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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Face à la guerre des axes, le Maroc doit jouer les équilibristes

Lors de la Conférence annuelle sur la paix et la sécurité en Afrique (Apsaco), portant sur « la place de l’Afrique et son influence dans un monde changeant », qui s’est tenue à Rabat les 18 et 19 juin et a été organisée par le Policy Center for the New South (PCNS), « L’Orient-Le Jour » a pu s’entretenir avec différents spécialistes sur les enjeux diplomatiques actuels du royaume chérifien.

Un panel de la conférence à Rabat. Photo Policy Center for the New South.

Même s’il se situe à la périphérie de ce qui constitue actuellement le cœur géopolitique du monde arabe, le Maroc a tout de même dû se positionner par rapport à la guerre des axes. La crise sunnito-chiite, alimentée par la rivalité régionale qui oppose l’Iran à l’Arabie saoudite, est la principale ligne de fracture régionale. Le Maroc a clairement choisi son camp, mais au sein de celui-ci, il tient à conserver un positionnement spécial. « Le Maroc est partie prenante de ce monde arabe, même s’il est à l’extrême-ouest. Parfois en tant que marocains lambda, nous n’arrivons pas tout à fait à comprendre ce qui se passe dans ce cœur du Moyen-Orient », souligne Khalid Chegraoui, professeur à l’Université Mohammad V à Rabat et expert au Policy Center for the New South.

Si Rabat est dans les grandes lignes dans le camp saoudien, des tensions ont écorné en quelque mois les relations entre les deux royaumes amis. Début février, le gouvernement marocain annonçait qu’il ne participerait plus aux interventions militaires ni aux réunions ministérielles au sein de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen, après cinq années de guerre contre les insurgés houthis, soutenus par Téhéran. « Le Maroc s’est retiré de la coalition au Yémen pour des raisons propres à la configuration du conflit, qui a atteint un niveau inacceptable », rappelle Rachid el-Houdaigui, professeur en relations internationales à l’Université de droit de Tanger, expert au Policy Center for the New South et initiateur de l’Apsaco. « Les choses ont changé sur le plan stratégique, mais ce qui n’a pas changé, c’est la question de défendre l’intégrité du territoire saoudien », estime pour sa part M. Chegraoui. L’annonce du retrait marocain de la coalition avait été suivie par le rappel de leur ambassadeur à Riyad, notamment à cause de la diffusion, le 29 janvier dernier, d’un documentaire par la chaîne de télévision saoudienne al-Arabiya, jugé « tendancieux » par Rabat. Son contenu n’était pas en accord avec la position marocaine sur la question du Sahara occidental, ligne rouge pour Rabat, qui considère ce territoire comme partie intégrante de son royaume.

La mise au ban du Qatar

Mais la diffusion seule du documentaire en question ne saurait expliquer totalement les raisons de ce retrait de la coalition. Les dissensions seraient montées crescendo depuis la mise au ban du Qatar en juin 2017 par le royaume wahhabite et ses alliés du Golfe. « Le Maroc n’a pas accepté cette stratégie d’isolement et d’étouffement du petit émirat. Une attitude qui reste dans la ligne des positions diplomatiques du Maroc, un allié de ces deux pays du Golfe. La tension avec Riyad est profonde, mais il n’y a pas de rupture », explique M. Houdaigui. De son côté, l’Arabie saoudite reprocherait à Rabat sa neutralité dans le conflit qui l’oppose à Doha. « Le Maroc essaye de maintenir un certain nombre d’équilibres entre les différents axes, les différents États, à l’intérieur du monde arabe », poursuit M. Chegraoui. L’isolement de Doha par Riyad, tous deux considérés comme des frères politiques pour Rabat, la crise humanitaire au Yémen, mais également l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, ont été des éléments perturbateurs dans les relations entre les têtes couronnées. « Le futur des relations avec Riyad dépend de l’avenir politique du prince saoudien. L’affaire Khashoggi a été très mal perçue, il n’y a pas eu de réaction diplomatique, mais c’était un élément qui a beaucoup pesé dans la balance », estime encore Rachid el-Houdaigui. Ces dissensions n’ont pas éloigné toutefois les royaumes alliés sur un dossier : la question iranienne.

Le 1er mai 2018, le Maroc a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Téhéran, qu’il accuse d’avoir facilité une livraison d’armes au Front Polisario, mouvement indépendantiste au Sahara occidental, via son allié du Hezbollah. « On parle beaucoup de la réévaluation du Maroc par rapport au Yémen, mais on oublie le fait qu’il ait coupé ses relations avec l’Iran, décision qui touche bien plus les intérêts des pays arabes. S’il s’agit de défendre l’intégrité nationale et la sécurité de Riyad, le Maroc prendra sa défense sans aucun problème », rappelle M. Chegraoui.

Le plan Kushner

Le ralliement du royaume chérifien à la ligne saoudienne et émiratie contre l’Iran avait permis d’envoyer un message positif au royaume wahhabite, l’un des grands financiers du royaume en conflit avec l’Iran, qu’il accuse d’avoir des visées hégémoniques dans la région. « Le Hezbollah s’est immiscé dans les questions d’intégrité nationale, pas uniquement au Maroc, mais aussi au Congo. Ce n’est pas la première fois que le Maroc coupe ses liens avec l’Iran », poursuit M. Chegraoui. « L’inimitié de l’Iran est très dangereuse », dit-il. Si l’administration américaine a eu de quoi se réjouir en trouvant un allié de plus dans son entreprise d’isolement de la République islamique, la participation du Maroc à la conférence de Manama cette semaine, où a été dévoilé la première partie du plan de paix israélo-palestinien concocté par Jared Kushner, a également permis à Rabat de se rapprocher des États-Unis. Fin mai, le gendre du président américain s’était d’ailleurs rendu auprès du roi Mohammad VI, qui lui avait réitéré ses positions, à savoir pas de solution sans la reconnaissance de deux États ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale, selon le ministère marocain des Affaires étrangères. Cette participation du Maroc avait suscité une vague de manifestations dans les rues de Rabat et Casablanca, et provoqué quelques élans de solidarité avec les Palestiniens dans le monde arabe. Mais ces derniers ne peuvent pas toujours compter sur leurs « amis arabes » qui, après avoir instrumentalisé leur cause, détournent aujourd’hui le regard. « Ce monde arabe est le plus grand mythe que Londres ait créé. C’est davantage un mythe oriental qu’occidental. Par exemple, la Ligue arabe est un simple club d’Arabes, les cigares en moins », estime M. Chegraoui.

Même s’il se situe à la périphérie de ce qui constitue actuellement le cœur géopolitique du monde arabe, le Maroc a tout de même dû se positionner par rapport à la guerre des axes. La crise sunnito-chiite, alimentée par la rivalité régionale qui oppose l’Iran à l’Arabie saoudite, est la principale ligne de fracture régionale. Le Maroc a clairement choisi son camp, mais au sein...

commentaires (1)

Un monde arabe qui ne sait pas ou se positionner par rapport à la guerre des axes et qui change sa politique au quotidien .

Antoine Sabbagha

20 h 15, le 29 juin 2019

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Commentaires (1)

  • Un monde arabe qui ne sait pas ou se positionner par rapport à la guerre des axes et qui change sa politique au quotidien .

    Antoine Sabbagha

    20 h 15, le 29 juin 2019

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