Jared Kushner n’a clairement pas le sens du timing. Le gendre et conseiller du président américain Donald Trump, accompagné de l’émissaire spécial pour la région Jason Greenblatt ainsi que de l’émissaire américain pour l’Iran Brian Hook, est arrivé hier à Jérusalem en plein tumulte politique pour discuter avec les Israéliens de son plan de paix pour la région.
La dissolution de la Knesset, votée mercredi soir moins de deux mois après avoir été élue, compromet sérieusement le projet américain déjà mis à mal à plusieurs reprises ces derniers mois. « C’est la mort du plan de paix », écrivait hier le Jerusalem Post, évoquant l’incapacité de Benjamin Netanyahu à former un gouvernement et la tenue de nouvelles élections le 17 septembre.
« Nous avons eu un petit incident la nuit dernière. Cela ne nous arrêtera pas et nous continuerons à travailler ensemble. Le président américain Trump rapproche les alliés de la région face aux défis à relever », a assuré M. Netanyahu lors d’une rencontre avec l’émissaire américain hier. M. Kushner a déclaré à son interlocuteur apprécier « tous » ses efforts pour renforcer les relations entre les deux pays. « Cela n’a jamais été aussi solide », a-t-il souligné. La conférence à Manama en juin sur les aspects économiques du futur plan de paix américain pour le Proche-Orient est confirmée, a annoncé hier le département d’Etat américain.
Si ces déclarations tentent de dissimuler le malaise, le « plan du siècle » tant attendu depuis de longs mois est sérieusement menacé. « Ce prétendu deal est en passe de se transformer en fiasco diplomatique du siècle », estime Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’USJ, contacté par L’OLJ. En 2017, le gendre du milliardaire américain s’était vu confier la tâche ardue de parvenir au deal du siècle, sur lequel les précédentes administrations se sont toutes cassé les dents. Lors de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, le président américain avait annoncé que le plan de paix serait dévoilé en janvier 2019. Or, la dissolution de la Knesset en décembre 2018 a poussé les Américains à reporter l’échéance après les élections israéliennes du 9 avril, misant sur une victoire de l’allié et ami Benjamin Netanyahu. Quinze jours avant le scrutin, M. Trump annonçait reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, dont l’annexion en 1981 n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. « Je pense que nous avons une meilleure chance d’aboutir – à “l’accord ultime” – maintenant que Bibi a gagné », avait déclaré le président américain lors de l’annonce des résultats. Deux semaines après les élections, Jared Kushner avait annoncé qu’il allait dévoiler le « deal du siècle » promis par Donald Trump après le ramadan, qui prend fin autour du 4 juin. Sur Twitter mardi, Donald
Trump s’est dit « espérer que les choses se passeront bien avec la formation de la coalition israélienne ». Car le temps presse du côté de Washington qui veut à tout prix dévoiler son plan avant le début de la campagne électorale américaine de 2020.
(Lire aussi : Jared Kushner à Amman en quête d’appui à son plan de paix israélo-palestinien)
Amman sceptique
La tenue de nouvelles élections en Israël le 17 septembre prochain pose la question d’un nouveau report de l’annonce du plan, d’autant que ce dernier pourrait être considéré comme trop sensible pour être présenté pendant une nouvelle campagne électorale. D’autre part, sans gouvernement israélien avec qui discuter, difficile aujourd’hui de vendre un projet, qui plus est rejeté depuis le début par l’autre camp concerné. La partie palestinienne a clairement fait savoir qu’elle rejetait le plan, affirmant que les démarches du président américain prouvaient un parti pris flagrant en faveur d’Israël, comme la reconnaissance américaine fin 2017 de Jérusalem comme capitale d’Israël, ou la suppression des aides aux Palestiniens. Les dirigeants palestiniens ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne participeront pas au sommet de Manama le mois prochain.
« Cette impasse était parfaitement prévisible, car elle vient du fait qu’on a tenté de sacrifier les droits des Palestiniens sur l’autel d’un rapprochement entre Israël et les pays du Golfe, et qu’on a encore une fois voulu privilégier la logique économique, celle de Jared Kushner, qui est une logique de banquier d’investissements au détriment de la question de fond qui est un problème territorial et encore plus une question de dignité nationale pour les Palestiniens », poursuit Karim Bitar. M. Kushner espérait susciter l’adhésion d’une partie des Palestiniens à son plan en faisant miroiter la promesse d’un véritable développement économique. Riyad, Abou Dhabi et Doha ont annoncé leur participation à la conférence de Manama, mais le conseiller américain s’est heurté mercredi à la réticence de Amman, qui n’a pas encore confirmé sa présence ou non à Bahreïn. Le roi Abdallah II de Jordanie a insisté devant le responsable américain sur « la nécessité de multiplier les efforts pour aboutir à une paix globale et durable fondée sur la solution à deux États (israélien et palestinien) qui garantirait l’établissement d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale », selon un communiqué du palais. Or, cette solution à deux États est ostensiblement écartée des discours officiels américains depuis deux ans. « Il y a des chances infimes que ce projet en l’état puisse voir le jour », conclut Karim Bitar.
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....""Quinze jours avant le scrutin, M. Trump annonçait reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan, dont l’annexion en 1981 n’a jamais été reconnue par la communauté internationale."" La faiblesse du camp palestinien n’explique pas tout ! En face, un pays par sa suprématie, la seule ""conscience"" professionnelle de son armée multiplie les conquêtes, imposant des faits accomplis, et passe outre la reconnaissance de la communauté. Comment apparaît alors la reconnaissance de Monsieur Trump sur al Qods, et le Golan ? A part le soulèvement des passions par ce parti pris, elle n’est que pis-aller, faute de mieux disons, qu’Israël n’a besoin que pour confirmer la solidarité entre alliés. Le scandale est là : Nous sommes enlisés dans des guerres, et nous cherchons à nous sauver tel qu’on est, après avoir compris que le combat n’a aucun sens, aucun intérêt, car aucune chance de succès, sauf à nous conduire tout droit vers la défaite, la bastoche… C.F.
11 h 40, le 31 mai 2019