Les responsables libanais n’aiment pas changer leurs habitudes. Adeptes du pèlerinage politique, ils s’empressent toujours de trouver des nouvelles destinations en harmonie avec la direction du vent. Après Paris, Washington, Anjar, Damas et Riyad, ils prennent désormais le chemin de Moscou, devenue soudain « le lieu où il faut aller pour deviner les contours de l’étape future dans la région ». Les Libanais ne sont d’ailleurs pas vraiment à blâmer, puisque des dirigeants importants dans la région vont désormais plus souvent à Moscou qu’à Washington. Il s’agit notamment du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, du prince héritier saoudien l’émir Mohammad ben Salmane, du président turc Recep Tayyip Erdogan, et des dirigeants iraniens...
La liste des visiteurs libanais de Moscou est donc désormais longue. Il y a bien sûr eu le Premier ministre Saad Hariri, mais aussi le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, ainsi que le fils du leader Walid Joumblatt, Teymour Joumblatt, qui sera bientôt suivi de Tony Sleiman Frangié, et le reste à l’avenant. Pourquoi ce soudain engouement des politiques locaux pour Moscou ? Un diplomate chevronné qui a servi dans la capitale russe précise qu’il y a en gros deux grandes raisons qui poussent les Libanais à se rendre en Russie. D’abord, les développements en Syrie montrent que le Kremlin a désormais le rôle principal dans ce pays et on peut même dire qu’il constitue la force montante face à des États-Unis en déclin. Concernant le dossier syrien et les problèmes régionaux en général, c’est désormais à Moscou qu’il faut se rendre pour comprendre ce qui se passe et essayer de deviner l’étape prochaine. De plus, les responsables libanais qui ont pour la plupart mis leurs œufs dans le panier américain au sujet du régime syrien, en le considérant comme étant déjà tombé, ont multiplié par conséquent les critiques à son égard. Ceux-là se retrouvent aujourd’hui coincés et cherchent à solliciter l’aide de Moscou pour tenter d’assainir directement ou indirectement leurs relations avec les autorités syriennes.
Selon le même diplomate, c’est la demande qu’aurait formulée Teymour Joumblatt à ses interlocuteurs russes, en misant sur les relations chaleureuses qui ont toujours lié la famille Joumblatt aux dirigeants de Moscou depuis l’époque soviétique. Les sources qui rapportent l’information ajoutent que le fils du leader druze aurait exprimé son souhait d’ouvrir une nouvelle page à la fois avec les Russes et avec leurs alliés comme la Syrie, en affirmant qu’il n’a pas le même parcours ni le même profil que son père. De même, le Premier ministre Saad Hariri aurait tenté de solliciter l’aide de Moscou pour assainir autant que possible ses relations avec les dirigeants de Damas, ou du moins trouver une formule de coopération qui passerait par Moscou et n’exigerait pas un dialogue direct avec la Syrie, à la veille de l’annonce d’une véritable stabilisation de la situation dans ce pays, qui exigerait du Liban l’établissement d’une coopération économique utile pour les deux parties.
Toujours selon ce vieux routier de la diplomatie qui connaît les rouages de Moscou, les dirigeants du Kremlin seraient un peu dépassés par cet afflux de visiteurs venus du Liban. Pour lui, les responsables russes n’ont pas un plan précis pour le Liban. Ils agissent dans la région selon une stratégie globale, axée sur la Syrie. À leurs yeux, le Liban n’est que « l’arrière-cour » de la Syrie, et par conséquent, ils ne s’intéressent qu’aux grandes lignes stratégiques et non aux détails. La proposition faite il y a quelques années de contribuer à l’équipement de l’armée libanaise en lui donnant des avions russes n’a pas été accueillie favorablement au Liban. Depuis, les Russes n’ont plus présenté aux Libanais des offres de ce genre. Aujourd’hui, l’intérêt du Liban pour les Russes se situe au niveau du Hezbollah et de sa participation aux grandes batailles qui se déroulent en Syrie. À ce sujet, des sources militaires affirment que ce sont les militaires russes qui auraient sollicité la participation des combattants du Hezbollah à certaines batailles comme celle d’Alep ou du sud de la Syrie, aux côtés de l’armée syrienne.
Toujours selon ce diplomate ayant servi à Moscou, on dirait que les Libanais ont soudain pris conscience de l’importance de la Russie, eux qui avaient l’habitude de regarder soit vers l’Occident et ses alliés régionaux, soit vers la Syrie et l’Iran. Au Kremlin, on entend désormais des questions sur la situation interne libanaise, le poids de telle ou telle autre partie, les entraves qui bloquent la formation du gouvernement, etc., bref, des sujets impensables il y a quelques années encore.
Pour ce diplomate, les visiteurs libanais de Moscou souhaiteraient une intervention directe du Kremlin dans les affaires intérieures libanaises, étant habitués à ce genre de pratiques de la part d’autres pays. D’ailleurs, face à cette orientation des responsables libanais vers le Kremlin, les milieux diplomatiques occidentaux commencent à se poser des questions. Dans leurs discussions avec les politiques libanais, ils glissent désormais des questions en apparence anodines mais qui expriment une grande inquiétude, du genre : le Liban pourrait-il devenir une zone d’influence russe, à l’instar de la Syrie ? Ils rappellent ensuite le fait que les États-Unis et la Grande-Bretagne sont les pays qui aident le plus l’armée libanaise et que ce processus pourrait être modifié si le Liban tombait sous l’influence des Russes. Ces remarques cachent en réalité la crainte d’un bouleversement radical des rapports de force dans la région qui se résumerait par un retrait américain au profit de l’extension de l’influence des Russes. Interrogés sur cette question, des responsables libanais affirment qu’il est trop tôt pour sauter à ce genre de conclusion. D’une part, les Russes ne manifestent aucune intention d’ajouter le Liban à leur zone d’influence, se concentrant essentiellement sur la Syrie, et d’autre part, le Liban ne compte pas basculer d’un camp à l’autre. Il pourrait ainsi rester longtemps une zone de rencontre ou de partage des influences entre les États-Unis et la Russie...
Lire aussi
Réfugiés syriens : sans l’ONU – et les donateurs –, pas d’avenir pour l’initiative russe
commentaires (7)
Les voyages donnent l'impression d'être occupé quand en vérité il faut être au pays pour planifier l'avenir, formuler une vision et organiser son application indépendamment des interventions externes. Le monde, alors, nous respectera, nous ecoutera et nous aidera à accomplir nos projets de construction d'un pays moderne. Des voyages brouillons par ci et par là par une multitude de voyageurs aux voix dissonantes ne font qu'effacer le peu de respect qui nous reste... Allah yisseiidna
Wlek Sanferlou
18 h 06, le 30 août 2018