Rechercher
Rechercher

Lifestyle - PORTRAIT

À la recherche d’une identité commune...

Le patrimoine pourrait jouer un rôle dans le renforcement de la citoyenneté au Liban. Tel est l’esprit du colloque organisé au Sénat à Paris par l’association française Patrimoine-Tripoli-Liban (PTL) présidée par Joumana Chahal Timery.

La sénatrice Christiane Kammermann (à g.) et Joumana Chahal Timery, lors du colloque au Sénat. Photo DR.

Pour Joumana Chahal Timery, présidente de l’association française Patrimoine-Tripoli-Liban (PTL), le patrimoine ne relève pas d’une élémentaire nostalgie du passé. C’est un facteur essentiel dans l’élaboration du sentiment national et de la mémoire collective. Au regard de la conjoncture du pays souffrant d’une crise économique, d’aucuns estimeront que le moment n’est pas opportun à cette urgente sauvegarde des « vieilles pierres », alors que nous entamons une politique d’austérité et qu’il y a d’autres causes sociales qui méritent la mobilisation.

C’est oublier que ces lieux culturels et touristiques sont non seulement source de richesses économiques, mais surtout le symbole de l’identité nationale, et que leur préservation ne relève pas uniquement d’une institution (ministère), elle est le devoir de tout Libanais. « Conserver un patrimoine, c’est un peu porter l’avenir, passer le relais entre générations », dit Joumana Chahal Timery. Pour cela, elle est déterminée à battre le rappel. « La situation géopolitique extrêmement compliquée et les changements démographiques importants au Liban et dans la région mettent le patrimoine en danger ainsi que sa politique de préservation », a-t-elle affirmé dans son discours, lors du colloque qu’elle a organisé début mai à la salle Clemenceau au Sénat, palais du Luxembourg.


L’histoire pour lecture
« Il y a une volonté commune de vivre ensemble, mais chaque communauté a sa propre réflexion sur la question. Depuis la fin de la guerre civile, il n’y a même pas de livre d’histoire. Comment trouver une identité commune à des individus qui revendiquent des appartenances multiples ? La diversification des appartenances, la liberté de se définir à sa guise, ont pour toile de fond l’individualisme et le recul des solidarités. Or le besoin de rapports fusionnels est inscrit dans la nature humaine, et il faudrait, comme le dit Tzevtan Todorov, être aveugle pour croire que cette appartenance (au groupe) est inutile et négligeable », a ajouté Mme Timery. Des tables rondes dirigées par le journaliste et écrivain Walid Chmaït et par l’historien et ancien rédacteur en chef du magazine Qantara de l’IMA, François Zabbal, ont réuni historiens, archéologues et chercheurs, français et libanais, qui se sont penchés sur le rôle du patrimoine dans le renforcement de la citoyenneté. Parmi eux : Dominique Fort Schneider, secrétaire générale d’Icomos France ; Sophie Cluzan, conservatrice en chef du patrimoine au département des antiquités orientales du musée du Louvre; Henri Simon, président de l’association Patrimoine sans frontières; l’architecte et restaurateur Mazen Haïdar ; Colette Saba-Touzain, chercheuse et consultante en politique de conservation et de valorisation du patrimoine ; Bariza Khiari, vice-présidente du Conseil de fondation de l’Alliance pour la réhabilitation du patrimoine dans les zones de conflits (ALIPH) ; ainsi que l’écrivain Bahjat Rizk, attaché culturel à la délégation permanente libanaise auprès de l’Unesco à Paris. Lors de son intervention, ce dernier a fait observer que le patrimoine partagé est le projet idéal pour donner à l’être humain sa dignité et ses droits complets. Ceux-ci le protégeraient des transgressions idéologiques et confessionnelles lors des crises politiques. Pour Bahjat Rizk, le patrimoine devrait servir à structurer l’identité et à valider sa légitimité à travers une lecture objective de l’histoire.

L’événement s’est déroulé en présence de nombreuses personnalités, dont Dominique de Legge, président du groupe interparlementaire d’amitié France-Liban et sénateur d’Ille-et-Vilaine, qui a prononcé le mot d’ouverture du colloque insistant sur l’intérêt que la France porte pour le Liban et sur le rôle du patrimoine dans la construction de la citoyenneté. Dans l’assistance, l’ambassadeur d’Irak Hamed el-Husseini, le chef de la mission de Palestine Salman el-Shérif, la sénatrice Christiane Kammermann, Hicham Chaïb, responsable patrimoine à la délégation permanente libanaise auprès de l’Unesco à Paris, et d’autres encore.



(Pour mémoire : Pourquoi s’acharne-t-on sur notre patrimoine ?)



Tripoli pionnière dans l’enseignement du patrimoine
Qui est Joumana Chahal Timery ? C’est d’abord et depuis toujours une passionnée de culture, d’histoire, de patrimoine. Elle est diplômée en littérature du Moyen Âge, spécialiste des poésies lyriques occitanes et arabo-andalouses des XIe et XIIe siècles, auteure de Elisabethville ou la plage de Paris sur Seine, ouvrage publié par le Conseil régional d’Île-de-France. Depuis dix ans, cette femme originaire de Tripoli milite en faveur de la conservation et la mise en valeur du patrimoine de Tripoli, qui est non seulement la vitrine des Mamelouks, mais le dépôt d’un patrimoine riche et divers, laissé par les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Ottomans et les Français. Sur ce sujet, elle est intarissable. L’on comprend qu’elle ne mâche pas ses mots face au constat alarmant de l’érosion de l’héritage. Elle dénonce une civilisation contemporaine avide de rentabilité, qui laisse disparaître les traces des sociétés qui nous ont précédés, et qui témoignent de notre héritage identitaire et culturel.

Le programme éducatif Tourathi-Tourathak, enseigné depuis 2015 dans les établissements scolaires au Liban-Nord et notamment à Tripoli, c’est elle qui l’a élaboré avec le soutien de Patrimoine sans frontières et du ministère de l’Éducation. C’est elle aussi qui a initié les Journées du patrimoine dans la capitale du Nord. Ces manifestations, prévues cette année les 7, 8 et 9 juin, sont accompagnées de la présentation des travaux d’élèves, d’expositions de photos, de documentaires, de débats et tables rondes sur les perspectives d’avenir du patrimoine. « Proportionnellement à sa taille, le Liban est l’un des pays du Moyen-Orient où il y a le plus de concentration de patrimoine. Les Libanais doivent être fiers de la richesse de cet héritage et doivent s’unir pour le mettre en valeur, s’en occuper et le protéger », dit Joumana Chahal Timery.

Cependant, il y a un certain retard dans la reconnaissance du patrimoine comme un bien commun, estime en substance Sophie Cluzan, conservatrice générale du patrimoine au département des antiquités orientales du musée du Louvre. Selon elle, ce retard est dû à la situation politique du pays depuis même l’indépendance. Sont venus ensuite s’ajouter la guerre de 1975, les difficultés et obstacles rencontrés aux niveaux local et régional, les incidences religieuses, l’existence des complications au sein de la communauté ou entre ses membres et la différence de leurs intérêts, sans oublier le rejet du triste passé et le recours collectif à l’oubli.

Dominique Fort Schneider, secrétaire générale d’Icomos France, affirme, pour sa part, qu’il est impossible qu’une personne ne ressente pas une tristesse quand un site patrimonial est démoli. Elle a donné à titre d’exemple l’incendie qui a ravagé une partie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Cet incident a ému et même bouleversé des personnes de toutes les religions et de toutes les tendances. L’altération d’un site patrimonial équivaut à la perte de la culture d’un pays et d’un peuple. C’est pour cette raison que la reconstruction de l’édifice est une responsabilité envers les générations futures, dans la mesure où elle est un témoignage de leur passé.

Dans ce cadre, tous les fils de Tripoli sont appelés à mettre la main à la pâte afin que la métropole du Nord retrouve son cachet d’ouverture, de dialogue, de convivialité et de liberté.

Pour Joumana Chahal Timery, présidente de l’association française Patrimoine-Tripoli-Liban (PTL), le patrimoine ne relève pas d’une élémentaire nostalgie du passé. C’est un facteur essentiel dans l’élaboration du sentiment national et de la mémoire collective. Au regard de la conjoncture du pays souffrant d’une crise économique, d’aucuns estimeront que le moment n’est pas...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut