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Culture - Documentaires

« Tadmor » n’est pas un nom propre mais un nom commun

Ce documentaire écrit et réalisé par Monika Borgmann et Lokman Slim a été projeté pour la seconde année consécutive au Metropolis Empire Sofil dans le cadre du festival « Almost There » organisé par l’institution Henrich Böll. Malheureusement, le sujet demeure d’actualité.

« Tadmor », ou un travail d’automimétisme.

Huit Libanais se remémorent leur longue et pénible détention dans la tristement célèbre prison syrienne de Tadmor. Mimant ce milieu carcéral où la torture n’avait pas de limites, ces rescapés de l’enfer témoignent en s’automimant et en jouant, tour à tour, le rôle du bourreau et de la victime. Tadmor, jadis caserne de l’armée française, fut en 1980 la scène d’un des plus atroces massacres politiques de l’histoire. Ce bâtiment détruit par les combattants du groupe État islamique lors de la conquête de Palmyre en 2015 abrita même des opposants politiques libanais au régime syrien. Mais Tadmor n’est pas uniquement un nom propre, comme le dira Lokman Slim. C’est un nom commun qui s’applique à toutes les autres prisons de la région où les atrocités sont perpétrées. Dans ce film, huit d’entre eux rescapés par miracle racontent l’horreur.


Donner forme à la masse abstraite…
Monika Borgmann et Lokman Slim signent leur seconde collaboration cinématographique. Après leur premier long métrage documentaire, Massaker, prix Fipresci à la Berlinale en 2005, l’éditeur de Dar al-Jadeed Publishing, mais également essayiste et activiste politique et social, lance avec Monika Borgmann le centre de documentation et de recherche baptisé UMAM. Borgmann, elle, devenue depuis son épouse, a travaillé durant dix ans au Caire dans des émissions pour la radio allemande, essayant de créer des images avec les sons. Elle débarque en 2001 au Liban, assoiffée de vraies images. « J’ai donc plongé dedans, dit-elle. Même si je n’avais pas fait des études de cinéma ou de journalisme, j’ai accompagné plein de films et de tournages. Ce n’était donc pas un monde que je venais de découvrir. »

« La généalogie du film Tadmor est très longue, confie Lokman Slim. Elle remonte à 2008 alors que Monika et moi, nous nous occupions de cette masse abstraite qu’on appelle au Liban les disparus. Petit à petit, nous avons réussi à identifier, au sein de cette grande masse, cette catégorie constituée surtout par des hommes qui ont disparu dans des circonstances mystérieuses et qu’on a retrouvés bizarrement dans les prisons syriennes. » « Tout a commencé, poursuit Borgmann, avec cette exposition qu’on avait faite en 2008 et qui s’intitulait Missing. » « En faisant un mapping (une cartographie) des disparus au Liban, cela nous a mis sur la route de ces personnes-là, se souvient Slim. En 2010 le travail était devenu plus institutionnel avec l’association de ces détenus. » Enfin en 2012 cela a donné naissance à une performance, où, durant les séances de travail avec les ex-prisonniers, les mots faisaient banqueroute. Ils se levaient alors et commençaient à s’auto-mimer. Je ne parle pas donc dans ce cas de représentation mais d’automimétisme, précise Slim.


(Lire aussi : « Les fous d’Alep », ou l’histoire de héros ordinaires)


… Et briser le cou à la peur
Et la coréalisatrice de reprendre : « On a monté cette performance en octobre 2012 à Soléa, laquelle était improvisée, puis en Allemagne en mai 2013. Il fallait alors que les protagonistes trouvent leur propre langage pour se faire comprendre. Ils se sont ainsi habitués à la caméra. On a commencé par tourner avec trois personnes qui ont vécu l’isolation, en septembre 2013. Et puis l’expérience de la cellule collective en 2014. Si les ex-prisonniers sont bien intégrés dans le tournage, ils n’ont pourtant jamais intervenu dans le montage, précise Borgmann. Et comme ils étaient mal à l’aise en parlant de l’humiliation on a tout fait pour éviter de parler de la torture sexuelle. Le film a été réalisé dans une coopération extrêmement proche, dit-elle, avec les “acteurs” car nous voulions qu’ils s’approprient le film. »


(Lire aussi : « Les acteurs du film ont trouvé leurs propres mots pour raconter leur histoire »)


Aujourd’hui Tadmor circule dans différents festivals mais l’action de Monika Borgmann et Lokman Slim ne s’arrête pas là. Tous deux travaillent sur un large projet, le « MENA Prison Forum » car il ne s’agit pas uniquement des détenus libanais mais de ceux de toute la région. En se documentant, collectant des témoignages pour les recycler et les rendre accessibles au plus large public et en créant de la connaissance qu’elle soit académique ou artistique, Borgmann et Slim essaieront de faire des incursions concernant la situation carcérale dans d’autres pays de la région autres que le Liban et la Syrie. « C’est un projet interdisciplinaire où on essaye d’amener les artistes qui ont travaillé sur le sujet, les activistes des droits de l’homme, les universitaires à réfléchir sur la prison. » Et Lokman Slim de s’expliquer : « Une réflexion sur la place centrale de cette prison dans la vie de la région. Quelles sont les raisons historiques et conjoncturelles et pourquoi le milieu carcéral a-t-il une légitimité (négative) dans notre culture ? Il faut continuer à parler à voix haute, continuer de dénoncer, poursuit Slim. Il ne faut pas avoir peur et encourager les autres à ne pas avoir peur car si la peur est contagieuse, le courage l’est aussi. »


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