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Moyen Orient et Monde - Documentaire

Prendre la caméra pour se battre contre Bachar el-Assad...

Le documentaire « Still Recording », réalisé par Ghiath Ayoub et Saeed al-Batal, montre l’envers du décor de cinq années dans la Ghouta.

Saeed al-Batal et Ghiath Ayoub. Photo DR

Fin 2011. Dans une salle obscure de la Ghouta orientale, une dizaine de jeunes suivent la leçon de Saeed, qui analyse la composition d’un blockbuster américain, Underworld : Nouvelle Ère. « Ce film a coûté des fortunes, l’équivalent d’une quinzaine d’hôpitaux et d’écoles. De quoi envoyer la moitié des habitants de Douma faire des études à New York. Ils ont dépensé tout cet argent, apprenons d’eux », lance le jeune passionné de cinéma à ses disciples toute ouïe. Ils espéraient faire du cinéma : ils ont dû prendre la caméra pour se battre à leur façon contre le régime Assad. Tout au long de la guerre qui ravage leur pays depuis plus de sept ans, des jeunes vidéastes ont emmagasiné des fragments de temps, des images semblant parfois insignifiantes, mais qui constituent aujourd’hui des archives précieuses pour les générations à venir. C’est la petite histoire derrière la grande qu’ont cherché à retranscrire deux réalisateurs syriens. La leur, d’abord, celle de ces jeunes extirpés trop vite de leur vie estudiantine, et amenés à se jeter dans le grand bain. Mais aussi celle de ceux qui ont choisi les armes, de cette société civile et de ces familles endeuillées.Lissa Ammetsajjel, ou Still recording, est le résultat d’un tournage de plus de quatre ans, d’un subtil montage de plus de 400 heures de rushes pris dans la Ghouta, cette enclave meurtrie aux portes de Damas, avant qu’elle ne retombe dans le giron du régime de Bachar el-Assad en mars dernier. Des premiers souffles de la contestation en 2011 aux heures les plus sombres générées par le siège imposé par le pouvoir baassiste en 2013, le documentaire est un témoignage intime des deux réalisateurs, Saeed al-Batal, originaire de Tartous, et Ghiath Ayoub, né à Yabroud, dans le Qalamoun, anciens étudiants de l’Université de Damas. Produit par le journaliste et cinéaste syrien Mohammad Ali Atassi, l’œuvre documentaire a remporté deux prix à la Semaine internationale de la critique de Venise, en septembre dernier, et bouleversé le public qui a pu assister aux différentes projections en Europe, mais aussi et surtout au Liban où il a eu une résonance toute particulière, lors d’un événement privé. Il sera ensuite présenté en décembre au Festival international du film à Marrakech.


(Lire aussi : Ziad Majed : « Contrairement à son père, Bachar el-Assad n’a aucune limite »)


Casser les a priori
« On a appris à filmer à cause de la révolution. Parce qu’il y avait une nécessité de documenter et de raconter au plus près de la réalité ce qu’il se passait », confie Ghiath Ayoub, au Liban depuis 2013, contacté par L’Orient-Le Jour. Aujourd’hui, des centaines de milliers de photos et de vidéos de la guerre en Syrie continuent d’abreuver la Toile. Elles sont un instrument de communication puissant pour les deux camps. Still recording est tout sauf un résumé de cinq années de guerre dans la Ghouta. C’est un cadrage précis sur le quotidien des acteurs du conflit. Dans ce théâtre de guerre qui périclite, les personnages filmés par les réalisateurs laissent une empreinte indélébile et viennent casser tous les a priori. Ainsi, le film fait des sauts habiles entre séquences de journalisme pur et de huis clos avec des personnages parfois comiques et d’autres touchants. Cela donne lieu à plusieurs scènes cocasses captées sur le vif, comme celle d’un chef rebelle des Brigades des lions de Dieu (affilié à l’Armée syrienne libre, ASL) qui surprend un combattant d’un groupe concurrent, les Révolutionnaires de la Ghouta, en train d’essayer de voler un écran plat dans un immeuble dévasté. « On a lancé cette révolution pour ne plus se faire dépouiller, on n’est pas des voleurs », lui assène-t-il. Dans un décor de désolation, un joggeur en survêtement faisant ses échauffements est pris à parti par l’un des vidéastes. Qu’est-ce qui le motive à faire du sport avec tout ce qui se passe ? « Même si Bachar et son régime détruisent tout, le sport doit continuer. Je me dis qu’un jour on fera notre sport sur les carlingues des avions Mig », confie-t-il. Contraste saisissant entre deux mondes : les allers-retours entre la vie damascène de Milad, artiste-peintre et sculpteur, et la réalité de la guerre de Saeed – personnage central du film – à quelques encablures plus loin. Du cimetière de Douma où les petits linceuls défilent, à ce sniper rebelle plus que jamais humanisé, prêt à tirer sur sa cible tout en écoutant une chanson de Feyrouz.


(Lire aussi : « Chroniques de la révolte syrienne » ou comment documenter la mémoire)


Pluie de bombes
L’échange surréaliste par talkie-walkie entre un combattant rebelle et un soldat du régime met le doigt sur la guerre de désinformation qui sévit et contre laquelle les réalisateurs du film tentent de se battre. « Abou Ahmad de l’armée coréenne arabe, tu viens d’où », lui lance le premier. « De Syrie », lui répond le second. « Syrie unie et indivisible. » « Regarde al-Jazira pour voir si vous (le régime) ne bombardez pas les civils ». « Comment je peux être sûr que c’est filmé en Syrie ? » Le 21 août 2013, le régime lance ses armes chimiques contre l’enclave rebelle et provoque ainsi la mort de plus de 1 400 personnes. Entre les combats, les civils, les journalistes et activistes ainsi que les combattants de la Ghouta survivent comme ils peuvent sous les pluies de bombes. Saaed al-Batal restera à Douma, désormais assiégée(avant de se réfugier au Liban en 2015), pour raconter par l’image la vie de ses compagnons d’infortune contraints de manger des galettes de pain faites avec de la farine pour bovins. Le film n’omet pas d’évoquer les enfants, dont certains sont nés sous la révolution. Un témoin haut comme trois pommes raconte comment il a trouvé des morceaux de chair humaine et des membres après un bombardement, avant de décider d’aller les jeter dans une poubelle. Un peu plus tard, Milad, qui a rejoint la Ghouta assiégée, partage ses pinceaux et ses pots de peinture avec des écoliers afin d’embellir leur école. Filmer la vérité nue, raconter au plus près de la bataille comme du quotidien le plus banal ce qu’ont été ces années de peur, de privations, de mort mais parfois aussi de bonheurs simples est un défi. « Ce n’est pas simple d’exposer sa vie privée au cinéma, mais au final, nous sommes maîtres de notre propre histoire et personne ne peut la détourner », confie Ghiath Ayoub qui signe, avec Saaed al-Batal, non seulement un travail d’archive inestimable mais également une œuvre cinématographique de qualité.


Pour mémoire

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« Assad et la Russie ont essayé toutes les armes possibles contre nous, et personne n’a bougé un cil »


Fin 2011. Dans une salle obscure de la Ghouta orientale, une dizaine de jeunes suivent la leçon de Saeed, qui analyse la composition d’un blockbuster américain, Underworld : Nouvelle Ère. « Ce film a coûté des fortunes, l’équivalent d’une quinzaine d’hôpitaux et d’écoles. De quoi envoyer la moitié des habitants de Douma faire des études à New York. Ils ont...

commentaires (4)

PUBLIER PLUTOT CE QUE LES CAMERAS ONT ENREGISTRE POUR LA POURSUITE JUDICIAIRE !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 56, le 16 novembre 2018

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Commentaires (4)

  • PUBLIER PLUTOT CE QUE LES CAMERAS ONT ENREGISTRE POUR LA POURSUITE JUDICIAIRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 56, le 16 novembre 2018

  • C'est rigolo !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 05, le 16 novembre 2018

  • Nul n'est maître de son histoire……...

    Beauchard Jacques

    11 h 02, le 16 novembre 2018

  • Mille fois bravo !!! Continuer puisse le tout puissant vous accompagnez

    Bery tus

    11 h 00, le 16 novembre 2018

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