En visite au Liban cette semaine, le vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Ferid Belhaj, a regretté hier l’absence de progrès dans la mise en œuvre des réformes que le gouvernement libanais s’est engagé à lancer lors de la conférence de Paris (CEDRE) en avril 2018, il y a presque un an.
« Il y a clairement de la déception aujourd’hui. Il avait beaucoup de bonne volonté des deux côtés (…) mais quand on voit que les choses n’avancent pas aussi vite qu’elles le devraient, on se retrouve face à un problème », a-t-il notamment déclaré à L’Orient-Le Jour en marge d’une conférence consacrée à la zone MENA organisée au centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth.
Les partenaires du Liban se sont engagés dans le cadre de CEDRE à réserver plus de 11 milliards de dollars en prêts et dons pour financer une partie des projets contenus dans un programme de réhabilitation des infrastructures (le Capital Investment Plan). Les fonds ne seront toutefois débloqués que si les dirigeants libanais lancent d’importantes réformes, visant aussi bien à renforcer la compétitivité de l’économie qu’à assainir les finances publiques, dans le rouge vif. Très active au Liban, la Banque mondiale fait partie des gros contributeurs à l’enveloppe de la CEDRE avec 4 milliards de dollars de prêts.
(Pour mémoire : CEDRE : la question du contrôle des fonds se pose déjà)
« Responsabilité » des dirigeants
Or le processus de mise en œuvre des réformes n’a pas enregistré de progrès notables. Si la formation du gouvernement Hariri III a d’abord été bloquée de mai 2018 à janvier dernier en raison de tensions politiques, le nouvel exécutif n’a toujours pas examiné l’avant-projet de budget pour 2019, tandis que le plan du ministère de l’Énergie et de l’Eau pour réformer le secteur de l’électricité – un des chantiers prioritaires – n’a été présenté au Conseil des ministres que la semaine dernière.
Une situation qui pourrait conduire les soutiens du pays à perdre patience, alors que les principales agences de notation américaines (Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s) ont toutes revu à la baisse depuis décembre dernier leurs évaluations respectives de la dette souveraine du Liban – qui a atteint 85,3 milliards à fin janvier (6,1 % en un an). La situation déjà « délicate » devient « depuis en plus compliquée à gérer avec le temps », résume M. Belhaj.
« Je ne veux pas spéculer par rapport à des plans B ou C (NDLR : en cas d’échec). Le processus de CEDRE est un plan A, un contrat à long terme qui engage le Liban d’un côté et ses partenaires de l’autre à des obligations réciproques (…). Mais le Liban n’a pas encore rempli sa partie du contrat », a encore constaté le responsable, répondant à une question sur l’existence de possibles alternatives. Selon plusieurs sources concordantes, la seule porte de sortie du Liban si CEDRE tombe à l’eau consistera à demander l’aide du Fonds monétaire international, que ce dernier accorderait à des conditions autrement plus contraignantes.
Au Liban depuis mardi, M. Belhaj, qui a pris la tête d’une délégation de la Banque mondiale – composée notamment du directeur régional de l’organisation pour le Moyen-Orient, Saroj Kumar Jha – s’est réuni hier avec le président Michel Aoun et le ministère des Finances à Baabda puis à Beyrouth avec plusieurs présidents de commissions parlementaires. La Banque mondiale a déjà mis en garde le Liban à plusieurs reprises ces derniers mois contre les conséquences potentiellement négatives de la paralysie chronique de ses institutions sur le processus de CEDRE comme sur les projets qu’elle finance en dehors de ce cadre.
(Lire aussi : CEDRE : le gouvernement attendu au tournant pour le budget 2019)
Foucher et Zmokhol
L’organisation de Bretton Woods n’est pas le seul partenaire du Liban à être préoccupé par le retard pris dans le lancement des réformes. Lors d’un récent déjeuner-débat organisé par le Rassemblement de dirigeants et chefs d’entreprise libanais dans le monde (RDCL-Monde), l’ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, a souligné que « la responsabilité de la mise en œuvre des décisions prises dans le cadre de CEDRE incombe au gouvernement », rappelant que les mesures prises devaient également se focaliser sur la lutte contre la corruption et l’amélioration de la gouvernance. Le président du RDCL-Monde, Fouad Zmokhol, avait quelques minutes plus tôt insisté sur la nécessité que les réformes soient effectives avant que les fonds de CEDRE ne soient débloqués. « Nous ne voulons pas augmenter la dette publique sans créer de la croissance. Nous ne voulons pas que (ces aides) financent à nouveau certains partis et politiciens », avait-il notamment préconisé.
La France est l’un des principaux initiateurs de CEDRE et a réservé 550 millions d’euros en prêts et dons sur l’enveloppe prévue.
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commentaires (9)
Nos responsables sont irresponsables et jamais coupables. Comprends qui peut. Quel malheur.
PPZZ58
19 h 44, le 30 mars 2019