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Moyen Orient et Monde - Reportage

« L’archéologie évangélique soutient l’occupation israélienne » en Cisjordanie

Des archéologues évangéliques ont fait des territoires palestiniens leur terrain de jeu pour retrouver les traces de prétendus sites bibliques. Leur but : démontrer l’authenticité de leur vision messianique du christianisme, avec pour conséquence de légitimer l’occupation militaire israélienne.

Alexander Wiegmann, directeur des fouilles pour l’autorité des antiquités israéliennes, à Jérusalem. Ronen Zvulun/Archives Reuters

Une journée de fouilles archéologiques commence toujours par une lecture de la Bible. « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie », répète le groupe de vingt chrétiens évangéliques, en majorité américains. Il est à peine cinq heures du matin à Jérusalem, l’heure pour les Associates for Biblical Research de monter à bord d’un bus en direction de Tel Shiloh, en Cisjordanie. C’est là, disent-ils, que le tabernacle originel – la tente qui abritait l’arche d’alliance à l’époque de Moïse – aurait reposé pendant près de quatre siècles.

Le site est baigné dans une douce lumière matinale. Le visage couvert d’un chapeau de cow-boy beige et de lunettes de soleil, le Dr Scott Stripling, chef d’équipe, affiche un sourire éclatant. S’il correspond à l’image hollywoodienne surannée d’un archéologue, son travail est pourtant loin d’être conventionnel. Fiers évangéliques, ce Texan et son équipe estiment que la Bible doit être lue littéralement et peut servir de manuel à leurs recherches archéologiques.

« La Bible est-elle un document historique fiable ? J’ai des confrères israéliens qui ne sont pas d’accord, mais moi je pense que oui », explique-t-il, parlant de « préjugés » contre l’Ancien Testament qui, selon lui, n’a pas moins de valeur historique que les textes de l’Égypte ancienne ou de Mésopotamie. « Je ne me balade pas avec une Bible dans une main et une pioche dans l’autre, se justifie Scott Stripling. Je suis religieux, mais ça ne signifie pas que je suis biaisé. Je suis capable de compartimenter. » C’est la troisième année de fouilles dans la colonie de Tel Shiloh, située dans la zone C de la Cisjordanie, soumise à un contrôle israélien total, et M. Stripling espère trouver de nouveaux indices qui pourront confirmer que le mythique tabernacle a bien un jour reposé ici. L’année dernière, ils avaient déjà découvert une grenade en céramique, un fruit symboliquement associé au sanctuaire sacré. Emeline et Perry Ginhart, un couple d’Américains fraîchement mariés, espèrent faire d’autres découvertes qui les aideront à soutenir l’authenticité de leur vision messianique du christianisme. Sous le soleil brûlant, le couple passe sa lune de miel à examiner le parterre dont il est en charge. « En aidant Israël, nous aidons notre cause. Notre Créateur nous a donné ces terres pour que nous en prenions soin », se félicite M. Ginhart.



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Une relation interreligieuse opportuniste
« Je vois souvent des Américains idiots qui payent des fortunes pour venir grattouiller la terre. C’est tout simplement de l’archéologie confessionnelle. C’est ça le mot-clef. Et dès lors qu’elle est confessionnelle, elle s’éloigne de l’orbite de la science », assène amer un archéologue européen actif au Proche-Orient. « Les évangéliques et l’archéologie, ce sont des contes de Perrault. Ça n’a aucun sens. Il faut que l’armée israélienne arrête le massacre archéologique dans les territoires », implore ce spécialiste, qui souhaite rester anonyme.

Les pièces déterrées à Tel Shiloh sont ramenées chaque jour à Jérusalem, avant d’être analysées en collaboration avec l’agence gouvernementale chargée du patrimoine dans un processus pour le moins opaque. À la mi-mai, la Cour suprême a statué qu’Israël n’était pas obligé de divulguer des informations sur les fouilles archéologiques menées en Cisjordanie, rejetant un appel de deux organisations non gouvernementales. Depuis la convention de La Haye de 1954, il est pourtant interdit de fouiller dans un territoire occupé, sauf en cas de menace sur le patrimoine. Un argument régulièrement utilisé par Scott Stripling pour justifier ses travaux. « Tout ce que nous trouvons est stocké en Israël, et si une solution politique au conflit est trouvée, les responsables du territoire auront alors accès aux objets. Mais je serai mort avant que ça n’arrive », dit-il en riant.

Leah Tramer, l’une des rares Israéliennes de l’équipe, collabore régulièrement avec les évangéliques américains qui viennent creuser dans la région et pour qui la « Judée et Samarie » – le nom biblique de la Cisjordanie – est une extension naturelle de l’État d’Israël. « C’est merveilleux que des chrétiens nous aident à redécouvrir notre passé », se réjouit cette assistante à l’Université d’Ariel, située dans une grande colonie. La relation interreligieuse qui existe entre certains juifs israéliens et des « chrétiens sionistes » est parfois qualifiée par ses critiques d’opportuniste. Un sous-ensemble de la communauté évangélique étant convaincu de la signification biblique du retour des juifs sur la terre de leurs ancêtres, préambule prophétique indispensable au retour du Messie et à la fin des temps, tandis que les Israéliens sont à la recherche d’alliés pour légitimer leur occupation militaire vieille d’un demi-siècle.



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L’archéologie comme outil politique
S’il ne fait aucun doute que les juifs ont un lien historique avec la Cisjordanie, c’est la façon dont les découvertes archéologiques sont instrumentalisées pour éclairer le patrimoine d’un peuple plutôt qu’un autre pour des raisons politiques et idéologiques qui est source de controverse. « Israël utilise l’archéologie comme outil politique à Jérusalem-Est et en Cisjordanie pour tenter de justifier sa présence. Cela explique pourquoi ils travaillent avec des évangéliques, qui soutiennent le même récit », analyse Yonathan Mizrachi, directeur de l’ONG israélienne Emek Shaveh, l’une des deux organisations signataires de la pétition déboutée par la Cour suprême. « Les évangéliques ne font pas de la recherche pour le bénéfice de la communauté locale, mais pour leur propre bénéfice et pour soutenir l’occupation, » assène-t-il.

En 2013, Scott Stripling avait trouvé à Khirbet el-Maqatir des restes humains qu’il estimait être des juifs tués pendant la grande révolte contre Rome il y a environ 2 000 ans. Il les a ensuite remis à la colonie d’Ofra, qui les a enterrés en secret en 2017. « L’inhumation a servi de symbole pour les résidents, selon lesquels la colonie – illégale en vertu du droit international – n’est en fait qu’une continuation de l’ancienne implantation juive historique sur cette terre », estime Michael Press, un expert en archéologie en Israël et dans les territoires palestiniens. « Le fait que les résultats de ces fouilles servent à renforcer le contrôle israélien sur la Cisjordanie est très dommageable. Mais il n’y a pas d’institution pour faire respecter le droit international et personne ne veut exercer de pression, donc rien ne changera. »

De nombreux autres sites à travers les territoires occupés ont soulevé la controverse, comme la « cité de David », un complexe archéologico-touristique censé être, selon les références bibliques, l’emplacement d’origine de Jérusalem à l’époque du roi David, il y a 3 000 ans. Depuis son exploitation, ce site n’aura de cesse d’alimenter les polémiques en raison de son emplacement en plein cœur du quartier palestinien de Silwan, à Jérusalem-Est. Surtout, le site est administré par une organisation privée controversée, Elad, à l’objectif explicite : « la revitalisation résidentielle », un euphémisme qui désigne une politique assumée de colonisation avec l’implantation de familles juives israéliennes dans le quartier.



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« Jamais plus important que les gens qui vivent à la surface »
D’après la population palestinienne locale, les fouilles archéologiques menées en sous-sol ont sévèrement endommagé une quinzaine d’habitations. Mazen Aweida, 48 ans, montre d’un geste las les fissures épaisses qui courent le long des murs de sa maison. L’évier de la cuisine est à moitié effondré, et le sol de la chambre est tellement gondolé qu’il semble près d’exploser. « J’ai des enfants en bas âge, et j’ai peur que des débris ne tombent sur eux. Ça me stresse énormément. J’ai toujours peur que mon fils soit blessé », murmure ce père de sept enfants en jetant un regard vers son petit garçon, assis à côté d’une cicatrice béante qui file du sol au plafond. « La seule option, c’est qu’ils trouvent une solution pour stopper la dégradation. En tout cas, je ne partirai pas, même si la maison s’effondre sur nous, » prévient Mazen Aweida.

Question de principe : certains résidents estiment aujourd’hui que les fouilles archéologiques font partie d’une stratégie visant à chasser les habitants palestiniens pour prendre le contrôle de leurs terrains. Contactée à plusieurs reprises, la direction d’Elad n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Elle avait par le passé déjà balayé ces allégations d’un revers de la main, niant toute forme de responsabilité dans la détérioration de maisons palestiniennes. « Ils ont le droit de rechercher des vestiges de leur histoire – si tant est que de tels vestiges existent bien à cet endroit, estime Sahar Abassi, coordinatrice dans un centre social de Silwan. Mais quoi qu’ils trouvent dans le sous-sol, ce ne sera jamais plus important que les gens qui vivent à la surface. »

À 13h tapantes, le son d’un chofar, un cor traditionnel juif, résonne à travers les collines rocheuses de Tel Shiloh pour marquer la fin de la journée. Les participants seront de retour à l’aube à la recherche du tabernacle, bien qu’ils n’aient encore rien trouvé de concluant. Peu importe. « L’absence de preuve, prévient M. Stripling, n’est pas la preuve d’une absence. »



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Une journée de fouilles archéologiques commence toujours par une lecture de la Bible. « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie », répète le groupe de vingt chrétiens évangéliques, en majorité américains. Il est à peine cinq heures du matin à Jérusalem, l’heure pour les Associates for Biblical Research de monter à bord...

commentaires (4)

Il y a toujours eu , et il y aura toujours, un lien étroit entre identité et culture/réligion et histoire et archéologie. Un exemple c'est les recherches en Egypte qui ont endommagé les sites coptes car les archéologes ne s'intéressaient que dans l'Egypte antique des pharaos. Et un autre exemple j'ai lu qu'en Iran dans les années 1920-1930 il y a eu une recherche sur l'histoire antique de l'Iran dans une politique de laïciser les institutions iraniennes. Les archéologes semblent parfois simplement vouloir voir seulement ce qu'ils veulent trouver, et pas ce qu'il y a vraiment ... Mais n'est-ce pas le cas partout ?

Stes David

20 h 47, le 28 mai 2019

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Commentaires (4)

  • Il y a toujours eu , et il y aura toujours, un lien étroit entre identité et culture/réligion et histoire et archéologie. Un exemple c'est les recherches en Egypte qui ont endommagé les sites coptes car les archéologes ne s'intéressaient que dans l'Egypte antique des pharaos. Et un autre exemple j'ai lu qu'en Iran dans les années 1920-1930 il y a eu une recherche sur l'histoire antique de l'Iran dans une politique de laïciser les institutions iraniennes. Les archéologes semblent parfois simplement vouloir voir seulement ce qu'ils veulent trouver, et pas ce qu'il y a vraiment ... Mais n'est-ce pas le cas partout ?

    Stes David

    20 h 47, le 28 mai 2019

  • DES IDIOTS OU DES HEBETES C,EST LA MEME CHOSE. L,IDIOTIE ET L,HEBETUDE SONT DES JUMEAUX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 51, le 28 mai 2019

  • La grosse blague! Et pourquoi donc, nous tous, homosapiens, me rentrons pas en Afrique pour réclamer nos terres d'origine? Le ridicule ne tue plus mais devient une marque déposée! Déposée au fin fond du ridicule.

    Wlek Sanferlou

    15 h 15, le 28 mai 2019

  • Mais oui, on rapporte ceci comme un fait divers, mais personne ne réalise le danger que représentent ces illuminés et dont le nombre n’est pas négligeable! En effet, ces born again, fondamentalistes, extrémistes qui croient que la terre a 4000 ans d’âge constituent la majorité de la population de la Bible Belt du Sud des États Unis, fervents supporters de Donald Trump et qui versent chaque année des milliards de dollars d’aide à Israël car: 1- ils se sentent une obligation biblique de supporter les juifs, peuple élu de Dieu où il est écrit que Dieu maudira celui qui les maudit et bénira celui qui les béni! 2- ils croient ferme dans les pseudo prophéties du retour des juifs vers la terre promise, vont faire un jardin du désert, rebâtir le temple de Salomon (ou se situe la mosquée al-Aqsa), suivi d’une guerre horrible de la bataille de l’armageddon avec des fleuves de sang dans le Jourdain avant la venue du Messie pour les juifs et le second retour du Christ pour les autres: d'où concordance d’intérêts... 3- ce sont ces extrémistes hyper fanatiques et bornés qui, avec leur contrepartie juive ultra orthodoxe sont encore plus dangereux que les terroristes d’Al-Qaida et de Daech pour qui, tous leurs voisins ne sont qu’une bande de paiens que Dieu leur avait ordonné de détruire.... Il est temps que les arabes se réveillent à ce danger réel, subtil et qui expliquerait une partie de la politique américaine actuelle dans la région!

    Saliba Nouhad

    14 h 58, le 28 mai 2019

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