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Dessinez-leur un mouton

Le père Noël, s’il a jamais existé, fut certainement un vieil homme heureux. Y a-t-il plus grand bonheur que la perspective de faire plaisir ? Lui, c’était son métier et son privilège. Dans ses ateliers situés, dit-on, au pôle Nord, il a longtemps dessiné des figurines naïves que ses nombreux lutins s’affairaient à sculpter dans le bois et peignaient en chantant. Ils sont longs, les hivers polaires. Ils invitent à la bienveillance dans la chaleur somnolente des feux de bois. On y prend le temps de soigner son ouvrage en faisant durer la passion qu’on met à le faire. Alors, d’un hiver l’autre, ces joujoux en apparence rudimentaires, mais dont la dure matière est déjà imprégnée du secret de l’arbre qui l’a livrée, absorbent la joie douce de l’artisan qui burine et polit. Quand ils rejoignent le char céleste, quand enfin ils font leur chemin à travers les cheminées, quand, au petit matin, les enfants impatients les découvrent, ils ne sont plus simples poupées, pantins ou locomotives. Ils encapsulent une matière ineffable qui fait briller les yeux des minots et nourrit leur imagination de récits sans fin. Certains croient que c’est de la magie, mais la seule magie qui existe en ce monde est l’amour. Et seuls font plaisir, seuls sont attachants, seuls deviennent indispensables les objets façonnés avec grâce. Ceux-là – les enfants le savent – transmettent de main en main la caresse de la main qui les a créés.

Le père Noël est mort avec l’ère numérique, emportant avec lui cette autre époque où créer et offrir relevaient du même geste. Entre les deux est arrivée une période de consommation outrancière qui a tout ravagé sur son passage. Chaque génération sécrète ses propres valeurs. Les jeunes adultes de ce nouveau millénaire n’ont pas la même envie de posséder que leurs prédécesseurs. Nul n’est plus conscient qu’eux de la fragilité de leur planète. Pour eux, consommer, c’est à l’évidence polluer, et ce que nous appelons « biens », ils le traduisent en « fardeaux ». Ils ont de moins en moins envie de s’alourdir, et les plus beaux cadeaux qu’ils puissent s’offrir sont immatériels. Ils préfèrent voyager, planter leur tente en des lieux sauvages ou louer des Airbnb à plusieurs plutôt que verser des mensualités pour l’achat d’un logement ; prendre des Uber, des vols low-cost ou des transports en commun plutôt qu’investir dans une voiture ; reconvertir des vêtements vintage plutôt qu’en acheter de nouveaux; vivre des expériences plutôt que s’encombrer d’objets ; imaginer, apporter des idées neuves plutôt qu’accepter passivement ce qui existe ; partager parce que ça rend léger, crée des liens et permet de vivre intensément.

Vivre, c’est cela leur priorité. Éprouver de belles émotions. Consigner dans leur CV les moments où ils ont affronté leurs peurs et dépassé leurs limites plutôt que des stages derrière des enseignes clinquantes où ils n’auront fréquenté que la photocopieuse. Leur malaise croissant vient de leur incapacité à se projeter dans l’avenir avec les outils du passé. Tout est pour eux à réinventer, le désir comme les systèmes politiques, le sens de Noël comme son folklore. Nous sommes blasés, ils sont insatisfaits. Nous nous contentons, ils veulent s’émerveiller.

Le père Noël, s’il a jamais existé, fut certainement un vieil homme heureux. Y a-t-il plus grand bonheur que la perspective de faire plaisir ? Lui, c’était son métier et son privilège. Dans ses ateliers situés, dit-on, au pôle Nord, il a longtemps dessiné des figurines naïves que ses nombreux lutins s’affairaient à sculpter dans le bois et peignaient en chantant. Ils sont longs,...

commentaires (2)

Offrez-leurs « Le petit prince » en format numérique. Le livre n’est pas mal non plus; et pour ceux trop paresseux de lire, racontez-leur l’histoire avant dodo. Ce petit prince garde toujours un charme absolu ! En attendant l’allumeur du réverbère, souvenez-vous que vous êtes toujours des enfants.

Evariste

23 h 28, le 13 décembre 2018

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Commentaires (2)

  • Offrez-leurs « Le petit prince » en format numérique. Le livre n’est pas mal non plus; et pour ceux trop paresseux de lire, racontez-leur l’histoire avant dodo. Ce petit prince garde toujours un charme absolu ! En attendant l’allumeur du réverbère, souvenez-vous que vous êtes toujours des enfants.

    Evariste

    23 h 28, le 13 décembre 2018

  • BON ARTICLE ! QUAND A DESSINER UN MOUTON... DE GRACE... CAR NOUS SOMMES TOUS DES MOUTONS QUI NE SAVONS QUE GROGNER, NOUS PLAINDRE MAIS IMBECILEMENT NOUS TAIRE ET SUIVRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 57, le 13 décembre 2018

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