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Liban - Droits de l’homme

Polémique autour de la mort suspecte d’un détenu

Selon la famille du défunt, Hassan el-Diqqa aurait succombé des suites de la violence et de la torture infligées lors de son interrogatoire par les FSI.

La ministre libanaise de l’Intérieur, Raya el-Hassan. Mohammad Azakir/Photo Reuters

Le décès samedi dernier de Hassan el-Diqqa, 41 ans, dans des conditions suspectes à l’hôpital pénitentiaire al-Hayat a relancé de plus belle le débat sur les pratiques de torture dans les lieux de détention.

Si les véritables circonstances du décès du détenu, arrêté en novembre 2018 pour une affaire de narcotrafic, n’ont pas encore été éclaircies, il n’en reste pas moins que cette nouvelle « bévue » présumée – que la famille du défunt attribue au service de renseignements des Forces de sécurité intérieure, accusé de violences pratiquées contre leur fils – risque de noircir un peu plus l’image d’un pays qui gagne jour après jour sa réputation d’État policier.

Pour le père du défunt, Toufic el-Diqqa, il n’y a aucun doute que son fils est mort des suites des « violences et tortures » infligées lors d’un interrogatoire du service de renseignements. Avocat de profession, le père avait entrepris dès le début les démarches nécessaires pour tenter d’obtenir qu’un médecin légiste puisse voir son fils, qui se plaignait de problèmes de dos majeurs, lesquels ont conduit « faute de soins à des complications et à la paralysie de sa jambe gauche après avoir été torturé. Il avait besoin d’une intervention chirurgicale au dos et d’au moins six mois pour s’en rétablir », confie le père à L’Orient-Le Jour.

C’est avec grande difficulté que Toufic el-Diqqa réussit enfin à obtenir deux rapports rédigés par deux médecins légistes différents, faisant état de la gravité de la situation du fils et de la détérioration de son état psychologique, des rapports que la justice refuse de prendre en compte, à plus d’une reprise, comme il dit. Alors que l’état du prévenu, transféré entre-temps à Roumieh, s’est dégradé, il est hospitalisé à l’hôpital al-Hayat où le médecin traitant a recommandé une opération d’urgence qui lui a été refusée.

Pour l’ancien député Ghassan Moukheiber, membre de la commission parlementaire des droits de l’homme, « il s’agit d’un véritable scandale, une affaire kafkaïenne ». M. Moukheiber, qui a suivi l’affaire de Hassan el-Diqqa dans ses moindres détails, après avoir été recommandé par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU (HCDH), également alerté par la famille du prévenu, fait état de violations à plusieurs niveaux, notamment au plan procédural. Il dénonce notamment le fait que la procureure du Mont-Liban, la juge Ghada Aoun, qui « a accusé à maintes reprises le père de mentir sur l’état de santé de son fils, a rejeté la demande de déposer une plainte contre les FSI pour mauvais traitements et torture infligés à Hassan el-Diqqa ». Sur l’insistance du père, « la plainte a finalement été acceptée, mais la juge l’a transmise aux FSI pour enquête, ce qui est contraire à la loi relative à la torture », précise l’ancien député.

Une correspondance avait été entre-temps envoyée au ministère de la Justice par le HCDH, mais ce dernier « n’a même pas pris la peine de répondre à l’ONU », poursuit M. Moukheiber.

La ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan, qui a ordonné hier l’ouverture d’une enquête au sein des FSI afin de dévoiler les causes du décès, a toutefois indiqué avoir envoyé un rapport détaillé au bureau du HCDH concernant les accusations de torture dont aurait été victime Hassan el-Diqqa, assurant que le Liban « respecte l’application des conventions internationales en matière de droits humains ».

Se disant « désolée » du décès de ce détenu, Mme Hassan a affirmé « avoir donné samedi des directives au directeur général des FSI, le général Imad Osman, afin qu’il prenne des mesures immédiates pour ouvrir une enquête sur les causes du décès ».


(Lire aussi : HRW appelle le Liban à financer le Mécanisme de prévention contre la torture)


Les FSI contre-attaquent

En soirée, les FSI ont publié un communiqué sur leur site web, dans lequel elles réfutent les allégations de torture. Elles expliquent d’abord que le détenu avait été transféré à l’hôpital al-Hayat le 2 avril 2019, « en raison de maux de dos », cinq mois après son arrestation. La police affirme ensuite que « dans tous les lieux où il a été détenu, l’individu a subi des contrôles médicaux ».

Les FSI soulignent que leur service de renseignements « n’a interrogé Hassan el-Diqqa que pendant 48h, après quoi l’interrogatoire a été clos et l’individu a été remis aux autorités judiciaires compétentes ». Elles ajoutent qu’ « aucun interrogatoire n’a été mené (par les SR) avec la victime entre le 5 novembre 2018 et le 11 mai 2019, date de son décès ». La police affirme également que le détenu « a été présenté devant le premier juge d’instruction du Mont-Liban le 16 novembre 2018 et n’a mentionné aucun mauvais traitement ou torture ».

La police fait valoir par la suite qu’un médecin légiste, N.M., qui a été « arrêté pour falsification de rapports », a rédigé un document daté du 23 novembre 2018 dans lequel il écrit que le détenu présente des marques de coups et des contusions sur son corps. Le médecin légiste en question a été arrêté le 4 mars 2019. Après examen du contenu de son téléphone portable, « des conversations entre lui et le père du détenu ont été retrouvées, dans lesquelles les deux hommes se mettaient d’accord pour mentionner dans le rapport des coups et des contusions sur le corps de la victime suite à des séances de torture ».


« Scandale sans précédent »

Réagissant à cette affaire, le ministre de la Justice, Albert Serhane, s’est engagé à « mener toutes les enquêtes nécessaires pour dévoiler les circonstances du décès » de Hassan el-Diqqa. Il a affirmé que le ministère de la Justice « respecte entièrement tous les accords visant à lutter contre la torture et garantit le respect des droits humains ».

Le Parti socialiste progressiste a pour sa part condamné « la façon dont les forces de l’ordre et judiciaires ont traité le dossier du détenu Hassan el-Diqqa, qui est mort en détention après avoir été torturé et après que sa libération pour subir une intervention chirurgicale eut été refusée ».

« Que le détenu ait été coupable ou innocent, les comportements sauvages dont il a été victime lors de son arrestation, causant sa paralysie, et le fait que des soins médicaux lui aient été refusés constituent un scandale sans précédent », a ajouté le PSP, appelant à ce que toutes les personnes impliquées dans cet incident soient poursuivies en justice.

Dans son rapport pour l’année 2018, l’organisation Amnesty reprochait aux responsables libanais de n’avoir rien mis en œuvre depuis l’adoption, en septembre 2017, de la loi contre la torture.

« L’Institut international pour les droits de l’homme mandaté pour superviser la mise en application de cette loi est toujours inactif, le gouvernement n’ayant pas alloué de budget indépendant à cette institution et n’ayant pas nommé les cinq membres requis pour former le mécanisme international de prévention contre la torture », soulignait l’organisation.


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