Un des deux tankers visés par une attaque, le 13 juin, en mer d'Oman. ISNA/Handout via REUTERS
Quels intérêts auraient les Iraniens à mener des attaques en mer d’Oman, et risquer ainsi une guerre avec les États-Unis, au moment même où un processus de détente s’amorce via le médiateur japonais ? La question est sur beaucoup de lèvres depuis 48 heures, alors que Téhéran est accusé par Washington d’être derrière l’attaque de jeudi contre les pétroliers japonais et norvégiens qui naviguaient près du détroit d’Ormuz. Le timing autant que le déroulé de l’opération ont fait naître des doutes, renforcés par une méfiance quasi naturelle envers les actions de l’Oncle Sam au Moyen-Orient.
Peut-on encore croire la version américaine après les fausses informations qui avaient entraîné l’invasion de l’Irak en 2003, alors même que se trouve dans l’administration Trump des faucons qui ne demandent qu’à en découdre avec le régime iranien ?
Toutes ces questions sont légitimes. Ils ne doivent toutefois pas nous faire perdre de vue la situation dans laquelle se trouve actuellement l’Iran et l’intérêt qu’il aurait à agir de la sorte.
La République islamique est aujourd’hui asphyxiée par les sanctions économiques américaines. « Les Iraniens exportent 400 mille barils de pétrole par jour contre 2,5 millions il y a un an », confie une source diplomatique occidentale ayant souhaitée garder l’anonymat. C’est six fois moins, pour une économie qui dépend largement de son pétrole. Une personne qui subit un étranglement va tenter de se débattre par tous les moyens. C’est ce que semble faire Téhéran. Il ne peut pas se permettre de laisser les États-Unis lui faire aussi mal à un si faible coût. « La marmite bout et l’Iran ne va pas se laisser faire comme cela », confirme la source précitée.
Il y va de la stabilité du régime. Plus les sanctions vont durer, plus le risque est grand de voir le mécontentement monter au sein de la population, d’autant que la pénurie déjà existante de certains produits pourrait se généraliser.
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« Pas persuadé que les US veulent la guerre »
Le régime iranien ne peut se payer une confrontation directe avec les États-Unis. Il n’a ni véritables alliés sur la scène internationale ni armée suffisamment forte pour résister à celle de la première puissance mondiale. Malgré ses discours bellicistes, la République islamique ne veut pas d’une guerre avec les Américains et le régime n’y survivrait probablement pas. Mais il semble décidé à profiter des quelques marges de manœuvres qu’il pense avoir pour montrer aux États-Unis que la région sera la première à payer le prix de leur politique anti-iranienne. « Confronter les États-Unis c’est forcément suicidaire, mais comme l’État profond iranien n’est pas du tout persuadé qu’ils veulent la guerre, il pousse son avantage », décrypte la source diplomatique.
L’administration Trump donne l’impression d’être brouillonne et versatile sur la scène internationale. Les Iraniens ont certainement observé de près l’avancée du dossier nord-coréen où Donald Trump n’a pas tari d’éloges à propos de son « ami » Kim Jong-un quelques mois après avoir menacé de détruire la Corée du Nord, sans pour autant rien obtenir de concret en contrepartie. Ils ont dû en tirer au moins deux conclusions. Un : le président américain aboie plus qu’il ne mord. Deux : mieux vaut avoir l’arme atomique pour négocier avec les Américains. « Les Iraniens ont tous ces schémas en tête », note la source précitée.
Les dirigeants iraniens ont multiplié les menaces contre les intérêts américains au cours de ces derniers mois. Ils ont toutefois intérêt à laisser planer un certain doute quant à leur responsabilité dans les récentes attaques. L’opération est suffisamment signée pour que tout tende à incriminer l’Iran, mais pas suffisamment pour que le doute soit complètement levé et que la condamnation de la communauté internationale soit unanime. « Les Iraniens vont maintenir une pression permanente. Ils peuvent encore aller plus loin, on n’est pas au point de rupture », nous confiait la source diplomatique avant les événements de jeudi.
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Téhéran dispose de deux armes susceptibles de mettre le feu aux poudres dans toute la région: ses milices et ses missiles. Mais il semble actuellement jouer avec ses cartes les moins risquées. Mener une opération aux frontières libanaise et/ou syrienne via le Hezbollah entraînerait une réponse immédiate et sans doute disproportionnée de la part des Israéliens. Le front du Golfe est moins périlleux. Les houthis sont déjà en guerre contre l’Arabie saoudite et peuvent lancer un missile contre le royaume sans que cela ne mette davantage en péril leur survie. Il en est de même pour les opérations dans les eaux du Golfe qui ont l’avantage d’envoyer des messages très clairs, sans pour autant constituer un casus belli pour les Américains.
L’Iran a un rameau d’olivier dans une main et une arme dans l’autre. Il laisse entendre que des négociations sont possibles, mais précise qu’elles ne se feront pas à n’importe quelles conditions. Mais le jeu iranien est extrêmement dangereux, d’autant plus face à un président qui, bien que ne voulant pas la guerre, a déjà montré par le passé son caractère imprévisible. « Il y a deux voitures qui roulent actuellement vers la falaise et chacune est persuadée d’avoir de bons freins », résume la source diplomatique.
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21 h 29, le 16 juin 2019