Human Rights Watch a appelé vendredi Paris à ne pas "sous-traiter la gestion" des jihadistes français présumés "à des systèmes judiciaires abusifs", après que plusieurs Français jugés et passibles de mort en Irak ont affirmé que leurs "aveux" ont été extorqués sous la contrainte.
Alors que le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian affirme que les sept Français condamnés à mort pour appartenance au groupe Etat islamique (EI) ont bénéficié de "procès équitables", HRW rappelle que "les graves lacunes des procès irakiens, dont la torture, sont bien documentées". Paris, qui dit respecter et ne pas vouloir s'ingérer dans les décisions de la justice irakienne, affirme avoir réitéré auprès de Bagdad son opposition à la peine de mort.
"Si des pays comme la France ne veulent pas que leurs ressortissants soient condamnés à la peine de mort, comme l'ont dit leurs représentants, ils devraient les ramener chez eux pour y faire l'objet d'une enquête et de poursuites", rétorque Lama Fakih, directrice adjointe de HRW pour le Moyen-Orient. "Ces pays ne devraient pas rester les bras croisés pendant que leurs ressortissants sont transférés dans un pays où leurs droits à un procès équitable et à être protégés de la torture sont compromis", ajoute-t-elle.
Lors d'une audience lundi, Fodil Tahar Aouidate a démenti ses "aveux" portés au dossier par l'instruction et obtenus au cours de quatre mois d'interrogatoire en Irak. Ce Français de 32 ans, qui a rejoint la Syrie avec 22 membres de sa famille selon la justice française, a assuré avoir été frappé par ses interrogateurs pour "avouer ce qu'ils réclamaient". Il a montré des marques sur son dos à la cour et le juge a ordonné un examen et réclamé à la médecine légale un rapport qui sera présenté à la prochaine audience dimanche.
Mustapha Merzoughi, un Français de 37 ans condamné à mort, a affirmé à l'audience lundi avoir signé des "aveux" en arabe qu'il n'avait pas pu lire.
(Lire aussi : A Bagdad, propagande, "CV vidéos" et "pardon" aux procès des Français de l'EI)
Mohammed Berriri, un Tunisien de 24 ans transféré de Syrie avec 11 Français et jugé avec eux, a, lui, indiqué avoir fait des "aveux" par crainte de tortures. "J'ai eu peur d'être frappé ou torturé, je suis faible physiquement, je n'aurai jamais supporté", a-t-il lancé au juge qui a demandé à chacun des accusés s'il avait subi des mauvais traitements ou des pressions et s'il avait parlé sous la menace, lors des interrogatoires ou à l'audience.
HRW assure avoir "les preuves que les interrogateurs (irakiens) recourent à diverses techniques de torture qui ne laissent pas de marques durables, comme frapper les suspects sur la plante des pieds et les simulacres de noyade".
En outre, selon l'ONG le système judiciaire irakien "manque constamment à son devoir d'enquêter de façon crédible sur les allégations de torture".
En août 2018, un premier Français transféré de Syrie, Lahcène Gueboudj, 58 ans, avait affirmé à un autre juge antiterroriste avoir "signé des aveux en arabe sans savoir ce qui était écrit". Il avait été condamné à la prison à perpétuité.
Fin janvier, 11 autres Français ont été transférés vers l'Irak par les forces kurdes anti-EI car ils ne peuvent être jugés en Syrie, les forces kurdes n'étant pas un Etat et Paris n'entretenant pas de relations diplomatiques avec Damas. Paris s'est plusieurs fois dit contre leur retour en France où la question suscite un vif débat. Pour HRW, "ces transferts sont illégaux en raison du risque de torture et d'absence de procès équitables" en Irak qui a condamné depuis début 2018 plus de 500 étrangers de l'EI.
Aucun de ceux condamnés à mort n'a été exécuté. Parmi eux, une Allemande a vu sa sentence commuée en appel en peine de prison à perpétuité.
Bagdad s'est récemment proposé de juger le millier d'étrangers toujours détenus en Syrie, contre deux millions de dollars par personne, réclamés à leurs Etats d'origine.
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POUR HRW PEUT-ETRE LES EGORGEMENTS DE CIVILS SYRIENS ET IRAQUIENS PAR LES MEMBRES DE L,E.I. ETAIENT EQUITABLES ? OU ETAIENT-ILS QUAND L,E.I. EGORGEAIT ?
14 h 21, le 31 mai 2019