Vous ne croiserez pas un étranger qui ne vous exprime avec véhémence son envie de venir à Beyrouth. Il y a de la magie dans ce nom, ce mot, cette métonymie du chaos ou de la fête. « C’est Beyrouth » vaut autant pour une chambre en désordre que pour une échauffourée un peu brutale, mais vaut aussi pour n’importe quelle soirée folle dans un lieu improbable. Ici, l’urgence de vivre se confond avec la joie ; la permanente incertitude donne à l’instant toute sa mesure, et il est indéniable que tout se vit intensément, sur le mode émotionnel surtout. De toutes les villes arabes, Beyrouth est celle qui porte le plus haut le drapeau de la liberté, et la bonne nouvelle est que cette liberté avance et se diversifie. On a vu des juges contourner des lois obsolètes, comme celle incriminant l’homosexualité. On a vu de véritables levées de boucliers contre des arrestations arbitraires liées à la liberté d’expression. L’opinion publique est puissante. La preuve est dans les dérives auxquelles le pouvoir s’en trouve acculé, comme on l’a vu dans le triste épisode du passage à tabac par des inconnus de l’activiste Roland Nassour lors d’un sit-in contre le barrage de Bisri. Une guerre sourde oppose une classe politique cupide et sclérosée à une jeunesse idéaliste et éclairée. L’usage de la force n’y apportera pas de trêve durable. Qui ne sent pas tourner le vent, qui n’est pas capable de s’adapter à son époque, d’écouter et de comprendre les aspirations de ses administrés et y répondre avec raison ne peut garder longtemps l’avantage.
La jeunesse libanaise attend bien autre chose de ceux qui la gouvernent que la ridicule signalétique récemment installée dans les rues. Crevés, hachés de panneaux inutiles, les trottoirs, déjà inhospitaliers pour les handicapés et les enfants en poussette, affichent tous les dix mètres une signalisation pour le moins absconse. Devant chaque lieu de culte, soit tous les cent mètres, une interdiction de klaxonner ; à chaque croisement, l’indication d’un passage piéton (déjà clouté) ; au début de chaque venelle où il est impossible de rouler à plus de 20 à l’heure, une limitation de vitesse à 40… Le pire est que les nouveaux panneaux s’affichent à côté des anciens pour uniformiser sans doute, mais on a l’impression de voir double et l’on voit surtout clairement la double dépense en ces temps d’austérité.
Si c’est ainsi que l’on tente de nous convaincre que la ville se modernise, l’objectif est clairement raté : pour dégager la circulation, il aurait fallu dégager les trottoirs de manière à ne pas obliger les piétons à marcher au milieu de la chaussée. Il aurait été plus urgent d’installer dans nos dédales des plans de repérage et de vrais noms de rues, au rythme où disparaissent les repères et ces épiciers qui ont toujours joué les guides.Signalisation ou pas, si Beyrouth est désirable, elle l’est grâce à ses habitants. La ville n’a pas grand-chose à montrer à l’étranger qui passe. Une poignée de musées émouvants mais modestes, une promenade de bord de mer comme en ont toutes les villes côtières. L’attraction est du côté de l’humain, de ces jeunes créatifs et artistes qui sortent des ornières et changent les perspectives ; de ces belles compétences qui s’exportent par vagues, de ces bras ouverts, spontanément, pour accueillir le monde et lui offrir le meilleur de soi ; de l’impossible solitude.
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ON NE PEUT ETRE ECLAIRE CHERE MADAME FIFI QUAND ON SUIT AVEUGLEMENT ET EN BELANT EN MOUTON DE PANURGE UN DES NOMBREUX PANURGES DE CE PAYS.
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 09, le 20 juin 2019