Souhaiter dans un tweet la paix entre les Arabes et Israël à l’occasion de la nouvelle année signifie pour certains un appel à la normalisation avec cet État et constitue donc un crime. C’est ce que l’ancien député Farès Souhaid, président du Rassemblement de Saydet el-Jabal, a perçu lorsqu’il a fait l’objet d’une dénonciation présentée mercredi par trois avocats devant le parquet à la suite de ses vœux écrits le 31 décembre sur son compte Twitter, exprimant son souhait de voir la paix régner dans la région. Il avait alors invité les chrétiens à « sortir de la peur », leur demandant de « brandir le slogan de la paix entre les différentes ailes de l’islam, entre les chrétiens et les musulmans et entre les Arabes et Israël ».
Considérant que ces propos sont une infraction à la loi sur le boycottage d’Israël, les trois avocats, Hassan Bazzi, Mariam Hamdan et Soha Ismaïl, ont saisi le procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, qui a estimé hier que la question relève de la compétence du tribunal militaire et leur a demandé de transmettre leur recours au commissaire du gouvernement auprès de ce tribunal.
L’initiative de ces avocats est-elle spontanée ou est-elle au contraire le fruit d’une volonté du Hezbollah de museler des voix de l’opposition comme celle de Farès Souhaid, lequel ne rate pas une occasion de dénoncer la mainmise iranienne à travers le parti chiite ?
Contactée par L’Orient-Le Jour, Mme Ismaïl assure que « le recours n’a été instruit par aucun parti », soulignant que son seul parti est « le Liban ». Elle affirme que le recours est basé sur l’article 317 du Code pénal qui punit « l’auteur d’un acte, d’un écrit ou d’un discours dont le but est de susciter des conflits entre les différents éléments de la population ». Mme Ismaïl rappelle que la dénonciation se fonde en outre sur « la transgression de la loi édictant le boycott d’Israël ». En réponse à une question de L’OLJ de savoir si cette loi est toujours de mise alors qu’au cours du sommet arabe tenu à Beyrouth en 2002, les dirigeants arabes ont proposé à Israël une normalisation de ses relations avec tous les pays arabes en échange notamment d’un retrait des territoires arabes occupés par l’État hébreu depuis 1967 et d’un règlement de la question des réfugiés palestiniens, l’avocate affirme que cette offre « a été rejetée par Israël et n’a pas conduit à des négociations sérieuses et à un accord de réconciliation ou de paix ». « Partant, un citoyen ne peut appeler à faciliter les relations avec un État ennemi », souligne-t-elle, ajoutant que « cette prérogative est du ressort du seul État libanais, qui jusqu’à ce jour ne l’a jamais utilisée ».
Au fait, si un citoyen lambda avait invité à un rapprochement avec Israël, aurait-il été inquiété, comme l’est aujourd’hui Farès Souhaid ? À cette question posée par L’OLJ, une source proche du Hezbollah affirme que nombre d’internautes coupables de cybercriminalité à travers des tweets écrits ont déjà été sanctionnés. Selon cette source, M. Souhaid, qui n’est pas une personnalité « ordinaire », puisqu’il a occupé des postes politiques, devrait à plus forte raison rendre des comptes à la justice s’il s’avère qu’il cherche à normaliser les relations avec « un État occupant dont l’existence n’est pas reconnue ». Dans ces mêmes milieux du parti chiite, on affiche toutefois l’attachement à « ne pas s’immiscer dans l’action de la justice, à qui revient seule le pouvoir d’émettre les sanctions édictées par les lois en vigueur ».
(Lire aussi : Qui veut la peau de Farès Souhaid ?)
Deux poids deux mesures
Quant à M. Souhaid, il rappelle à L’OLJ que la cabale fomentée contre lui n’est pas récente, soulignant qu’elle a paru au grand jour lorsque ont été annulés sous la pression exercée par le Hezbollah les séminaires que voulait organiser à Beyrouth le Rassemblement de Saydet el-Jabal, en octobre dernier, autour du thème de l’opposition contre la mainmise iranienne sur les décisions du pays. « Depuis, une armée technique me suit et m’insulte à chacun de mes tweets », note M. Souhaid, soulignant que ses vœux à l’occasion de la nouvelle année ont constitué « un événement ponctuel » qui a suscité « un message très clair » lancé à tous les protagonistes qui n’adhèrent pas à la ligne politique du Hezbollah. L’ancien député se demande dans ce cadre « pourquoi (le chef du Courant patriotique libre) Gebran Bassil n’a-t-il pas été inquiété lorsqu’il a affirmé (en décembre 2017) qu’il ne refuse pas l’existence d’Israël et son droit de jouir de la sécurité ? ». « La question ne repose pas sur la teneur de propos déterminés, mais plutôt sur l’identité de celui qui les exprime », constate amèrement M. Souhaid.
« De plus, poursuit-il, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a lui-même déclaré (le 23 décembre) à l’hebdomadaire français Le Point que l’Iran n’a jamais voulu détruire Israël. »
D’ailleurs « la paix juste et équitable » est recherchée par tout le monde arabe, fait constater un ancien ministre, qui estime que les propos de Farès Souhaid sont conformes à la volonté unanime des États arabes de parvenir à cette paix. « En politicien averti, M. Souhaid ne sort vraisemblablement pas des résolutions adoptées lors des différents sommets dans lesquelles les qualificatifs “juste et équitable” ont été mentionnés, mais il aurait pourtant mieux valu qu’il les ajoute dans son tweet », précise cet ancien ministre.
Un pénaliste interrogé par L’OLJ affirme à cet égard qu’« une grande partie des pays arabes a déjà reconnu Israël ». Il affirme par ailleurs que nul ne peut être accusé de « normaliser » les relations libano-israéliennes s’il n’a pas collaboré avec Israël. « Un appel à réaliser la paix n’est nullement condamnable », insiste le pénaliste, soulignant que Farès Souhaid « est en droit d’assigner en justice pour dénonciation calomnieuse ceux qui l’accusent de normalisation ».
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commentaires (15)
si vous me le permettez je voudrais rajouter pour certaines âmes obscures COMMENT DEMANDER OU SOUHAITER LA PAIX DANS LE MONDE PEUT ETRE CONDAMNABLE !?!?! MR SOUHAID ICI NE FAIT QU'APPLIQUER LA SAINTE BIBLE QUI EST DE DEMANDER LA PAIX MEME A NOS PIRES ENNEMIS ET A LEUR PARDONNER
Bery tus
16 h 14, le 04 janvier 2019