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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Quel rôle de l’armée dans la chute du président Bachir ?

Les militaires n’ont pas pris part à la répression des manifestations, celle-ci ayant été le fait de la police et des services de renseignements, fidèles au président.

Sur cette capture d’écran, le ministre soudanais de la Défense, Awad Ahmed ben Aouf, annonçant l’éviction de Omar al-Bachir, le 11 avril 2019. Sudan TV/ReutersTV via Reuters

Il avait pris le pouvoir en tant que militaire en 1989 et c’est sous la pression de l’armée qu’il le quitte. Le président soudanais Omar al-Bachir, 75 ans, a été « destitué » hier par la troupe, au terme d’un mouvement de contestation populaire lancé en décembre dernier.

L’annonce de cette destitution a été faite par le ministre soudanais de la Défense, Aouad Ahmed ben Aouf. « J’annonce, en tant que ministre de la Défense, la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef », a-t-il dit à la télévision d’État, ajoutant que le gouvernement avait été dissous et qu’un « conseil militaire de transition » succède à M. Bachir pour une période de deux ans à l’issue de laquelle des élections seront organisées.Les 30 ans de la dictature de Omar al-Bachir prennent ainsi fin avec cette annonce, mais sans que les militaires eux-mêmes ne quittent le pouvoir.

« Le conseil militaire est dirigé par le vice-président, qui n’est autre que le ministre de la Défense. Il faut donc rester prudent et ne pas parler trop précipitamment d’un “retournement” complet de l’armée », explique Anne-Laure Mahé, spécialiste du Soudan au centre de recherche stratégique IRSEM à Paris, contactée par L’Orient-Le Jour. « On a plutôt eu un accord négocié au sein même de l’appareil sécuritaire avec la tête du régime et notamment le NISS, c’est-à-dire les services de renseignements qui sont l’un des acteurs-clés du pays », ajoute-t-elle.Omar al-Bachir subit ainsi un sort semblable à son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika qui, sur pression des militaires avec, en toile de fond, des manifestations quasi quotidiennes, a été contraint de démissionner le 2 avril après vingt ans à la tête de son pays. « Il y a un parallèle simple à faire avec le cas algérien. Les deux populations ont vu en leurs dirigeants deux hommes restés trop longtemps au pouvoir, affaiblis physiquement. Le parallèle se situe aussi au niveau du rôle de l’armée comme cheville essentielle du pouvoir », estime pour L’OLJ Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique subsaharienne au CERI de Sciences Po. « La maturité sur l’usage de la violence a aussi particulièrement inspiré les Soudanais et a alimenté leur conviction qu’un mouvement social sans violence pouvait fragmenter l’appareil répressif. La grande différence, c’est que le Soudan reste dans un contexte de guerre périphérique comme au Darfour par exemple », ajoute-t-il. Malgré la pression populaire, c’est en fin de compte le lâchage par l’armée qui a précipité la chute de Bachir.


(Lire aussi : Omar al-Bachir, la quintessence du dictateur arabo-africain)


« Injustement traitée »

Plusieurs éléments permettent de mettre en lumière pourquoi la troupe a lâché le désormais ex-président. « L’armée joue un rôle important dans l’économie du pays : elle contrôle des banques, des entreprises et des militaires sont présents au sein des conseils d’administration de grandes firmes. Ce n’est pas seulement une institution qui est faite pour se battre. Cet enracinement au sein de l’économie du pays leur a fait encore plus ressentir la crise », poursuit Roland Marchal.

À ce ressentiment s’ajoutent les nombreux combats et lourdes pertes qu’ont dû subir les soldats soudanais ces dernières années, tant humaines que territoriales, comme lors de la guerre du Darfour (débutée en 2003) ou de la partition avec le Soudan du Sud en 2011. « L’armée a été mobilisée pour des guerres contre les populations civiles et des mouvements rebelles, et a souvent essuyé des défaites. Celles-ci ont notamment conduit à la perte du Soudan du Sud et avec lui l’essentiel de ses ressources pétrolières. Cela a directement engendré la crise économique actuelle et ce mouvement de soulèvement. C’est une armée qui, au fond, se sent depuis longtemps injustement traitée par le régime », explique Jérôme Tubiana, spécialiste du Soudan, cité par le site de la radio RFI.

Cela pourrait expliquer le retournement d’une partie de l’armée vers les manifestants, et en particulier des jeunes officiers, qui contrairement à la vieille hiérarchie militaire arrivée au pouvoir en même temps que Omar al-Bachir et qui lui reste plutôt loyale, sont directement concernés par les problèmes du pays. En témoignent les nombreuses scènes de fraternisation entre de jeunes militaires et des manifestants. « L’armée a joué un rôle important. Les manifestants en ont fait un symbole », explique Mme Mahé.

En outre, les militaires ont été un acteur assez passif dans la répression des manifestations, celle-ci étant assurée par la police et les services de renseignements du pays (NISS), fidèles à l’ex-président Bachir. Mais « l’armée, se considérant comme le pilier essentiel de la sécurité du pays, a très mal pris la décision de M. Bachir de faire intervenir des forces paramilitaires dans la crise », explique M. Marchal.

La prise du pouvoir par l’armée ne fait néanmoins pas l’unanimité auprès de la population qui refuse de voir des militaires diriger le gouvernement transitoire et qui a appelé les manifestations à se poursuivre. « Le régime a mené un coup d’État militaire en présentant encore les mêmes visages (...) contre lesquels notre peuple s’est élevé », a indiqué dans un communiqué l’Alliance pour la liberté et le changement (une union de partis d’opposition), appelant la population à « continuer son sit-in devant le quartier général de l’armée (à Khartoum) et à travers le pays ». Reste maintenant à savoir si l’armée accepterait de faire des concessions si la colère populaire ne retombait pas.




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