L’épineux dossier des carrières sera examiné aujourd’hui en Conseil des ministres. Suivant le texte de l’ordre du jour, « le ministère de l’Environnement présentera un projet de politique de gestion complète des carrières de sable et de rochers, notamment les carrières des cimenteries (à Chekka), en vue de prendre la décision adéquate au sujet des exploitations qui fonctionnent sans permis, ou sans un permis délivré par la partie compétente, ou ayant dépassé le délai octroyé par le Conseil des ministres, ou autre ». Le ministre de l’Environnement Fady Jreissati était injoignable hier pour un commentaire. Des sources informées ont cependant prédit qu’il y aurait un débat houleux autour de cette question.
Le dossier des carrières souffre traditionnellement d’une absence notoire de réglementation et de planification (voir notre dossier du 20 mars 2018). Régi par un simple décret, souvent inappliqué, ce secteur souffre du fait que de nombreuses exploitations fonctionnent avec des permis inadaptés (« bonification de terrains », « déplacement de stocks »…), ou sans permis du tout. Le dernier plan directeur élaboré par le ministère de l’Environnement date de 2009, il préconise de concentrer les carrières dans l’Anti-Liban, et il est inappliqué depuis ce temps-là. Le flou qui règne dans ce secteur mène à une dégradation environnementale visible sur de vastes portions du territoire.
La discussion aujourd’hui en Conseil des ministres portera sur l’intégralité du dossier, mais devrait, comme le note le texte de l’ordre du jour, se concentrer tout particulièrement sur les carrières des cimenteries, qui sont au nombre de trois, et qui sont fermées par décision de la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan depuis trois semaines. Autant les opposants à ces carrières que les sources des cimenteries elles-mêmes affirmaient hier ne pas savoir à quoi s’attendre après cette réunion.
Les opposants, pour commencer, espéraient hier une décision de maintenir la fermeture des carrières. Pour Georges Inati, qui est à la tête du Comité de l’environnement à Kfarhazir (dans le périmètre duquel tombent les carrières ou du moins une partie), note le fait qu’il aurait préféré que les carrières liées aux cimenteries soient discutées indépendamment des autres. « Il s’agit de carrières particulièrement destructrices, situées dans des zones résidentielles classées pour villas, et qui fonctionnent sans permis dans une région inadaptée puisqu’elle est traversée par des cours d’eau, dit-il. De plus, elles alimentent une industrie particulièrement polluante, qui fait de Chekka et du Koura l’une des régions les plus polluées du pays. »
Il ajoute : « Pourquoi est-ce qu’une telle question doit être examinée en Conseil des ministres, quand il y a un ministère concerné et un Haut Conseil des carrières présidé par le ministre de l’Environnement ? Et comment le ministère de l’Eau peut-il tolérer que des exploitations soient situées au-dessus de cours d’eau ? Nous ne tolérerons plus que le travail soit prolongé sous prétexte de bonification de terrains, de délais temporaires ou autres. »
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Interrogé sur les permis des carrières de cimenteries, Pierre Doumet, PDG de la cimenterie nationale, explique qu’« en vertu de deux décisions du Conseil des ministres datant de 1997 et 2002, les carrières des cimenteries ne sont pas considérées comme des carrières au sens classique du terme, mais comme des entreprises minières ». Toutefois, depuis la création du Haut Conseil des carrières, une réglementation a été mise en place que suivent les cimenteries, selon lui : des permis accordés sur dix ans, mais renouvelables chaque année du fait qu’il y a réhabilitation des sites exploités l’année d’avant.
« Nous avons obtenu le permis pour les années 2016 et 2017, mais la demande de permis pour les années 2018, 2019 et 2020, que nous avons envoyée au ministère de l’Environnement depuis 2016, est restée sans suite, poursuit M. Doumet. D’où le fait que nous nous retrouvons en porte-à-faux entre le ministère de l’Environnement qui n’a pas tranché cette question, et la décision de l’actuelle ministre de l’Intérieur de fermer les carrières, et de ne pas renouveler les délais temporaires qui nous avaient été accordés par son prédécesseur. »
Pour ce qui est de l’accusation d’exploiter des carrières dans des zones résidentielles, il affirme que « le Conseil des ministres a classé ces terrains comme carrières dès 1997, et une nouvelle fois en 2011 ». « Il y a bien eu une proposition du Conseil supérieur de l’urbanisme de classer ces terrains comme résidentiels, mais elle n’a pas abouti », poursuit-il.
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Quoi qu’il en soit, le Conseil des ministres devrait trancher cette question aujourd’hui. Georges Inati l’appelle « à prendre une décision historique pour sauver ce qui peut encore l’être, notamment en réhabilitant des secteurs comme l’agriculture, afin que les citoyens ne soient pas obligés de travailler dans les industries de la mort ». Il affirme craindre que les pressions politiques ne s’en mêlent, et ajoute que son mouvement s’opposera résolument à toute décision allant à l’encontre de l’environnement et de l’intérêt des citoyens.
Pour sa part, M. Doumet souligne que la fermeture des carrières « signifie la fin des cimenteries », tout comme l’approvisionnement en matières premières en général. « Il y a beaucoup d’arguments d’un côté comme de l’autre, dit-il, en réponse aux doléances des militants contre la pollution. Il faut que le ministère de l’Environnement joue son rôle de référence, et qu’il définisse une réglementation devant être appliquée par tout le monde. »
Pour mémoire
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commentaires (6)
Y-a-t-il encore une parcelle de terre libanaise qui ne soit pas occupée, saccagée, salie par les corrompus , du plus haut-placé au plus petit citoyen ? La lutte contre la corruption, se fait-elle seulement dans les médias...à l'aide de déclarations que plus personne ne prend au sérieux, par des accusations et insultes envers l'autre= le rival politique, ou d'une autre communauté religieuse...ou même personnel...? Le Liban existe-t-il encore ? Irène Saïd
Irene Said
15 h 07, le 21 mars 2019