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Liban - Terrorisme

Attentat de Tripoli : Saber Mrad, un anonyme devenu héros

Blessé à la tête et au dos, le jeune homme, qui n’avait pas hésité à mettre sa vie en danger pour stopper le terroriste, est toujours hospitalisé. La capitale du Nord, elle, est sous le choc.

Saber Mrad sur son lit d'hôpital.

La tête bandée, le regard empreint de souffrance, Saber Mrad, 32 ans, gît sur son lit de l’Hôpital islamique privé de la rue Azmi, à quelques pas du quartier où s’est déroulé l’essentiel de l’attaque terroriste qui a endeuillé Tripoli et le Liban lundi, à la veille de la fête du Fitr. Un attentat qui a coûté la vie à deux militaires, le lieutenant Hassan Ali Farhat et le soldat Ibrahim Mohammad Saleh, et deux membres des Forces de sécurité intérieure, le sergent Johnny Khalil et le caporal Youssef Faraj.L’histoire de Saber Mrad émeut les réseaux sociaux depuis qu’elle a été connue. Dans la nuit de lundi à mardi, le jeune homme croise par hasard le chemin du terroriste Abdel Rahman Mabsout, en route vers le quartier où il devait poursuivre son carnage et se donner la mort. Dès qu’il comprend la situation, il n’hésite pas et fonce, à bord de sa voiture, sur le terroriste pour lui barrer la route. Le tueur lui tire dessus. Saber Mrad est touché par trois balles, deux dans la tête et une dans le dos.


(Lire aussi : Les forces de l’ordre recherchent activement des complices éventuels de Mabsout)


Aujourd’hui, le pronostic vital du jeune homme n’est plus engagé. Mercredi, il a été transféré des soins intensifs vers une chambre ordinaire. Selon des sources médicales, le pire est passé mais des tests continuent d’être effectués. Le jeune homme étant trop souffrant pour s’exprimer, c’est sa tante, Racha Barbar, qui nous raconte son histoire. « Saber a toujours été extrêmement courageux, voire chevaleresque, et c’est ce qui explique son geste », affirme-t-elle. Saber a vécu l’essentiel de sa vie en Australie, où il a deux enfants, de 9 et 6 ans, d’une femme dont il est aujourd’hui divorcé. Cela ne fait que deux ans qu’il est au Liban.

Le soir du drame, il allait, comme tous les soirs du ramadan, retrouver des amis dans un café quand il a croisé la route du tueur. Les seuls mots qu’il parviendra à nous dire est qu’il a remarqué le comportement erratique du terroriste poursuivi par les forces de l’ordre, ce qui l’a poussé à foncer vers lui pour seconder les militaires. Il n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé après avoir été touché à la tête, si ce n’est qu’il a tenté de garder le contrôle de son véhicule.

Racha Barbar précise que c’est un inconnu à moto qui a transporté son neveu, inconscient, aux urgences, lui sauvant la vie. Elle ne sait s’il s’agissait d’un militaire ou pas, mais assure que les forces de l’ordre sont très présentes auprès de Saber depuis son hospitalisation.

Autour du cas de Saber Mrad est née une polémique d’un autre genre sur les réseaux sociaux. S’il est né au Liban d’une mère libanaise, aujourd’hui décédée, le jeune homme n’a pas la nationalité libanaise, son père étant palestinien.L’acte héroïque de Saber a remis sur le devant de la scène une cause vieille de plusieurs décennies : celle du droit des Libanaises mariées à des étrangers de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Un droit qui leur est toujours refusé. Sur la Toile, beaucoup ont invoqué le geste désintéressé du jeune Palestinien envers les forces de l’ordre libanaise et son sentiment d’appartenance évident au pays. D’autres ont répondu que les circonstances n’avaient rien à voir avec l’octroi, ou non, de la nationalité. Le débat a rapidement pris une tournure politique, comme c’est souvent le cas. Mais de son lit d’hôpital, Saber semble s’en désintéresser. « L’obtention de la nationalité n’a jamais été essentielle dans l’amour qu’il porte naturellement au Liban, sinon comment expliquer qu’il y soit revenu ? » lance sa tante.


« Le salon était plein de sang ! »

Autour de l’établissement où est hospitalisé le jeune homme et où ont été transportées certaines des quatre victimes militaires du tueur, la ville est plongée dans un calme étrange, que le congé du Fitr ne suffit pas à expliquer. Tripoli s’apprêtait à vivre avec joie la fête tant attendue après un mois de jeûne. Son élan a été coupé net par l’attentat terroriste qui a pris ses rues pour théâtre. L’état de choc était toujours perceptible hier, dans les rues vides.

Non loin de l’Hôpital islamique, les dédales mènent vers la rue de Dar el-Tawlid où le terroriste s’est réfugié dans un appartement avant de se faire exploser suite à l’assaut double des FSI et de l’armée.

Mahmoud Baroudi, jeune propriétaire d’une boutique de produits laitiers, se souvient d’une fusillade qui s’est intensifiée, qui a plongé la capitale du Liban-Nord dans l’obscurité de la violence, une fois de plus. Chadia el-Sanbout, qui travaille à l’Hôpital islamique et vit à proximité, a vécu le drame avec ses enfants, de chez elle. « Nous ne croyions plus que cela pouvait encore se produire à Tripoli, l’atmosphère, dans la ville, en a été bouleversée », dit-elle.Mais c’est dans la rue de Dar el-Tawlid même qu’on a vécu le dernier épisode du drame terroriste le plus intensément. Mirvat est coiffeuse et son salon était plein à craquer, comme cela est prévisible en une veille de Eïd. « Les tirs ont commencé vers 22h30, nous avons mis du temps à réaliser l’ampleur de l’événement, raconte-t-elle. Nous avons été témoins de l’assaut de l’immeuble dans lequel le terroriste s’est réfugié, profitant de sa position en hauteur pour poursuivre son attaque. C’est là, devant nous, que le martyr Hassan Farhat est tombé. Dès que possible, il nous a fallu à toutes, mes clientes et moi, quitter précipitamment le salon : certaines avaient toujours la teinture sur les cheveux. » Mayssa est également coiffeuse dans cette rue, son salon jouxte l’entrée de l’immeuble où s’est réfugié le tueur. « C’était terrifiant, mes clientes ont dû se réfugier dans la salle de bains, relate-t-elle. Vu la proximité de mon salon, les FSI y ont élu domicile temporairement, y transportant leurs blessés. Il y avait du sang partout ! Mais je n’ai pas hésité à accueillir ceux qui nous protègent. » Dans le salon de Mayssa, la porte d’entrée vitrée brisée témoigne de la férocité de la bataille, ainsi que la voiture criblée de balles de la coiffeuse. « Les agents de l’ordre refusaient de nous évacuer de peur de nous exposer aux tirs, mais ils ont fini par nous laisser partir, dit-elle. La fête s’est transformée en drame après la mort de ces vaillants militaires. Que Dieu n’ait aucune pitié envers ce tueur ! Le terrorisme ne connaît pas de religion ! »

« Le sentiment d’insécurité nous quittera difficilement »

L’immeuble où s’est déroulé le drame portait toujours, hier, les stigmates de cette bataille inattendue, notamment au quatrième étage. Un cratère devant la porte d’entrée vient rappeler que des bombes ont été lancées par le terroriste, en possession d’un véritable arsenal. La cage d’escalier de l’immeuble donne l’impression d’une antichambre de l’enfer : lampes dévissées, portes éventrées, débris jonchant le sol, murs noircis, ascenseur explosé…


(Lire aussi : Attaque de Tripoli : l’unité interne contre le terrorisme)


Le véritable témoin du drame a été l’appartement du quatrième étage où le tueur a élu domicile, où sa ceinture explosive a été déclenchée et qui est actuellement en ruines, soufflé par les tirs, l’intervention des forces de l’ordre et la déflagration. L’air y est encore irrespirable, du fait des bombes lacrymogènes utilisées par les forces de l’ordre pour déloger le terroriste. Son propriétaire, Kamal Ferri, n’était pas présent hier, mais il a raconté aux médias, au lendemain du drame, que l’appartement était vide, lui-même étant un commerçant au centre-ville et sa femme ayant heureusement quitté le domicile peu avant. Sur place se trouve le voisin du troisième étage, Hussein Hojeij. Lui a tout vécu avec sa famille et en garde un souvenir traumatisant. « Mon fils était sur le balcon, il a vu le terroriste entrer dans l’immeuble, raconte-t-il. Nous avons juste eu le temps de verrouiller la porte en fer avant qu’il ne se pointe et nous demande de l’introduire dans la maison, sous prétexte qu’il était blessé. Face à notre refus, il a tenté de forcer la porte en tirant sur le cadenas. Heureusement, il n’a pas réussi à l’ouvrir. C’est là qu’il s’est dirigé vers l’appartement du quatrième, dont il a forcé la porte de la même manière. Dieu soit loué, la propriétaire n’était pas présente, sinon il l’aurait prise en otage, ce qui aurait compliqué la tâche des forces de l’ordre et l’aurait exposée à un grand risque. »

Le reste de la scène qui n’a pris fin que vers deux heures, les Hojeij l’ont vécu dans leur appartement, tapis dans le corridor : il était impossible de les évacuer puisque leur porte était bloquée par les dégâts provoqués par les tirs. Il a fallu la forcer après la fin du drame. « Nous avons tout entendu, les coups de feu, les explosions, poursuit Hussein Hojeij. C’était même pire que durant la guerre, nous sommes emplis d’un sentiment d’insécurité qui nous quittera difficilement. Nous avons le sentiment qu’un tel attentat peut survenir à n’importe quel moment, n’importe où, de manière totalement impromptue, ne laissant aux résidents nulle part où se réfugier. »

Les dégâts dans l’immeuble et ses environs sont considérables, mais les habitants ont tous indiqué que le Haut-Comité des secours a déjà inspecté les lieux et fait un inventaire en vue d’éventuelles indemnités. Les conséquences économiques d’un tel épisode sanglant sur la ville sont, eux, beaucoup plus difficiles à évaluer…


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commentaires (7)

QUI L'AURAIT CRU ? CE JEUNE HOMME N'A PAS ENCORE ETE ACCUSE DE CONNIVENCE, DE SCENARIO BIEN CULTIVE, D'ASSOCIATION A TERRORISTES......

Gaby SIOUFI

12 h 31, le 07 juin 2019

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Commentaires (7)

  • QUI L'AURAIT CRU ? CE JEUNE HOMME N'A PAS ENCORE ETE ACCUSE DE CONNIVENCE, DE SCENARIO BIEN CULTIVE, D'ASSOCIATION A TERRORISTES......

    Gaby SIOUFI

    12 h 31, le 07 juin 2019

  • Mettre sa vie en péril pour en sauver d' autres lui aurait valu partout ailleurs une distinction honorifique du plus haut niveau, voire, la nationalité du pays ou il se trouve ! On l' a vu en France, au USA, en GB... Malheureusement il est au LIban. On ne sait meme pas s' il n' aura pas à payer de ses propres deniers son hospitalisation !

    LeRougeEtLeNoir

    11 h 45, le 07 juin 2019

  • LES ENFANTS DE MERE LIBANAISE SONT LIBANAIS. C,EST UNE HONTE QUE DE LEUR REFUSER CE DROIT. BRAVO AU JEUNE HOMME ET BON ET PROMPT RETABLISSEMENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 46, le 07 juin 2019

  • Saber, vous etes un héros et un véritable humain et plus. Merci du fond du coeur.

    Eddy

    09 h 34, le 07 juin 2019

  • Merci à Saber Mrad pour son attitude héroïque à Tripoli ! On lui souhaite de tout coeur un prompt rétablissement. Bien-entendu le gouvernement libanais devrait lui donner la nationalité libanaise, à titre exceptionnel, et en récompense de son geste héroïque, il le mérite vraiment ! Mais...tous le Palestiniens de mère libanaise ne sont pas des héros comme Saber Mrad, et l'octroi de la nationalité libanaise ne devrait jamais se faire sans raison valable. Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 55, le 07 juin 2019

  • On peut que saluer le courage de Saber Mrad dans cette ville de Tripoli ou le terrorisme bat toujours son plein . Bravo.

    Antoine Sabbagha

    08 h 47, le 07 juin 2019

  • Homage a ce jeune homme courageux et patriote. On ne peut en dire autant des libanais de souche. Tout le monde garde en memoire l’indifference et la couardise de nos compatriotes lors de l’assassinat en direct et dans la rue devant multitudes de temoins a Saifi il y a quelques années, d’un quinquagénaire devant sa femme par le conducteur fou de la Kia. Souhaitons que notre gouvernement dans un geste de reconnaissance et d”équité remette la nationalité libanaise a ce hero.

    Cadige William

    07 h 50, le 07 juin 2019

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