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Liban - Portrait

Anne Frangié, ou l’engagement pour la lutte contre le cancer

La présidente de Faire Face souhaite que l’ONG grandisse encore plus pour atteindre un plus grand nombre de patients dans toutes les régions.

Anne Frangié, une dame au grand cœur. Photo DR

Une dame au grand cœur. C’est ainsi que les personnes qui l’ont connue de près et celles qui travaillent avec elle la perçoivent. C’est que, derrière une apparence qui peut paraître distante, se cache une femme authentique et sincère engagée pour une cause : la lutte contre le cancer. Anne Frangié, qui a côtoyé la maladie pendant de longues décennies, assistant son mari, l’ancien député Samir Frangié, décédé il y a deux ans, consacre son temps depuis plus de vingt ans à aider, à travers l’association Faire Face qu’elle préside depuis 2004, les personnes souffrant de cancer sur les plans moral et matériel, mais aussi à œuvrer à la prévention de certaines formes de la maladie, notamment les tumeurs mammaires, et à briser les tabous qui l’entourent.

Si la maladie de son mari l’a poussée sur cette voie, il faut dire que l’éducation qu’elle a reçue la préparait déjà au travail social. Enfant, son père lui apprenait des poèmes alors qu’elle n’avait que six ans, « notamment ceux de Georges Schéhadé, qui était un grand ami de la famille ». « J’ai moi-même écrit des poèmes et j’ai eu le prix du poème interscolaire et universitaire, se souvient Anne Frangié. J’ai vécu dans une atmosphère de littérature, de musique, d’art et de culture et par conséquent d’humanisme, parce que la culture entraîne l’humanisme et le souci de l’autre. Ma famille n’a jamais été confessionnelle, ce qui m’a permis de m’ouvrir vers toutes les idées à l’époque révolutionnaire et progressiste. Par la suite, cela a permis la fusion avec les idées de Samir. »

Mariée en 1970 à Samir Frangié, qu’elle a rencontré dans le cadre de l’action politique estudiantine, tous les deux défendant les mêmes causes à savoir « la liberté, l’égalité et les droits des plus opprimés », mère de deux enfants, Anne Frangié a débuté sa carrière professionnelle dans le journalisme. Elle a ainsi été à L’Orient, puis à Télé-Liban et enfin au journal al-Safa (deuxième journal de langue française dirigé par René Ajoury, ancien rédacteur en chef de L’Orient), où elle s’occupait des pages arabes et internationales. « Avec Samir, Lucien George et Joseph Chami, nous avons fondé les Fiches du monde arabe dont je me suis occupé pendant une certaine période, se rappelle-t-elle. J’ai par ailleurs dirigé Les éditions orientales, une maison d’édition en langue arabe que j’avais fondée. »


(Pour mémoire : Elissa raconte, en chanson, sa bataille contre le cancer)


Faire Face
Sa vie a pris un autre tournant à partir de 1997, date à laquelle elle a intégré l’équipe de Faire Face. « Samir a été diagnostiqué d’un cancer en 1994 et nous avons été aux États-Unis où il s’est fait soigner, confie Anne Frangié. Lors de ce séjour, j’ai découvert l’importance des associations qui s’occupent des personnes ayant un cancer et qui sont principalement formées de bénévoles et de survivants au cancer. Elles nous ont été d’une grande utilité. Elles ont surtout réussi à dédramatiser le cancer, alors qu’au Liban nous avions mal vécu l’annonce de la maladie.

De retour à Beyrouth, j’ai cherché à trouver si de telles associations existaient. J’ai découvert dans les pages de L’Orient-Le Jour un article sur Faire Face. J’ai immédiatement rejoint l’équipe et depuis je m’y consacre. » Un choix qu’elle ne regrette nullement, « d’autant que les patients ont besoin d’une présence ». D’ailleurs, c’était la raison d’être de l’ONG qui a été créé par un oncologue, Michel Saadé, dans le but d’accompagner les malades et de leur assurer un espace d’écoute où ils pouvaient se rencontrer et échanger leurs soucis. « Mais les patients avaient du mal à venir nous voir, nous avons alors décidé en 2002 d’aller vers eux, raconte Anne Frangié. C’est ainsi que nous nous sommes introduits à l’Hôtel-Dieu où nos bénévoles sont au chevet des patients à l’hôpital du jour et au service d’oncologie. Cette année, nous avons passé un accord avec l’hôpital Mont-Liban et l’hôpital Notre-Dame des Secours. Malheureusement, nous n’avons pas assez de bénévoles pour couvrir tous les hôpitaux. Tout le monde ne peut pas faire ce travail. Il faut bien connaître la maladie pour répondre aux besoins du malade, le réconforter et aider la famille. La majorité de nos bénévoles sont des personnes ayant été, directement ou à travers l’un de leur proche, atteintes par la maladie. Par ailleurs, nous assurons une fois le mois une thérapie de groupe tant aux bénévoles qu’aux patients. »


(Lire aussi : Cancer du sein : toutes ces questions que l’on se pose...)


Briser les tabous
Sur le plan sociétal, Faire Face a été la première association « à briser, il y a vingt-cinq ans, les tabous entourant le cancer, à une époque où on le désignait par cette autre maladie ou qu’on avait peur d’en être contaminé ». « Nous avons été ainsi les premiers à mettre le mot cancer sur les brochures et à en parler ouvertement dans les émissions télévisées, affirme Anne Frangié. Ce n’était pas facile, mais nous avons pu le faire, bien qu’au départ c’était à une petite échelle. »

Faire Face a également été la première association à mener des campagnes de prévention du cancer du sein dès 1997, bien avant le ministère de la Santé (la première édition de la campagne nationale remonte à 2002). Aussi, grâce à l’argent récolté par des donations et des événements qu’elle organisait, l’ONG offrait des mammographies et des échographies gratuites aux femmes dans les dispensaires avec lesquels elle collaborait. « Depuis 1997 à ce jour, nous avons offert près de 5 000 mammographies, précise Anne Frangié. Depuis que le ministère a mis en place la campagne qui s’étale désormais sur quatre mois, nous avons ralenti un peu dans ce sens. L’argent qui était consacré à ce programme sert actuellement à couvrir les factures hospitalières, assurer les médicaments, les perruques, les prothèses mammaires… En 2018, nous avons aidé 250 malades, mais les besoins restent énormes. Ce que nous faisons est une goutte d’eau dans l’océan. » Pourquoi le cancer du sein ? « Parce que à l’époque, c’était le cancer qu’on pouvait dépister et donc prévenir avec un moyen simple et connu, c’est-à-dire la mammographie, explique Anne Frangié. Notre tâche a été toutefois difficile puisque les femmes étaient au départ réticentes. Elles avaient peur d’être diagnostiquées, mais elles ont fini par comprendre l’importance de cet examen et elles sont de plus en plus nombreuses à l’effectuer régulièrement. Il faut dire que le ministère de la Santé a été formidable sur ce plan, bien que je pense que sa campagne gagnerait à cibler des régions plus éloignées de la capitale. J’estime qu’il faut aller dans les régions défavorisées et collaborer à cet effet avec les municipalités tout au long de la campagne. Les médias ne suffisent pas. Le contact personnel est important. »


Une osmose
Dans son travail, Anne recevait l’appui inconditionnel de son mari qui l’incitait à poursuivre sur cette voie. « Il comprenait que le travail de l’association passait souvent avant lui, sauf en cas de force majeure bien entendu, se souvient-elle. Il me disait que je ne devais pas quitter Faire Face. D’ailleurs, il était l’un des premiers rares hommes à parler ouvertement de sa maladie à la télé, se souvient-elle. Cela a aidé d’autres patients. Je me rappelle que de nombreuses personnes venaient lui parler de leur propre maladie. Il leur inspirait confiance, parce que lui-même en parlait. Du coup, le cancer n’était plus une maladie honteuse, mais une maladie comme les autres. »

Et Anne Frangié de reprendre : « Avec Samir, j’ai vécu une vie pleine. Je ne me suis jamais ennuyée. Nous avions toujours des projets. Nous vivions en osmose et nous nous auto-influencions. Il était un éternel optimiste. Quand tout allait mal, il m’empêchait de déprimer. Il m’a donné cette force de pouvoir affronter tous les problèmes : la maladie, la guerre. De mon côté, je lui donnais de la légèreté, dans le sens où j’essayais de dédramatiser tout. De plus, je prenais en charge la maison et les enfants, ce qui lui a permis de s’épanouir dans ce qu’il aimait faire, c’est-à-dire l’écriture, la politique… » Férue de lecture et de voyages, et attachée à son chien qu’elle aime promener les soirs, Anne Frangié aimerait que Faire Face grandisse encore plus pour atteindre un plus grand nombre de patients dans toutes les régions. Sur un autre plan, elle travaille actuellement sur la Fondation Samir Frangié « qui doit prendre forme d’ici à un an ». Sa mission serait de promouvoir les idéaux de Samir Frangié, notamment le vivre-ensemble et la non-violence. « Dans deux jours, mercredi prochain, une biographie de Samir devrait paraître, dit-elle. Samir a mis tellement d’ardeur dans tout ce qu’il a fait et écrit que je pense que ses idées doivent continuer à être enseignées surtout aux nouvelles générations, d’autant que le pays, mais aussi la région et le monde sont dans un état de déliquescence totale, et que – je le constate avec angoisse – le confessionnalisme et le sectarisme reprennent le dessus de manière effarante. »


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