Car, par-delà la bluette enfiévrée des deux principaux protagonistes (un peu carte postale contemporaine très Max du Veuzit), il s’agit surtout d’une analyse à deux voix sur la religion.

Par-delà le radicalisme musulman ou chrétien, ce roman est un plaidoyer (bien documenté et étayé de moult arguments) pour la tolérance et le respect mutuel.

Écrit dans une langue fluide, simple et élégante, le volumineux roman se laisse dévorer tant le sujet complexe, riche et d’une brûlante actualité est bien traité. Sans moments morts, si ce n’est un peu vers le dénouement.

Des replis les plus profonds de la mémoire, des escarpements les plus imprévisibles de l’Iran aux bouleversements politiques et sociétaux les plus surprenants qui vont affecter les relations et les forces mondiales actuelles, la terre de Rostam, ce héros perse légendaire, est captée par la plume de Saïdeh Pakravan qui en saisit toutes les pulsations, les vibrations, les ondes, fussent-elles positives ou négatives. Un éclairage à ne pas négliger ou ignorer, même si parfois les contours de la situation rapportée sont trop vifs ou emphatiques.

Après tout, par-delà reportage, témoignage, charme ou coup de poing de l’écriture, le romanesque a ici tous ses attributs et fonctions…

À 76 ans, venue d’une famille où la culture est une nourriture naturelle, Saïdeh Pakravan, née en Iran, a vécu en Amérique et en France pour s’établir définitivement dans la Ville-Lumière. La petite fille d’Emineh Pakravan (qui a obtenu le Prix Rivarol en 1951 pour Le Prince sans histoire, porte plusieurs casquettes. C’est dans la continuité de cette création littéraire et de...

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