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Portraits de collectionneurs

Naji et Hoda Skaff : l’amour de l’art et de la terre natale

Marié depuis plus de trente ans, le couple partage une passion commune pour les œuvres d’art que les deux conjoints dénichent aux quatre coins du monde.

Naji et Hoda Skaff. Photo Anne Ilcinkas

Coup de cœur », « coup de foudre ». Naji et Hoda Skaff ont l’amour de l’art en partage. Mais à y regarder de plus près, c’est avant tout une passion commune pour leur terre qui transparaît. Un attachement viscéral qu’on connaît déjà via le domaine d’activité familial, la viticulture, qu’ils font perdurer de génération en génération sur leurs terres dans la Békaa. Un attachement à la terre qu’on découvre aussi à travers une importante collection privée d’oeuvres picturales d’artistes locaux ou représentant des paysages libanais. Dans leur appartement moderne situé dans le quartier de Gemmayzé, aucun mur ou presque n’est laissé nu du vaste espace de réception à la salle à manger, jusqu’au couloir menant aux chambres à coucher en enfilade, mettant ainsi à l’honneur la vaste collection de la famille.

« C’est la caverne d’Ali Baba », plaisante Naji Skaff. Ici, pas de scénographie muséale ni de spots intempestifs. Les oeuvres sont disposées avec goût et dans un souci d’harmonie avec l’espace environnant. Un rôle que se réserve la maîtresse de maison qui partage avec son époux un penchant pour les belles choses. « On s’encourage mutuellement dans cette démarche artistique. Il nous arrive de ne pas avoir les mêmes goûts, on se dispute parfois, mais on finit toujours par se mettre d’accord », assure Hoda Skaff. La collection démarre dès leur première année de mariage, en 1986, dans le Liban en guerre. Seuls quelques antiquaires osent alors défier les couvre-feux. L’un d’entre eux vient juste de recevoir une aquarelle de Georges Cyr, un orientaliste français qui avait posé ses valises à Beyrouth cinquante ans plus tôt. La toile tape dans l’oeil de Naji Skaff qui l’acquiert pour 125 000 livres, soit à peu près 30 dollars à l’époque. Parti se refugier à Boston, le jeune couple court les antiquités et succombe au virus des ventes aux enchères, avec comme objets de conquête principaux… les tapis. La ville, l’une des plus anciennes des États-Unis, regorge de surprises pour tous les passionnés d’art. « On a trouvé par hasard neuf icônes melkites mises en vente par les héritiers d’un architecte américain qui avait vécu au Liban », raconte l’homme d’affaires, pour qui collectionner cet art chrétien a des relents de madeleine de Proust. C’est en découvrant une icône de l’école de Jérusalem exposée chez un ami, que lui sont revenues en mémoire les nombreuses oeuvres des églises fréquentées dans sa jeunesse. Depuis, les portraits religieux, datant du XIVe au XIXe siècle, provenant pour la plupart du Liban, de Syrie ou de Palestine, et acquis au fil des ans, ont leur espace dédié dans le salon.

Les portraits par Guiragossian

De ville en ville, le couple Skaff « traque » les toiles de peintres libanais ou celles représentant le Liban. « Nous ne sommes pas du genre à courir les galeries d’art. On préfère trouver la perle rare, repérer l’oeuvre qui a une histoire, un vécu », raconte Hoda Skaff. « On doit déceler ce petit truc en plus qui nous attache à l’oeuvre d’art », renchérit son époux. Pour cela, ils sont prêts à faire des kilomètres, à se confronter à l’adrénaline des ventes aux enchères, ces arènes où s’affrontent d’autres collectionneurs, comme eux, du monde entier. Comme cette fois-là à Amsterdam ou Naji Skaff s’était rendu pour du travail, et où la célèbre maison Christie’s proposait une magnifique peinture à l’huile représentant un café de Beyrouth. Apres une lutte acharnée contre des enchérisseurs au téléphone, Naji Skaff repartira en train avec la toile sous le bras ! Ou cette autre fois où, cinq jours après être rentré du Connecticut, il y retourne aussitôt après avoir vu qu’une aquarelle d’un autre orientaliste, Edward Lear, représentant une vue de Beyrouth, était mise en vente. Si l’inclinaison du couple pour les orientalistes ne fait aucun doute, les nombreuses toiles d’artistes-peintres libanais accrochées sur leurs murs constituent véritablement les pièces phares de la collection. Comme ces cinq oeuvres de Saliba Douaihy achetées aux États-Unis, une toile de Chafic Abboud, une autre de Fadi Barrage, ou celles de Farid Awad. Sur un autre pan de mur, ce sont les artistes libanaises qui sont mises à l’honneur, telles qu’Etel Adnan, Helen Khal ou Bibi Zoghbi.

Quatre tableaux de Paul Guiragossian ressortent toutefois du lot de la collection. Ces toiles, peintes par l’artiste en 1947, 1948 et 1957, sont celles qui ont repoussé les limites de la passion des Skaff. « Un coup de foudre pas très raisonnable », confie Hoda Skaff…

En 1991, soit quelques années avant sa disparition, la famille s’était liée d’amitié avec Guiragossian, en commandant une série de portraits du couple et de leurs deux aînés Michael et Aïda, les deux autres enfants, Peter et Tania, n’étant pas encore nés. « Pendant près de deux mois, il est venu chez nous, il travaillait la journée, on déjeunait ensemble. Nous sommes devenus très intimes », raconte Naji Skaff. « On était en admiration devant lui. C’était quelqu’un de très généreux », ajoute-t-il. Une complicité que le couple semble ne plus avoir jamais retrouvée avec un autre artiste. Tout d’abord parce que la plupart de ceux dont ils possèdent les toiles vivaient à une autre époque, mais aussi parce qu’ils ne semblent pas entichés de la nouvelle génération d’artistes libanais qui vendent leurs toiles à des prix exorbitants.

Les Skaff ne se contentent pas de collectionner les œuvres, mais ils participent également de manière active à l’écosystème de l’art : en commandant directement des toiles ou en tablant sur des peintres aujourd’hui cotés, comme Willy Aractingi, dont le collectionneur a découvert le travail sur un menu Air France sur un vol Paris-New York. Mais aussi en prêtant volontiers leurs tableaux à des musées, par exemple au Musée Sursock. « Cette toile représentant l’épouse de Moustapha Farroukh part bientôt pour une exposition au Musée du Monde arabe à Paris », confie Naji Skaff. Le couple de collectionneurs espère que leurs quatre enfants, qui connaissent la valeur sentimentale de toutes ces oeuvres aux yeux de leurs parents, développeront eux-aussi une sensibilité pour l’art.

Coup de cœur », « coup de foudre ». Naji et Hoda Skaff ont l’amour de l’art en partage. Mais à y regarder de plus près, c’est avant tout une passion commune pour leur terre qui transparaît. Un attachement viscéral qu’on connaît déjà via le domaine d’activité familial, la viticulture, qu’ils font perdurer de génération en génération sur leurs terres dans...

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