Le Sénat, la chambre haute du Congrès des États-Unis. SAUL LOEB / AFP
C’est une nouvelle claque pour l’administration Trump. Le Sénat américain, la chambre haute du Congrès, a approuvé jeudi deux résolutions qui interdisent non seulement tout soutien militaire américain à l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen, adoptée avec 56 % des voix, mais qui pointent aussi du doigt la responsabilité du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné au consulat de son pays à Istanbul le 2 octobre dernier.Un nouveau coup dur de la part d’un Sénat à majorité républicaine qui s’était déjà exprimé à la fin du mois de novembre sur un projet de résolution visant à stopper le soutien américain à Riyad. Le résultat du vote avait mêlé tant démocrates que républicains et recueilli 63 % de voix favorables, alors que six mois plus tôt la même résolution n’avait récolté que 44 % de voix pour. Mais les deux votes de jeudi ne pourraient avoir qu’une portée symbolique, en tout cas à l’échelle des États-Unis.
Pour que la résolution interdisant le soutien américain à l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen entre en vigueur, il faudrait qu’elle soit débattue au sein de la Chambre des représentants, actuellement à majorité républicaine. Elle a donc peu de chances d’aboutir pour le moment. Mais la situation pourrait changer au début du mois de janvier 2019 lorsque la chambre basse passera à une majorité démocrate conformément aux résultats des dernières élections de mi-mandat. Mais en admettant que la résolution soit approuvée par les deux chambres, elle devrait néanmoins encore être approuvée et signée par le président américain en personne. Ce qui est très peu probable, compte tenu de la quasi-certitude de voir Donald Trump y opposer son veto. Le président américain veut à tout prix maintenir l’alliance « inébranlable » avec Riyad, malgré les soupçons qui pèsent sur MBS. Cette entente américano-saoudienne est pour le locataire de la Maison-Blanche le meilleur moyen de contenir la menace iranienne dans la région.
Par ailleurs, les manifestations de l’inquiétude des élus américains, et en particulier les républicains, pourraient semer le trouble dans le camp de Donald Trump qui, jusqu’à présent, pouvait compter sur une solide base républicaine sur laquelle s’appuyer. Mais, face aux gestes du président américain pour couvrir son allié saoudien, cette base n’hésite pas à se dresser et manifester son mécontentement.
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Agir rapidement
Mais le geste du Sénat dépasse le cadre de la politique américaine et envoie un avertissement au royaume. « Une condamnation unanime du prince héritier d’Arabie saoudite par le Sénat américain envoie un message fort au roi Salmane : ce problème dans les relations américano-saoudiennes ne peut pas être balayé sous le tapis ou ignoré », avait réagi hier sur Twitter Martin Indyk, diplomate américain et membre du Council of Foreign Relations.
« L’Arabie saoudite reçoit plusieurs avertissements du Sénat (…). Les Saoudiens pourraient se dire, ce qui serait sage, qu’ils doivent agir rapidement pour rétablir leur réputation auprès des deux partis au Congrès et que leur image doit changer. S’ils ne le font pas, 2019, 2020 et les périodes postérieures seront très difficiles pour l’Arabie saoudite », explique pour sa part Hussein Ibish, chercheur à l’Institut des États du Golfe de Washington, contacté par L’Orient-Le Jour. « Il est essentiel, pour avoir une solide entente avec les États-Unis, d’avoir de bonnes relations avec les deux partis, républicains et démocrates, et pas seulement avec l’un d’entre eux (…). Si Trump est en difficulté, alors les démocrates reviendront aux prochaines élections, et si c’est le cas, ils voudront très certainement corriger les agissements de l’administration précédente », ajoute-t-il. Et c’est cela que le royaume wahhabite cherche à éviter. Les Saoudiens avaient en effet détesté la période du double mandat du démocrate Barack Obama (2008-2016). Le rapprochement de Washington avec Téhéran avec la signature de l’accord nucléaire, ainsi que la volonté de l’ancien président de se désengager de la région et de créer un équilibre entre les puissances régionales laissaient entrevoir un véritable cauchemar pour Riyad.
« Pour le royaume, regarder le geste du Sénat et, au final, ne rien faire et dire que rien ne va se passer serait une très grosse erreur », assure encore M. Ibish. Un changement au sein de l’ordre de succession n’est cependant pas au programme pour le roi Salmane. « Le roi Salmane pourrait opérer un changement dans l’ordre de succession pour une autre raison, mais il ne le fera pas pour plaire aux États-Unis. En ce qui concerne son leadership, l’Arabie saoudite prend ses décisions pour ses propres raisons. Il est irréaliste pour les États-Unis d’essayer de dire à l’Arabie saoudite quel devrait être son leadership », conclut-il. Reste maintenant à savoir quels gestes le roi ou le prince héritier pourraient effectuer pour tenter de regagner la confiance qu’ils ont perdue auprès des élus américains.
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Un proche de MBS accusé d'avoir supervisé des actes de torture
commentaires (6)
En tout état de cause , MBS est cuit
L’azuréen
20 h 08, le 16 décembre 2018