Le président turc Recep Tayyip Erdogan affronte dimanche des élections locales en pleine tempête économique, qui l’a contraint à mener une campagne acharnée pour éviter un vote sanction contre son parti, notamment à Istanbul et Ankara.
Près de 58 millions d’électeurs turcs seront appelés après-demain à se rendre aux urnes pour élire leur maire et leur muhtar, sorte de chef de quartier, avec une attention particulière pour les 30 municipalités métropolitaines qui constituent le cœur économique du pays. Signe de l’importance de ce scrutin à ses yeux, M. Erdogan s’est impliqué comme aucun autre chef d’État avant lui dans une campagne pour des municipales, tenant jusqu’à cinq meetings quotidiens aux quatre coins de la Turquie. Et pour éviter un revers de son Parti de la justice et du développement (AKP) à Istanbul, capitale économique du pays dont il a lui-même été maire, M. Erdogan y a dépêché un poids lourd : l’ancien Premier ministre Binali Yildirim. Mais l’uppercut pourrait venir d’Ankara, préviennent analystes et sondages relayés par la presse, où le candidat de l’AKP, un ancien ministre, et celui de l’opposition sont au coude-à-coude.
Pour M. Erdogan qui a remporté toutes les élections depuis 2002, « perdre l’une de ces villes porterait un énorme coup symbolique à son pouvoir », résume Soner Cagaptay, du Washington Institute of Near East Policy. Il « ne peut tout simplement pas se permettre de perdre ».
« Survie »
Mais alors que l’AKP a bâti l’essentiel de son succès électoral sur la réussite de l’économie depuis 17 ans, cette question est devenue son talon d’Achille pour ce scrutin. L’économie turque est en effet entrée en récession pour la première fois depuis 10 ans et l’inflation, alimentée par l’affaissement de la livre turque, a durement frappé les consommateurs au porte-monnaie, en particulier dans le secteur de l’alimentation.
Pour enrayer la grogne, M. Erdogan a ordonné le mois dernier aux mairies d’Istanbul et Ankara d’ouvrir leurs propres stands de fruits et légumes vendus à prix cassés. Le chef de l’État turc est parfois apparu sur la défensive sur l’économie, allant jusqu’à soutenir que les longues files d’attente devant les étals municipaux étaient un signe de « prospérité » et non de « pauvreté ».
Plutôt que de faire campagne sur l’économie, le président turc a entraîné le débat sur le terrain sécuritaire, décrivant un pays cerné par des défis sécuritaires et des puissances hostiles. « Ces élections ne sont pas seulement des élections pour élire des maires. Ce sont aussi des élections concernant notre survie », a-t-il encore déclaré lors d’un meeting à Mus (Est turc) lundi. Ce faisant, décrypte M. Cagaptay, « Erdogan insinue que si son parti perdait le scrutin, c’est l’existence même de la Turquie qui serait menacée ».
Pour mettre toutes les chances de son côté, M. Erdogan a aussi maintenu une alliance nouée l’an dernier avec les ultranationalistes du MHP qui soutiennent les candidats AKP à Istanbul et Ankara.
Vote kurde
Reformant le front anti-Erdogan constitué lors des législatives l’an dernier, l’opposition a présenté des candidats communs dans plusieurs villes, notamment à Istanbul et Ankara, où le CHP (social-démocrate, kémaliste) et l’Iyi Parti (nationaliste) soutiennent le même candidat. Quant au HDP (parti prokurde), affaibli par une série d’arrestations, il a jeté ses dernières forces dans le Sud-Est majoritairement kurde de la Turquie et appelé ses partisans dans l’Ouest à voter contre l’AKP et le MHP. Le vote de l’électorat du HDP, qui a récolté près de six millions de voix aux législatives l’an dernier, pourrait donc être un facteur important dans les grandes villes.
M. Erdogan a multiplié pendant la campagne les attaques contre le HDP qu’il accuse de liens avec le « terrorisme », menaçant de remplacer des maires issus de cette formation par des administrateurs publics. Alors que l’élection suivante est prévue en 2023, dimanche conclura, sauf surprise, un épuisant cycle électoral, avec huit scrutins en cinq ans, qui a profondément polarisé la Turquie à force de campagnes marquées par de virulentes polémiques.
Après l’attaque meurtrière contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande mi-mars, M. Erdogan a projeté lors de meetings un montage mêlant des passages de discours de son principal opposant, Kemal Kiliçdaroglu, et des extraits de la vidéo filmée par l’assaillant.
Gokan GUNES/AFP