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Idées - Point de vue

Iran-Occident : comment mettre fin à 40 ans d’hostilité ?

Des Iraniens brûlent des drapeaux américains en marge des cérémonies du 40e anniversaire de la révolution de 1979, le 11 février dernier, à Téhéran. Tasnim News Agency/Reuters

En 1971, plusieurs dirigeants mondiaux aux profils aussi variés que le président yougoslave Josip Broz Tito, le prince Rainier et la princesse Grace de Monaco, le vice-président américain Spiro Agnew et président du Soviet suprême de l’URSS Nikolaï Podgorny se sont réunis à Persépolis, ancienne capitale de l’Empire achéménide, pour assister à une somptueuse soirée organisée par le chah Reza Pahlavi pour marquer le 2 500e anniversaire de la fondation de l’État impérial. Moins de huit ans plus tard, ces festivités furent qualifiées de « fête du diable » par le nouvel homme fort du pays, l’ayatollah Ruhollah Khomeyni.

Avant la révolution islamique de 1979, Khomeyni vivait en exil (en Turquie, en Irak et enfin à Paris), en raison de sa dénonciation de l’occidentalisation de l’Iran et de sa dépendance à l’égard des États-Unis sous le chah. En 1953, les États-Unis et le Royaume-Uni avaient soutenu Pahlavi en renversant le Premier ministre démocratiquement élu du pays, Mohammad Mosaddegh, qui avait nationalisé l’industrie pétrolière iranienne et envisageait de réduire les pouvoirs du chah.


(Lire aussi : 40 ans après la révolution, le régime iranien plie mais ne rompt pas)


Impasse
Cet épisode fatal, empreint de la logique de la guerre froide, constitua la première opération américaine de destitution d’un dirigeant étranger en temps de paix. Mais ce ne fut certainement pas la dernière : depuis lors, la politique étrangère des États-Unis est en effet caractérisée par une succession d’opérations de « changement de régime » qui ont empoisonné les relations de Washington avec des régions-clés du monde, et plus particulièrement au Moyen-Orient. Dans le cas de l’Iran, le coup d’État de 1953 a porté atteinte à la légitimité nationale du chah, déjà ébranlée par son tempérament répressif et son insensibilité aux exigences de plus grande justice sociale, posant ainsi les bases de la révolution de 1979. 

« Le révolutionnaire le plus extrémiste deviendra conservateur le lendemain de la révolution », écrivit un jour la philosophe Hannah Arendt. Et cette maxime s’applique certainement à Khomeyni : après avoir pris le pouvoir en unissant des forces adhérant à des idéologies très différentes, l’ayatollah montra que sa flexibilité en la matière s’était soudainement évaporée. Il se démarqua complètement des mouvements de gauche, accusa ses adversaires de subversion et ne ménagea pas sa peine pour réprimer les voix libérales, déclenchant quatre décennies de tensions entre les éléments théocratiques et démocratiques de la République islamique. De leur côté, les relations diplomatiques américano-iraniennes ont implosé directement après la révolution, à la suite de la crise des otages américains (1979-1981).

Une impasse renforcée par la guerre sanglante qui a opposé pendant huit ans l’Iran à l’Irak de Saddam Hussein, suite à l’invasion déclenchée par ce dernier en 1980. Si environ un demi-million d’Iraniens et d’Irakiens ont péri dans ce conflit, c’est l’Iran qui, notamment du fait des attaques irakiennes à l’arme chimique, en a subi la plupart des conséquences physiques et psychologiques à long terme. C’est en effet au cours de ces années que l’Iran a commencé à explorer la possibilité de développer des armes nucléaires, en s’appuyant notamment sur le legs du programme nucléaire de coopération civile que les États-Unis avaient conclu en 1957 avec le chah, dans le cadre de l’initiative « Atoms for Peace » (« Des atomes pour la paix »).


(Lire aussi : « On ne pensait pas que la révolution allait se transformer en cauchemar islamiste »)


Irréalisme
Le programme nucléaire clandestin de l’Iran n’a été dévoilé qu’en 2002. À ce moment-là, le guide suprême actuel, Ali Khamenei, était déjà aux commandes et l’échiquier géopolitique avait radicalement changé : les États-Unis avaient non seulement tourné le dos à Saddam, mais se préparaient à envahir l’Irak. Ironiquement, cette funeste décision finira par générer d’importants avantages stratégiques pour l’Iran, en dépit de l’inclusion de ce pays dans le désormais célèbre « axe du mal » du président George W. Bush.

En tant que haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, j’ai alors engagé des négociations nucléaires avec l’Iran. Mon premier interlocuteur a été Hassan Rohani, avec qui nous avons conclu un accord préliminaire. Mais l’élection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2005 a retardé le processus de plusieurs années et le fossé s’est creusé davantage lorsque Saïd Jalili a pris les rênes des négociations : il commençait constamment nos réunions en me rappelant qu’il avait perdu une partie de sa jambe pendant la guerre Iran-Irak, pour laquelle il blâmait l’Occident. Lorsque Rohani revint à la table des négociations en tant que président nouvellement élu de l’Iran en 2013, la communauté internationale a fait preuve de toute la cohésion et le savoir-faire nécessaires pour saisir cette occasion. Cela a abouti à la signature de l’accord de Vienne de 2015 (JCPOA), un jalon diplomatique qui a permis de mettre un terme à des décennies d’hostilité improductive.

Ce jusqu’à ce que le président Donald Trump décide l’an dernier de s’en retirer unilatéralement, imposant de nouvelles sanctions à l’Iran, et abusant de la position dominante du dollar américain en menaçant les entreprises étrangères de sanctions secondaires si elles continuent à faire affaire avec la République islamique. À la suite de ces actions, les États-Unis ont perdu toute chance de former un front uni avec l’Europe afin de faire échec aux violations des droits de l’homme par l’Iran, ainsi qu’à son comportement déstabilisateur au Moyen-Orient et au-delà. L’Union européenne a dû se concentrer sur la noble cause de la sauvegarde du JCPOA grâce à un instrument novateur de compensation des paiements, sur le point de devenir opérationnel.

Lors d’une conférence parrainée par les États-Unis et tenue la semaine dernière à Varsovie, le gouvernement Trump a vainement cherché à diviser l’Europe et à élargir la coalition anti-iranienne qu’il mène avec Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Il reste que malgré toutes les difficultés internes du régime iranien, précipiter son effondrement n’est pas plus réaliste à présent que lors des 40 dernières années.

Au lieu de contrarier l’Iran et de donner de la crédibilité à ses extrémistes, l’Occident devrait rechercher une formule plus inclusive pour répondre aux menaces régionales. Alors que des décennies d’hostilité envers l’Iran n’ont donné aucun résultat, la récente période d’engagement et de négociation a abouti à un accord nucléaire historique. Quelle approche est la plus efficace ? La réponse devrait être évidente…


Copyright : Project Syndicate, 2019.

par Javier Solana

Président du centre pour l’économie mondiale et la géopolitique de l’Esade Business School (Barcelone). Ancien haut représentant de l’UE pour la politique étrangère et la sécurité et ancien secrétaire général de l’OTAN.


Lisez aussi notre dossier spécial sur les 40 ans de la révolution iranienne 


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commentaires (5)

L'Iran peut faire ce qu'elle veut chez elle mais qu'il laisse le Liban tranquille et sa milice terroriste du Hezbollah qui fait le beau et le mauvais temps chez nou

Eleni Caridopoulou

18 h 26, le 24 février 2019

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Commentaires (5)

  • L'Iran peut faire ce qu'elle veut chez elle mais qu'il laisse le Liban tranquille et sa milice terroriste du Hezbollah qui fait le beau et le mauvais temps chez nou

    Eleni Caridopoulou

    18 h 26, le 24 février 2019

  • La vie n'a qu'un sens : une ligne qui va de la naissance à la mort. Le reste n'est que broderie. Tout a une fin... Espérons une paix durable et juste pour toute l'humanité, même si cela semble utopique.

    Sarkis Serge Tateossian

    12 h 41, le 24 février 2019

  • Il y’a un certain obscurantiste des 2 cotés . Dans le club occidental, l’Europe a néanmoins une vision beaucoup plus pragmatique et ouverte que les États Unis à l’égard de l’Iran. Cette approche est purement culturelle et historique car l’Europe occidentale , constituée de vielles nations dont la France , est très sensible a la richesse de l’histoire et de la culture iranienne . Ce que les USA ne peuvent ou ne veulent pas comprendre .

    L’azuréen

    12 h 07, le 24 février 2019

  • NEGOCIATIONS A LA NORD COREENNE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 35, le 24 février 2019

  • Je donnerai 2 réponses pour arriver à la fin des hostilités entre l'occident et l'Iran NPR. Le respect de la dignité du peuple iranien qui SUBIT depuis 40 ans une guerre sans merci de la part des OCCIDENTAUX alliés des wahabites MANIPULÉS par israel. La reconnaissance de la DÉFAITE de leur " projet" macabre au M.O, qui n'est qu'une suite de COMPLOT foireux.

    FRIK-A-FRAK

    09 h 31, le 24 février 2019

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