La nouvelle est passée inaperçue, elle n’avait pas grande importance. Ni politique, ni économique, ni sécuritaire, ce bref communiqué émanant du bureau d’information du chef du gouvernement fédéral des EAU n’avait pas vraiment de quoi faire les unes, mais il nous a fait rêver : utopie moderne, avec toute la charge de bonnes intentions, d’angélisme, de maladresse et d’abus que ce mot peut comprendre, les Émirats arabes unis viennent de se doter d’un ministère des « Possibilités ». Il ne s’agit pas d’un ministère, à proprement parler, mais d’une nouvelle fonction répartie sur tous les membres du gouvernement et ajoutée à leurs responsabilités respectives. Désormais, il faudra à chacun d’eux verser son écot d’idées à la lutte contre les impossibilités qui entravent progrès et bien-être collectif. Cela va de la réduction du temps d’attente dans les services publics à la « création de nouveaux systèmes et projets pour le futur »… Y compris, précise le communiqué, un nouveau système de gouvernement. Merveille, quand on y songe, qu’un gouvernement qui serait dès aujourd’hui capable de remettre en question son propre mode de fonctionnement et s’adapter aux attentes d’une époque si différente de celles qui l’ont précédée, si déboussolée d’être encore soumise à des modèles de gouvernance d’un autre temps. Avancer, après tout, c’est franchir, contourner, défricher, abattre des obstacles. Il y faut de la persévérance, de l’imagination, de l’optimisme et une bonne dose d’estime de soi. Ce n’est qu’à ce prix que se mérite le futur.
Il m’arrive de prêter l’oreille aux conversations des passants. Des inconnus qui s’emportent, le téléphone vissé à l’oreille, les yeux vissés au trottoir, le bras libre battant l’air visqueux avec les mouvements désordonnés des noyés. Ils jurent, promettent, on entend des chiffres, des dates, et ces mots récurrents : « Je ne peux pas. » Partout, des aveux d’impuissance. Ainsi va le Liban, de cloisonnements en cloisonnements, et d’impossible en impossible. Avant, on ne pouvait pas, c’était la guerre. Après, on ne pouvait plus, c’était la reconstruction. On ne pouvait pas, c’était la terrible vague d’assassinats. On ne pouvait pas, c’était le blitz israélien, le sit-in au centre-ville, les élections. La grande chose que ces élections avant lesquelles on ne peut rien, pendant lesquelles encore moins, et après lesquelles ceux qui auraient pu ne voulaient pas et ceux qui avaient promis ne pouvaient plus. L’absence de volonté a toujours eu des excuses, et le fatalisme a pris le dessus. On aurait l’électricité, on aurait un peu plus de confort moral, on aurait des emplois, une économie saine, des touristes, on trouverait des investisseurs, mais là, vraiment, on ne peut pas. Nous sommes gouvernés par une machine à produire des obstacles, à créer des problèmes là où se profile une solution. Il y a pourtant quelque chose d’heureux dans la crise économique sans précédent que traverse aujourd’hui le Liban : aboutissement naturel de la corruption et de l’incompétence, la paupérisation qui n’épargne personne unit les gens par-delà leurs replis archaïques. Une fois n’est pas coutume, certes, mais leur sourde colère fait enfin frémir en haut lieu. Nous n’aurons jamais un ministère du Possible. Mais que nous soient épargnés les scieurs de branches et les poseurs de bâtons dans les roues.
Merci Fifi pour cet article. "Possibilités"? Au Liban on l'a toujours eu et c'est dans nos veines et ce, depuis la nuit des temps: on l'appelle prendre la mer ou plus récemment encore : immigrer! Oui, la seule survie que le libanais possède est à travers l'immigration car à part les promesses de nos politiciens, à part leurs discours fleuves, où ils ont l'audace de nous sermonner comme si tout les malheurs de ce pauvre pays sont notre faute, rien ne nous reste: ni la nature souriante que chantaient nos parents, ni la décision de notre avenir,ni le temps de rêver à cause des désastres qu'on ait conduits à subir... Merci de nouveau Fifi pour nous expliquer de façon poétique que notre Liban nous a été voler!
21 h 12, le 25 avril 2019