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Économie - Interview

Robert Kasparian : L’étude de la demande est primordiale pour planifier l’économie

À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, le docteur en sciences économiques et statisticien Robert Kasparian explique à « L’Orient-Le Jour » pourquoi il recommande aux pouvoirs publics de tenir davantage compte des caractéristiques de la demande et de leur impact sur la croissance pour élaborer leurs politiques économiques, monétaires et fiscales.

L’ancien directeur général de l’Administration centrale de la statistique, Robert Kasparian. Photo P.H.B.

Vous avez dirigé l’Administration centrale de la statistique (ACS) de 1993 à 1998. Dans les années 2000, vous avez participé à la commission spéciale mandatée par la présidence du Conseil des ministres pour reconstituer les comptes nationaux de 1997 à 2010. Un travail que vous avez repris, de votre côté, pour la période allant de 2011 à 2017 et que vous publiez dans un livre, « Les moteurs de la croissance de l’économie libanaise de 1997 à 2017 », dont le lancement a été quelque peu compliqué...

Ce livre, pour lequel je n’ai pas trouvé d’éditeur, est prêt depuis février. Son lancement a cependant été reporté jusqu’à la semaine dernière le temps d’organiser la table ronde qui s’est tenue le 11 avril sur le campus de l’Université Saint-Joseph, en collaboration avec la Librairie Antoine avec qui j’ai signé une convention pour le diffuser.

Comme son titre le suggère, cet ouvrage vient compléter la reconstitution des comptes nationaux que nous avions réalisée avec la commission spéciale, en utilisant les mêmes bases méthodologiques.


L’ACS n’avait-elle pas déjà pris le relais en actualisant les comptes nationaux depuis 2011 ?

Si, avec l’aide d’experts européens et depuis la fin de la mission de la commission spéciale (NDLR : la dernière actualisation date de fin 2018 et porte sur l’année 2017). Mais les bases sont différentes sur le plan méthodologique, ce qui pose un problème d’homogénéité entre les comptes d’avant 2010 et ceux d’après. De plus, les données concernant les opérations de répartition du produit intérieur et les opérations financières sont manquantes dans la nouvelle série. J’ai donc décidé, étant à la retraite, de refaire le travail de mon côté en collectant tous les données et indicateurs sectoriels existants, surtout ceux fournis par la Banque du Liban. J’ai également utilisé les données du commerce extérieur, analysées suivant leur destination (matières premières, produits de consommation et biens d’équipement). J’ai ensuite procédé à un travail d’analyse économétrique qui m’a permis d’estimer toute la série des comptes économiques de 2011 à 2017. Le but final étant d’identifier les grandes tendances qui ont marqué l’économie libanaise de 1997 à 2017 et d’isoler les phénomènes qui en sont à l’origine ainsi que ses handicaps.

Ma seule ambition est que cette étude serve à la construction de modèles un peu plus complets pour aider les décideurs publics à prendre leurs décisions. Nous n’avons aujourd’hui toujours pas assez de données utiles pour permettre aux décideurs d’élaborer des politiques économiques, monétaires et fiscales viables. Cependant, à l’heure où l’État est engagé à réduire le déficit budgétaire et le poids de la dette, j’estime que cette étude fournit déjà des renseignements utiles sur les effets qu’auront les mesures qui seront adoptées sur l’économie nationale.


Quels sont les enseignements livrés par cette étude ?

Les statistiques révèlent beaucoup de choses. Elles permettent par exemple d’identifier quatre grandes phases de développement de l’économie du pays sur les 21 années couvertes par l’étude et où la croissance à prix constants a atteint 3,4 % de moyenne par an : la première, de 1997 à 2003, est marquée par une croissance modérée de 2 % en moyenne ; la seconde, où la dynamique de 2004 (avec un PIB à +7,5 %) a été cassée par les événements de 2005 et 2006 (NDLR : l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, et la guerre de 33 jours), deux années de stagnation – mais pas de récession ! – ; ensuite, de 2007 à 2010, le pays a connu une période faste avec une croissance entre 7 et 9 %, et enfin la période actuelle où les choses se gâtent, avec une stagnation du PIB.

On découvre également qu’il y a un décalage entre la croissance du PIB et celle de la demande, qui à 4,1 % lui est supérieure sur la même période, et que ce sont les importations qui ont, avec un taux de croissance moyen de 5,4 % par an, répondu plus rapidement à la demande. On réalise également que les investissements privés ont progressé de 8,2 % entre 1997 et 2017, ce qui est un taux très élevé – on peut même parler de surinvestissement, qui a été principalement dirigé dans l’immobilier.


Et sur un plan plus analytique ?

On peut dire que l’économie libanaise a peu capitalisé sur ses temps forts parce qu’au final peu de choses ont été planifiées en fonction de la demande. Or l’étude de la demande est primordiale pour planifier l’économie, même si beaucoup d’économistes privilégient l’approche production – ce qui est nécessaire mais insuffisant pour comprendre les moteurs de la croissance. Pour résumer, les investissements réalisés dans le pays n’ont pas ou peu tenu compte des caractéristiques de la demande, qui a finalement dû être satisfaite via les importations.

Ce qui est dommage, c’est que pendant les périodes de croissance, nous avons eu largement assez de capitaux pour pouvoir nous organiser et développer les industries locales pour être moins dépendants des importations. Maintenant que la balance des paiements est déficitaire, c’est évidemment plus compliqué, et le fait que le pays a longtemps bénéficié d’un certain confort assuré par les transferts de ses expatriés nous a sans doute rendus paresseux. Les choses peuvent encore changer, mais cela prendra du temps.



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commentaires (2)

PAS SANS PRENDRE AUSSI EN COMPTE LE POUVOIR D,ACHAT DE LA MASSE...

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 51, le 19 avril 2019

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Commentaires (2)

  • PAS SANS PRENDRE AUSSI EN COMPTE LE POUVOIR D,ACHAT DE LA MASSE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 51, le 19 avril 2019

  • En effet, une bonne économie est celle qui est planifiée selon les besoins et les capacités macro-économiques et industrielles du pays. Une économie saine est celle qui est pensée et orientée vers des secteurs porteurs et d'avenir. Ne serait-ce que engager de telles réflexions est déjà utile. Car au Liban nous ne sommes pas habitués à l'économie planifiée. Si les réforment tardent ...par contre nous savons tous parler de guerres, d'ingérences, de résistance, d'hostilités ...c'est un domaine que nous maîtrisons mieux... Encore un peu d'humour... Bonne journée à tous les lecteurs et lectrices.

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 31, le 19 avril 2019

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