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Économie - Liban - Rencontre

Robert Kasparian : Le problème de la statistique, les ressources humaines

À l’occasion du lancement de son livre « Histoire de la statistique libanaise de 1960 à 2011 – cinquante-deux années au service de l’État libanais » (éditions Dar an-Nahar), « L’Orient-Le Jour » a rencontré le pilier de la statistique libanaise, Robert Kasparian, pour faire le point.

« Jamais découragé, jamais négatif, ce grand commis (...) a consacré une vie entière à édifier pour son pays, à partir de zéro, l’un des organismes essentiels de tout État moderne. » Michel B. el-Khoury, ancien ministre et ancien gouverneur de la Banque du Liban (BDL).
Largement considéré comme le principal réformateur de la statistique libanaise, Robert Kasparian a servi l’État libanais pendant plus de 50 ans. Il a joué un rôle incontournable au sein de l’ancienne Direction centrale de la statistique (DCS), créée dans le cadre de la réforme administrative lancée par le président Fouad Chéhab à la fin des années 50.
Fin 1979, le gouverneur de la BDL, Michel el-Khoury, fait appel à lui pour y animer le service des études et des statistiques. Au cours de la même année naît l’Administration centrale de la statistique (ACS), mais ce n’est qu’à la fin de la guerre civile que cette nouvelle administration est activée. M. Kasparian est nommé à sa tête en 1993 et y reste jusqu’à son départ en retraite cinq ans plus tard.
Après un passage au ministère de l’Économie nationale et de l’Industrie et au ministère des Finances, il est invité en 2002 à diriger la commission provisoire spéciale pour les comptes économiques (comptabilité nationale), en collaboration avec l’Insee ; cette
mission sera renouvelée plusieurs fois jusqu’en 2011.
À l’occasion du lancement de son livre, Histoire de la statistique libanaise de 1960 à 2011 – cinquante-deux années au service de l’État libanais (éditions Dar an-Nahar), L’Orient-Le Jour s’est réuni avec M. Kasparian afin de faire un bilan de la situation actuelle de la statistique libanaise.

L’Orient-Le Jour. À la lecture de votre ouvrage, le principal constat qui se dégage est effrayant. Les gouvernements successifs ont fait preuve des décennies durant d’un amateurisme aberrant, en plus du népotisme et du confessionnalisme – notamment avec l’ingérence de plusieurs Premiers ministres soutenant des candidats ne présentant absolument pas les compétences requises pour être nominés à la DCS puis à l’ACS... Pensez-vous que l’ACS pourra un jour surmonter tous ces obstacles ?
Robert Kasparian. Le problème de l’ACS est, fondamentalement, et, avant tout, un problème de ressources humaines. Le déficit de fonctionnaires qualifiés est important, et leur recrutement très difficile. D’une part, parce que le gouvernement a d’autres priorités d’embauche que celles liées à la statistique – pourtant l’un des piliers de tout État moderne – et d’autre part car les candidats se font rares : l’image du fonctionnaire s’est fortement dégradée, et les salaires du public sont beaucoup moins
attractifs que ceux du privé. Les ministres successifs avaient la volonté de faire changer les choses, mais ils n’ont pas réalisé que l’élément humain était vital pour cela. Les locaux de l’ACS ont été équipés de machines performantes, mais plusieurs postes étaient vacants...

Un autre problème récurrent rencontré durant votre carrière est celui de la servilité du gouvernement libanais face à des organismes internationaux comme le Fonds monétaire international (FMI) ou encore les Nations unies. Vous fournissez dans votre livre plusieurs exemples de stratégies farfelues proposées par des experts étrangers, et parfois adoptées contre toute logique.
Effectivement, les politiciens ont tendance à prendre la parole des experts étrangers pour argent comptant, parfois à tort, et n’écoutent pas leurs spécialistes locaux. J’ai dû défendre plusieurs fois les principes de comptabilité nationale de 1964, inspirés du système français, que nous avions adoptés, car l’ONU prônait l’application d’un système simple de calcul d’agrégats. Il n’était absolument pas adapté aux réalités du terrain libanais, et ce n’est pas avant 1993 que l’ONU l’a amélioré. De même, le système de comptabilité nationale 1993 (ou SCN93, publié conjointement par la Division des statistiques de l’ONU, le FMI, la Banque mondiale, Eurostat et l’OCDE) ne peut être appliqué au Liban, pour la bonne raison que notre système de statistiques est encore balbutiant et ne dispose pas de toutes les données requises. À titre d’exemple, comment distinguer au Liban les comptes sociétés des comptes ménages, surtout que la plupart des entreprises libanaises sont familiales ?
J’ai donc proposé un modèle simplifié les rassemblant, approuvé par l’Insee. Je soutiens également l’idée d’un audit international pour juger des méthodes utilisées, prenant en compte le système économique du pays et les statistiques disponibles.

Quelques mois plus tôt, l’ACS a interrompu la publication de son indice des prix à la consommation, un indicateur de référence utilisé, entre autres, pour l’évaluation du PIB réel (des divergences entre l’ACS et le gouvernement ont été évoquées, NDLR). La publication a maintenant repris, mais les dégâts sont faits. Quel est votre avis sur la question ?
Le problème est que l’ACS se repose sur des enquêteurs journaliers pour collecter les informations nécessaires à l’élaboration de l’indice, et doit pour cela demander systématiquement l’autorisation au Premier ministre pour pouvoir procéder. Je n’ai pas saisi tous les détails de cette affaire, mais encore une fois, ce sont les ressources humaines qui sont au cœur du problème. Il y a un besoin urgent de réformes et de formations – le Liban ne dispose d’ailleurs pas d’une École des statistiques – mais cela ne pourra se faire sans, d’abord, une réforme complète de l’État.
« Jamais découragé, jamais négatif, ce grand commis (...) a consacré une vie entière à édifier pour son pays, à partir de zéro, l’un des organismes essentiels de tout État moderne. » Michel B. el-Khoury, ancien ministre et ancien gouverneur de la Banque du Liban (BDL).Largement considéré comme le principal réformateur de la statistique libanaise, Robert Kasparian a servi...

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