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Idées - Commentaire

Le Liban, nouveau banc d’essai des ambitions régionales russes

Le président russe Vladimir Poutine serrant la main du Premier ministre libanais Saad Hariri, le 1er avril 2016 à Moscou. Michael Klimentyev/Sputnik/Kremlin/Reuters

Le 25 janvier dernier, alors que le feuilleton de la formation du cabinet n’avait pas encore trouvé son dénouement et que le pays voyait s’accroître les difficultés économiques et financières, l’ancien ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, signait un contrat avec le groupe pétrolier public russe Rosneft pour la réhabilitation, l’expansion et l’exploitation d’installations de stockage de pétrole à Tripoli. Constatant que cet accord renforçait la présence de Rosneft dans la région, son directeur général, Igor Sechin, annonçait à cette occasion espérer « une nouvelle expansion de la coopération avec le Liban et la mise en œuvre d’autres projets potentiels dans le secteur du pétrole et du gaz dans ce pays ».

Fait notable, Rosneft est la deuxième société pétrolière russe à entrer dans ce secteur naissant au Liban : l’an dernier, c’est sa compatriote Novatek qui y faisait une entrée remarquée, avec la signature du premier accord de production et d’exploration offshore de pétrole et de gaz, dans le cadre d’un consortium réunissant l’italien ENI et le français Total. Or, à bien des égards, ces accords ne confirment pas seulement que la Russie souhaite désormais jouer un rôle de premier plan dans le secteur gazier de la Méditerranée orientale, notamment en Syrie et au Liban, ils témoignent plus généralement des efforts croissants de Moscou pour établir une influence politique, économique et culturelle durable au Liban.


(Lire aussi : Luttes d’influence politiques et diplomatiques au Libanle décryptage de Scarlett Haddad)


Tâter le terrain

De fait, l’année 2018 a indiscutablement marqué une étape importante pour la présence de la Russie dans le pays du Cèdre et les différentes initiatives adoptées dans ce cadre peuvent donner certaines indications sur les prochaines étapes d’une politique marquée par le sceau de la persistance.

En février 2018, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a ainsi signé un accord militaire avec le Liban. Si le Liban avait déjà reçu des offres similaires, cet accord témoignait de l’ampleur des ambitions nouvelles de Moscou en la matière, accordant notamment aux forces russes un accès temporaire aux bases militaires, contre la fourniture d’armes d’une valeur estimée à un milliard de dollars, remboursables sans intérêt à une échéance décennale. Depuis, le gouvernement libanais a indéfiniment reporté sa décision à ce sujet, essentiellement sous la pression des États-Unis, qui demeurent le principal partenaire de l’armée libanaise – augmentant récemment le budget dédié à cette coopération – et continuent de fournir gracieusement une assistance technique et matérielle bienvenue dans un contexte de finances publiques exsangues. Si cet accord avec la Russie demeure problématique à bien des égards – compte tenu de ses conséquences diplomatiques et de la dépendance technique de l’armée libanaise vis-à-vis du matériel américain–, cet épisode n’a pourtant pas dissuadé Moscou de persévérer en continuant à tâter le terrain libanais pour y trouver d’éventuelles opportunités. En novembre dernier, alors que la Russie avait formulé une nouvelle offre, portant cette fois sur la fourniture gratuite de munitions à l’armée libanaise, Beyrouth a tenté de nager entre deux eaux : pour éviter toute gêne, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a finalement décidé d’allouer les munitions russes aux Forces de sécurité intérieure.


(Pour mémoire : La menace russe "plus grande" que celle de l'EI, juge le chef de l'armée britannique)


« Soft power »

Parallèlement, Moscou a poursuivi son activisme sur le front du soft power, avec l’ouverture l’an dernier de plusieurs nouveaux centres culturels au Liban. En dépit de la petite taille du pays, cette offre devrait bientôt être ultérieurement renforcée avec l’ouverture prévue d’au moins un nouveau centre au Liban-Sud. Si ces initiatives ont souvent été financées par des hommes d’affaires libanais ayant des liens avec la Russie, sans coût financier direct pour Moscou, leur vocation semble loin de se limiter aux seuls aspects de la coopération culturelle, hébergeant notamment des événements de nature bien plus politique. Fin décembre dernier, le centre culturel russe de Beyrouth, le plus important du pays, accueillait ainsi le lancement par le musicien Ziad Rahbani et un groupe de personnalités de gauche – dont certaines sont considérées comme des amis de Moscou – d’un groupe de réflexion politique baptisé « Collective ».

Plus généralement, l’année 2018 a donné l’occasion aux autorités libanaises d’établir un nouveau record de visites à Moscou, ces dernières s’enchaînant parfois à un rythme mensuel. Contrairement à la plupart des puissances régionales et internationales présentes au Liban, la Russie entretient en effet des relations cordiales avec toutes les parties, y compris les alliés traditionnels de l’Occident. En novembre 2018, le président russe Vladimir Poutine décorait ainsi George Shabane, conseiller de Saad Hariri pour les affaires russes, de l’ordre de l’Amitié, l’une des principales distinctions de la Fédération de Russie. Des relations que le Kremlin a tenté de mettre à profit début janvier dernier, lorsque la presse a rapporté que la Russie était intervenue au Liban pour obtenir la libération d’Hannibal Kadhafi, fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, et détenu depuis décembre 2015 dans une prison libanaise pour avoir dissimulé des détails sur la disparition de l’imam Moussa Sadr et de ses compagnons en Libye en 1978. Ces pressions russes s’inscrivent notamment dans le cadre d’une stratégie visant à jouer un rôle plus important dans les affaires libyennes, notamment à travers la volonté de pousser les pions sur la scène locale du frère aîné d’Hannibal, Saïf al-Islam. Cependant, compte tenu de l’extrême sensibilité symbolique et politique de cette question sur la scène libanaise, et en particulier pour le président du Parlement libanais et leader du mouvement Amal Nabih Berry, les suites qui seront données à cette intercession demeurent incertaines et constitueront indéniablement un banc d’essai efficace de l’étendue de l’influence de Moscou au Liban.

En attendant, la perception de cette influence sur la scène locale ne cesse de grandir auprès des politiciens comme du grand public. Quitte à avoir recours à des analogies troublantes pour en décrire l’évolution… Dans une claire référence à l’accord Sykes-Picot conclu en 1916 par la Grande-Bretagne et la France et la Russie – et plus particulièrement à la question du tracé des « lignes pétrolières » sur laquelle s’attarde l’historien James Barr dans Une ligne dans le sable (Perrin, 2017) –, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, commentait ainsi sur Twitter l’accord conclu avec Rosneft : « Avec Rosneft à Tripoli et demain à Banias et à Bassora, “Zarif-Lavrov” (les ministres des Affaires étrangères iranien et russe, NDA) sera l’appellation en vogue pour désigner le partage du nouveau Moyen-Orient entre Russes et Perses… »

Ce texte est une traduction d’un article publié sur Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center.

Par Mohanad HAGE ALI

Journaliste et directeur de la communication du Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).




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Le 25 janvier dernier, alors que le feuilleton de la formation du cabinet n’avait pas encore trouvé son dénouement et que le pays voyait s’accroître les difficultés économiques et financières, l’ancien ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, signait un contrat avec le groupe pétrolier public russe Rosneft pour la réhabilitation, l’expansion et l’exploitation...

commentaires (5)

DONNONS SA CHANCE AU NEO TSAR DE RUSSIE. puisqu'en definitive , americains et russes se partagent les roles dans cette region, ils sauraient peut etre trouver un accord quelconque et permettre aux libanais ET au neo tsar de traficoter qqs trucs ensemble ?

Gaby SIOUFI

12 h 30, le 28 février 2019

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Commentaires (5)

  • DONNONS SA CHANCE AU NEO TSAR DE RUSSIE. puisqu'en definitive , americains et russes se partagent les roles dans cette region, ils sauraient peut etre trouver un accord quelconque et permettre aux libanais ET au neo tsar de traficoter qqs trucs ensemble ?

    Gaby SIOUFI

    12 h 30, le 28 février 2019

  • Plus que les américains la Syrie même n’en cherche pas leur retour à tout prix ... il suffit de regarder du coter de la Jordanie qui a repris contact et ce depuis 2015 avec la Syrie et ..... les refugiers y sont tjrs lol ... la Syrie accepterai de les laisser revenir mais que si elle a quelque chose en contre partie !!!

    Bery tus

    21 h 33, le 23 février 2019

  • L'aide la plus urgente et la plus fondamentale que nos mis russes pourraient nous fournir , c'est celle relative à au retour des réfugiés syriens chez eux , nous les remercieront toute notre vie s'ils arrivaient à le faire malgré la pression négative qu'y mettent les americains !

    Chucri Abboud

    19 h 25, le 23 février 2019

  • L,OURS EST DE PAR SA NATURE GLOUTON !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 15, le 23 février 2019

  • Ceux qui nous parlaient d'une amitié sans faille entre Poutine et le criminel usurpateur nathanmaxhinbidule devrait reconsidérer leur calcul géopolitique. Poutine sera celui qui pourra dire stop à l'arrogance. Tiens! by the way les usurpateurs de la terre de Palestine n'ont plus envie de bombarder la Syrie du héros bashar???? Ça fait un bail qu'on ne les entend plus.

    FRIK-A-FRAK

    09 h 05, le 23 février 2019

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