Ce n’est pas un hasard si dans tous ses entretiens avec des responsables ou des délégations étrangères, le chef de l’État Michel Aoun évoque la spécificité du Liban et la nécessité de la préserver. Pour le locataire de Baabda, la diversité communautaire au Liban, qui regroupe toutes les confessions chrétiennes et musulmanes, est une richesse incomparable dans ce monde qui se radicalise et qui est plus que jamais en proie à la violence. Pour le président, l’existence du Liban, ce petit espace géographique où les représentants de toutes les confessions et communautés parviennent à s’asseoir à une même table, à dialoguer et même à se partager un système de pouvoir consensuel unique au monde, est un besoin pour le monde entier. Or c’est justement ce modèle qui est actuellement menacé, car prises par des considérations d’intérêts matériels et politiques, les puissances internationales et régionales ne mesurent plus l’importance de ce pays unique à cause de sa composition démographique.
Ce tissu social, formé d’un équilibre fragile entre les différentes communautés, a donné naissance à un accord entre elles pour se partager équitablement le pouvoir, car la grande force du Liban est qu’aucune communauté n’y est majoritaire. Si cet équilibre devait changer, l’ensemble de l’accord au sujet du partage du pouvoir pourrait être remis en question. C’est cette crainte qui dicte principalement la position du chef de l’État à toutes les tribunes du monde lorsqu’il réclame le retour des déplacés syriens chez eux et rejette en même temps l’implantation des Palestiniens au Liban.
L’idée est simple : indépendamment de la question du droit de retour à la terre nationale, le Liban avec sa composition fragile ne peut pas supporter un rajout de près d’un demi-million de Palestiniens en majorité sunnites et d’un million et demi de Syriens appartenant en majorité à la même communauté. Cela créerait un déséquilibre qui pourrait changer totalement le système de gouvernance et le visage du pays.
Hier encore, le président a développé ces idées devant une délégation du Conseil des Églises du Moyen-Orient, insistant sur l’importance de préserver la présence des chrétiens dans la région et au Liban, d’abord parce qu’ils sont issus de cette terre, et ensuite parce que leur présence y est un facteur de stabilité et d’enrichissement culturel, spirituel et économique.
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Le président Aoun ne rate d’ailleurs pas une occasion d’évoquer cette question avec ses interlocuteurs étrangers, car il estime que le moment politique actuel est de la plus grande gravité.
D’abord, ce qui est en train de filtrer de ce qu’on appelle le « deal du siècle », en référence au plan de paix pour le Proche-Orient préparé par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, et qui sont des idées lancées pour préparer le terrain à la proposition finale qui devrait être annoncée le mois prochain, montre qu’il n’y a aucune possibilité de permettre aux Palestiniens de rentrer chez eux. Par conséquent, le projet est de les implanter dans les pays d’accueil.Cela signifie dans ce contexte que le Liban devrait garder les réfugiés palestiniens sur son sol et les considérer comme ses propres citoyens. Certes, la Constitution libanaise rejette l’implantation, mais ceux qui préparent « cette solution » n’en tiennent aucun compte. Selon certaines analyses, le fait d’appauvrir l’État et de le faire crouler sous les dettes externes pourrait être un moyen de lui imposer ultérieurement la décision d’accepter l’implantation des Palestiniens.
Selon des sources proches de certaines organisations palestiniennes, des ONG internationales et arabes seraient actuellement en train de distribuer des formulaires aux Palestiniens dans les camps du Liban pour procéder à un vaste recensement qui serait un prélude à leur implantation. D’ailleurs, des Palestiniens eux-mêmes, interrogés par des journalistes, ont révélé qu’on leur avait dit que ces formulaires sont le premier pas vers leur implantation au Liban. Comme c’est le cas dans ce genre d’arrangements, de grosses sommes seraient promises au Liban et aux Palestiniens pour gérer l’implantation. Mais les fonds ne peuvent pas compenser la perte de l’essence même du Liban.
Selon les sources précitées, le problème aujourd’hui, c’est que le président américain et son administration veulent à tout prix résoudre rapidement le problème israélo-palestinien. Toute leur politique dans la région tourne autour de ce point, dans le but d’éliminer tous les obstacles qui pourraient entraver l’exécution de leur plan de solution qui passe nécessairement par l’implantation des réfugiés palestiniens dans les pays d’accueil. Dans ce contexte, il leur importe peu que le Liban, dans sa formule actuelle, disparaisse au profit d’un autre pays qui ressemblerait aux autres États de la région. C’est aussi dans ce même esprit qu’ils s’opposent au retour des déplacés syriens chez eux car cela renforcerait, selon eux, le régime syrien qui refuse jusqu’à présent tout compromis avec les Israéliens sur le Golan.
Dans ce contexte compliqué et grave, le président Aoun cherche à écarter le spectre de l’implantation et de la transformation du tissu social libanais. Il garde la boussole, alors que les Libanais sont plongés dans les problèmes du quotidien sur fond de crise économique et de projet de loi sur le budget avec des mesures d’austérité apparemment à double vitesse.
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C’est aux pays du Golfe d’ouvrir leur portes à des visas de travail pour les réfugiés syriens et palestiniens alors qu’ils importent des travailleurs de partout d’Asie et d’Afrique? Aux Russes et aux Iraniens de financer la reconstruction en Syrie et le rapatriement des réfugiés. Le comble est que les Russes demandent un financement occidental à rétablir un régime meurtrier. C’est le théâtre de l’absurde et la presse locale et occidentale ne dit rien ou très peu (ipso facto les articles de Mme Haddad)
20 h 32, le 12 mai 2019