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Culture

« Les fous d’Alep », ou l’histoire de héros ordinaires

Dans son film présenté récemment lors d’une projection privée à Beyrouth, Lina Sinjab offre un rare témoignage sur le dernier hôpital en fonction dans la partie est d’Alep, sous contrôle rebelle, du siège imposé par le régime jusqu’à sa chute en décembre 2016.

L’équipe de l’hôpital entourant le docteur Hamza Khatib, enregistrant une vidéo demandant à la communauté internationale que les bombardements épargnent les hôpitaux. Photo DR

C’est l’histoire d’hommes et de femmes ordinaires, qui ont choisi de mettre leur vie entre parenthèses, durant le siège de la partie est d’Alep en 2015 et 2016, pour faire fonctionner le dernier hôpital souterrain du secteur livré aux bombardements sauvages. Un médecin, d’une bonne humeur à toute épreuve, des infirmières, toute l’équipe de l’hôpital al-Quds, mais surtout un photographe, Abdel Kader Habak, qui a choisi de filmer d’une manière intimiste, jour après jour, leur combat.

Les fous d’Alep, présenté lors d’une projection privée au cinéma Metropolis Empire Sofil à la mi-juin, est réalisé par Lina Sinjab, journaliste et cinéaste syrienne, qui a été correspondante de la BBC en Syrie jusqu’en 2015 avant de continuer à couvrir le conflit depuis le Liban. Elle a déjà à son actif d’autres documentaires, dont Syrian diaries, qui raconte l’histoire de six femmes syriennes pendant le soulèvement.

« Après huit ans de guerre, j’ai senti qu’il y avait une fatigue par rapport aux informations sur la Syrie, que les gens étaient déconnectés des nouvelles et j’ai pensé qu’une forme plus longue, plus en profondeur, de storytelling pouvait offrir une meilleure chance de comprendre le conflit », explique Lina Sinjab à L’OLJ. « En 2016, les bombardements sur Alep étaient tellement intenses, visant notamment les infrastructures médicales – une tactique du régime depuis le début du soulèvement – que je me suis sentie à Beyrouth impuissante, comme paralysée. » Elle décide alors d’essayer de faire un film sur les installations médicales visées, et joint le Dr Hamza al-Khatib de l’hôpital al-Quds, qui à son tour la met en contact avec un photographe de ses amis, Abdel Qadar Habak.

Le jeune homme commence alors à filmer, jour après jour, l’histoire de l’hôpital qui résiste désespérément. Et malgré l’horreur de la guerre, il réussit à montrer un côté humain, parfois léger, avec les fous rires de l’équipe, le docteur Khatib qui continue de chanter en opérant à la chaîne les blessés des bombardements qui affluent…

« Habak était l’œil qui nous a montré l’histoire, qui nous a raconté l’histoire » de l’hôpital, de la mi-2016 jusqu’à l’évacuation des habitants du secteur est dans les « bus verts » de triste mémoire, dans lesquels le régime a forcé les opposants à quitter une région de la Syrie après l’autre après chacune de ses victoires, dit-elle.

Et la scène dans laquelle on voit l’équipe de l’hôpital, parmi les autres habitants d’Alep-Est en ruine, prendre place à bord de ces bus par un matin glacial de décembre, dans un décor d’apocalypse, est particulièrement poignante. « Nous reviendrons un jour », ont écrit certains sur les murs de leur ville avant de partir. « Les fous d’Alep sont passés par là », dit un autre graffiti, qui a donné son nom au film.


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L’exil
Faire un film à distance n’était pas une chose facile. « J’ai dirigé Abdel Kader Habak par Skype et sur WhatsApp, mais il était difficile pour moi de voir les scènes en raison des problèmes d’internet liés au siège », explique Lina Sinjab. « J’ai donc attendu qu’il arrive sain et sauf en Turquie en 2017, pour commencer à travailler sur les images. » Elle se rend compte à ce moment qu’il est nécessaire de retrouver les personnages qui ont pris le chemin de l’exil, pour continuer à raconter le côté humain de l’histoire.Elle ira retrouver en Turquie Um Ibrahim, l’infirmière qui avait abandonné ses enfants et ses petits-enfants réfugiés dans ce pays pour travailler à l’hôpital al-Quds, où elle a échappé de justesse à la mort lors d’un bombardement. « Je ne me sens vivante qu’à Alep », lui dit l’infirmière qui travaille désormais dans une usine de textiles.

Le docteur Hamza, qui a commencé une nouvelle vie à Londres, où il travaille, lui confie aussi combien sa ville et les jours de folie qu’il y a vécus lui manquent, et qu’il espère y retourner un jour, tout comme Abdel Kader Habak. Les autres personnages du film vivent et travaillent toujours en Syrie.

« J’espère que ce film restera comme un document, des archives racontant l’histoire » du siège d’Alep, dit Lina Sinjab. La première internationale du film et sa participation dans des festivals doit bientôt être annoncée.

Quand à Abdel Kader Habak, il a souligné lors de la projection du film à Beyrouth que, pour lui, l’histoire n’est pas finie. « Ma famille est actuellement réfugiée à Idleb », dernière zone de Syrie encore tenue par l’opposition, « et l’histoire d’Alep s’y répète », a-t-il dit.


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