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Moyen Orient et Monde - Orthodoxie

L’indépendance de l’Église ukrainienne, « une amputation » pour Moscou

Dans un contexte de tensions avec la Russie, le président ukrainien a fait de cette indépendance religieuse l’une de ses cartes pour sa campagne présidentielle.

Le président ukrainien Petro Porochenko (à gauche), le métropolite Iépifani (Dumenko – centre) et un envoyé spécial du patriarche œcuménique, le métropolite Emmanuel de France, assistant à la convocation d’un conseil d’église pour la création d’une Église orthodoxe ukrainienne indépendante à la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, Ukraine décembre 15, 2018. Mikhail Palinchak/Service de presse présidentiel ukrainien/Document distribué via Reuters

C’est (presque) officiel. Les représentants des confessions orthodoxes d’Ukraine se sont rassemblés samedi dernier dans la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev à l’occasion d’un « concile de réunification » pour acter la création d’une Église ukrainienne indépendante de la tutelle religieuse russe. Ce concile a également élu le nouveau primat de cette église, le métropolite Iépifani, 39 ans. Cette nouvelle église doit certes encore être reconnue par un décret officiel émanant de Constantinople, mais pour le président ukrainien Petro Porochenko, la messe est d’ores et déjà dite. Face à plusieurs milliers de ses partisans, le chef de l’État ukrainien, également présent au concile, a tenu à saluer ce jour « historique » à travers un discours aux accents antirusses. « Ce jour sacré entrera dans l’histoire comme celui de la création d’une Église autocéphale (indépendante) unie en Ukraine, jour de notre indépendance définitive de la Russie », a déclaré samedi le président ukrainien. « Qu’est-ce que c’est cette église ? C’est une église sans Poutine (…) L’Ukraine ne boira plus de poison moscovite depuis le calice de Moscou », s’est-il exclamé, ajoutant que « la question d’une église autocéphale est une question de sécurité nationale pour l’Ukraine ».

L’établissement de cette « nouvelle » église avait été annoncée il y a deux mois, lorsque le patriarcat œcuménique de Constantinople avait reconnu une église autocéphale en Ukraine, mettant fin à plus de trois siècles de rattachement religieux à l’Église de Moscou. Cette dernière avait par la suite officiellement rompu ses relations avec le patriarcat de Constantinople. « Nous ne pouvons plus célébrer d’office en commun, nos prêtres ne pourront plus participer aux liturgies avec des hiérarques du patriarcat de Constantinople. (…) Nous ne pouvons pas garder le contact avec cette église qui est en situation de schisme », avait alors déclaré le chef de la diplomatie de l’Église orthodoxe de Russie, le métropolite Hilarion. « Cette décision était inévitable : notre Saint-Synode ne pouvait en prendre une autre du fait des actions récentes du patriarcat de Constantinople », a-t-il poursuivi. Moscou a également reproché à Constantinople, et notamment au patriarche Bartholomée Ier de Constantinople (Primus inter pares) d’avoir récemment réhabilité le patriarche de Kiev, Philarète, fondateur d’une église dissidente et excommunié en 1997 par Moscou.

Cette « naissance » d’une église ukrainienne indépendante arrive par ailleurs au bon moment pour M. Porochenko qui voit depuis des années sa position de plus en plus fragilisée en raison des tensions avec la Russie, de la perte de la Crimée et de la guerre dans le Donbass (est du pays). Le chef de l’État ukrainien a également fait de cette indépendance religieuse l’une de ses cartes pour sa campagne pour l’élection présidentielle du 31 mars prochain. Cependant, si l’indépendance de la nouvelle Église ukrainienne est une « victoire » pour M. Porochenko, elle pourrait néanmoins engendrer de nombreux clivages entre Moscou et Kiev, surtout au niveau des propriétés ecclésiastiques. « Il y aura sans doute des conflits ponctuels dans l’est et le centre de l’Ukraine et des conflits locaux sur la propriété ecclésiastique (églises et monastères). La nouvelle Église ukrainienne va essayer de mettre la main sur les propriétés des Ukrainiens orthodoxes toujours fidèles à Moscou. Or une partie des paroisses qui sont sous la juridiction de Moscou vont résister à cela et ne vont pas remettre leurs paroisses de manière pacifique. C’est surtout dans ce domaine qu’il risque d’y avoir des tensions », estime un ancien diplomate arabe ayant requis l’anonymat, contacté par L’Orient-Le Jour. Déjà début décembre, des perquisitions avaient été menées par les forces de l’ordre ukrainiennes contre trois églises orthodoxes rattachées au patriarcat de Moscou, ainsi que des domiciles de prêtres dans le centre-nord du pays. « Porochenko et Poutine ont besoin de ce conflit identitaire. Ils ont tous deux des problèmes politiques, économiques et sociaux dans leurs pays respectifs, et ce conflit les arrange d’une certaine manière et détourne les regards des populations », poursuit ce diplomate.


(Lire aussi : Qui est Iepifani, le jeune primat de la nouvelle Eglise orthodoxe ukrainienne ?)


Papisme moscovite
Mais au-delà de la question politique, l’officialisation de la nouvelle Église ukrainienne pourrait mettre des bâtons dans les roues de Moscou, notamment en ce qui concerne l’influence de son église dans la région, mais aussi son idéologie et sa stratégie d’expansion. « La constitution de cette église est perçue comme une amputation. Moscou perd tout un pays. Dans l’idéologie du “peuple russe” qui va au-delà des frontières de la Russie actuelle, l’Ukraine occupe une place de choix, parce que c’est le berceau de l’Église russe. Et voir ces Ukrainiens se séparer de Moscou est très mal vécu sur le plan psychologique et affaiblit le discours identitaire russe », explique l’ancien diplomate. « C’est un affaiblissement certain pour le patriarcat de Moscou, même si plusieurs églises orthodoxes ne vont pas reconnaître la nouvelle Église ukrainienne et vont continuer à soutenir Moscou comme les Serbes, les Bulgares ou encore les Polonais. Mais dans l’ensemble, Moscou est affaibli », poursuit-il. Cet affaiblissement est par ailleurs mal vécu par la Russie qui mise beaucoup sur la religion pour mener à bien son projet expansionniste. « Moscou est retombé dans une politique très “romaine” où le religieux et le politique sont intimement mélangés. Il y a une orthodoxie poutinienne qui s’oriente majoritairement vers les Slaves. Mais les Grecs, les Serbes et les Bulgares pourraient ne pas accepter cette sorte de papisme moscovite. Or le panslavisme a besoin de la dimension religieuse pour faire ciment », explique à L’OLJ le Dr Antoine Courban, professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. « Par rapport au dialogue œcuménique, Moscou va se positionner comme l’interlocuteur principal de l’orthodoxie, mais est-ce que les autres églises vont accepter cela ? Pour le Vatican par exemple, c’est absolument hors de question, car du point de vue du Saint-Siège, il y a Rome et la “Nouvelle Rome”, c’est-à-dire Constantinople (…) Va-t-on ainsi vers deux juridictions orthodoxes séparées avec une juridiction méditerranéenne d’un côté et une hégémonie moscovite de l’autre ? Le risque est là », conclut-il.


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commentaires (2)

LE POLITIQUE DOIT ETRE PARTOUT SEPARE DU RELIGIEUX ! OR ICI IL SEMBLE EN ETRE LA RAISON...

LA LIBRE EXPRESSION

06 h 45, le 17 décembre 2018

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Commentaires (2)

  • LE POLITIQUE DOIT ETRE PARTOUT SEPARE DU RELIGIEUX ! OR ICI IL SEMBLE EN ETRE LA RAISON...

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 45, le 17 décembre 2018

  • Il va falloir ménager la chèvre et le chou. Ce genre de dispute peut furer une ou deux décennies tout au plus. La concorde se rétablira entre les deux peuples si peu differends au fond.

    Sarkis Serge Tateossian

    03 h 07, le 17 décembre 2018

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