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Moyen Orient et Monde - Focus

Quel avenir réserve Assad à ces milices qui ne lui veulent pas que du bien ?

Aux côtés des forces étrangères alliées, les forces supplétives syriennes ont contribué à maintenir le régime syrien à flot.

Des forces prorégime dans la banlieue de Damas. Archives AFP

Elles ont été l’une des béquilles du régime tout au long de sa bataille pour la survie. Instrumentalisées par Damas, les milices syriennes pro-Assad ont navigué durant des années en eaux troubles, motivées par l’appât du gain et transies par une soif de pouvoir. Face à une armée dépouillée de ses forces, les nombreuses milices locales qui ont éclos au début de la révolution ont porté à bout de bras, aux côtés des milices étrangères soutenues par l’Iran, les plus grandes batailles contre l’opposition armée. Au début des manifestations en 2011, l’armée avoisinait les 250 000 soldats. Aujourd’hui, il est impossible d’en connaître le nombre exact. Si une offensive prochaine sur Idleb, dernier bastion des insurgés, venait à se confirmer, Damas aurait donc plus que jamais besoin de ces renforts. Mais alors que l’épilogue de la guerre est en train de s’écrire, comment l’État syrien chancelant compte-t-il gérer ses suppôts avant que leurs chefs ne se posent en seigneurs de guerre et ne s’octroient une partie du territoire ? En réalité, aucun chef de milice ne peut aujourd’hui se targuer de porter le titre de seigneur de guerre. Certes, la Syrie de Bachar el-Assad est un État failli. Certes, ses forces auxiliaires se déploient et ont pignon sur rue dans toutes les zones-clefs ramenées dans son giron. Mais au sein d’un pouvoir historiquement centralisé depuis plusieurs décennies, difficile de prétendre concurrencer Bachar el-Assad. Ils sont ses « rjal » avant tout, ses hommes, comme ils se plaisent à afficher parfois sur leurs 4x4 ou leurs bannières. Des hommes capables de tout, éparpillés aux quatre coins du territoire pour faire régner leur loi.

Si elles font partie du paysage baassiste depuis les années 80, notamment depuis la formation des « chabbiha », un gang loyaliste composé essentiellement d’alaouites destiné à faire taire toute dissidence (on leur doit le massacre des dizaines de milliers de Syriens à Hama en 1982), les milices ont rapidement pullulé en 2011. « Au tout début des manifestations, on craignait les miliciens car ils avaient l’art de se dissimuler parmi les manifestants. Dès que les soldats du régime arrivaient sur les lieux, les miliciens surgissaient et attrapaient des jeunes au hasard ou les frappaient avec des fils électriques. C’était vicieux comme méthode. Surtout à Alep », se souvient Rami, un activiste de la province éponyme, contacté via WhatsApp. À mesure que la révolution va s’armer, les milices vont accroître leur autorité et leur puissance, jusqu’à concurrencer parfois les prérogatives de l’État, notamment dans les régions phares du régime, comme Tartous, Lattaquié ou Homs. Quelques dizaines de milices, de tailles variables, ont combattu ou combattent encore aujourd’hui aux côtés de l’armée syrienne.La Force de défense nationale (FDN), groupe paramilitaire créé pour institutionnaliser des mouvements miliciens disparates, compte environ 90 000 combattants. « Beaucoup de jeunes se disent encore aujourd’hui que rejoindre une milice vaut mieux que de rentrer dans l’armée car ils seraient envoyés au front pour des cacahuètes. Ils font d’une pierre deux coups : ils échappent au service militaire et sont envoyés faire les plantons aux check-points, donc pas de risques », raconte Rami.


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Tout bénéfice
Au sein des milices, le recrutement est plus flexible : aucune limite d’âge, une rémunération plus conséquente et un enrôlement dans les communautés dites plus loyales. Ces critères rendront très certainement plus difficile une intégration au sein de l’armée régulière, d’autant que ces deux forces militaires n’ont pas la même façon de fonctionner ni la même discipline. Malgré les tentatives désespérées de Bachar el-Assad d’attirer les jeunes, le salaire de l’armée régulière est pour l’instant insuffisant pour attirer les miliciens par rapport aux gains de l’économie de guerre. Car sous le nez du régime, ces forces supplétives se sont rapidement enrichies en mangeant à tous les râteliers : financements extérieurs ou privés, sans compter les rackets, pillages, enlèvements avec rançons et autres…

« Un chabbiha de mon village nous racontait que c’était tout bénéfice pour eux. Quand ils parvenaient à capturer un village dissident, les miliciens volaient tout : vêtements, câbles électriques, volets, fenêtres, sans que personne au-dessus d’eux ne dise rien. C’est ce qu’il avait fait, lui, à Cheikh Najjar (zone industrielle à Alep), par exemple », confie Rami, qui a coupé les ponts avec l’homme en question. « Quand des habitants apprennent que les milices viennent dans leurs villes, ils ont deux choix : soit laisser leurs biens en sachant que les miliciens vont venir les voler, soit tout brûler afin d’éviter qu’ils ne tombent entre leurs mains », témoigne de son côté Ezra*, originaire de Lattaquié, qui rappelle que des milices ont commis de nombreuses exactions dans sa région.

« Il y a quelques années, lorsque Alep était scindée en deux (côté ouest loyaliste et côté est opposition), des chabbiha sont venus demander si la maison de ma grand-mère était inoccupée pour s’y installer. Ma mère est donc allée étendre de la lessive pour faire croire qu’elle était habitée », raconte Michel*, un habitant des quartiers chrétiens d’Alep. Au fil des ans, l’image des paramilitaires s’est dégradée auprès des populations progouvernementales. « Beaucoup de gens n’acceptent pas leur autorité. Quand ils nous arrêtent à un check-point, ils prennent tout ce qu’il nous reste sans que l’on puisse ouvrir la bouche ; la situation peut vite dégénérer si on refuse de se plier à leurs ordres », poursuit Ezra. « Ces milices sont contrôlées par l’État et nous ont protégés. Il n’y avait rien de volé quand ma grand-mère est revenue à Alep, après cinq années au Liban. Rien à voir avec les vols généralisés à Alep-Est aux mains des rebelles », nuance toutefois Michel.

En échange de leur loyauté au régime, ces noyaux de mercenaires ont réussi à amasser des fortunes à la faveur de la guerre. Mais alors qu’elle se termine, Bachar el-Assad n’a que peu de choix pour parvenir à tenir en laisse ces milices disparates. Les intégrer de force, à terme, au sein de l’armée, comme ce fut le cas de groupes opérant dans les zones rurales de Damas, invités à rejoindre la 101e brigade de la garde républicaine, en est un exemple. Cependant, cette réintégration pourrait recueillir un avis partagé de la part d’une partie de la population. « Cela pourrait consolider l’idée que l’armée et les services de l’ordre restent des corps qui terrorisent la société, qui l’écrasent et qui ne sont là aujourd’hui que parce que les Russes et les Iraniens les soutiennent », explique à L’Orient-Le Jour le politologue Ziad Majed. En 2013 déjà, un responsable du gouvernement syrien sous couvert d’anonymat confiait au Times ses craintes qu’« après cette crise », il y ait « un millier de crises supplémentaires, les chefs de milice ». « En l’espace de deux ans, ils sont passés de n’être personne à être quelqu’un avec du pouvoir et des armes. Comment pouvons-nous dire à ces chabbiha de redevenir personne ? » s’inquiétait-il alors. « Il va y avoir une compétition interne entres les services syriens pour avoir la plus grande influence sur les milices. Ainsi qu’une concurrence entre les Russes et les Iraniens pour savoir qui va contrôler celles-ci à son avantage. Aujourd’hui, le régime syrien est maintenu à flot par ces deux acteurs », analyse de son côté Joseph Bahout, chercheur au Carnegie et spécialiste du Moyen-Orient.


(Pour mémoire :  Les alliés d'Assad prônent le "nettoyage" d'Idleb)


Sentiment de superpuissance
En mars 2017, une enquête édifiante du Spiegel affichait la superpuissance des milices armées face à un Bachar el-Assad dépassé par la situation. L’un des personnages central de l’article, Mohammad Jaber, alors à la tête des Soukour al-sahra (les faucons du désert), l’une des formations les plus performantes militairement en Syrie, confiait au magazine allemand, tout en posant, ventripotent, en treillis kaki sur un canapé flamboyant, qu’une fois la guerre terminée, il rendrait les armes. Avant d’ajouter un peu plus loin au journaliste Fritz Schaap qu’il « pourrait contrôler plus de 60 % du pays » s’il « y était autorisé ». En août 2017, soit six mois après la parution du Spiegel, Soukour al-sahra est dissous et Mohammad Jaber envoyé en Russie. Une coïncidence ? « Il va y avoir des couacs, il va y avoir des éliminations. Il y a des chefs de guerre qui ne vont pas accepter de se soumettre facilement à la nouvelle autorité, qui vont renâcler », estime toutefois Joseph Bahout. L’une des figures emblématiques des forces paramilitaires est sans conteste Souheil al-Hassan, à la tête des Forces du tigre, « al-Nimr ». Adulé par les soutiens du régime, cet officier alaouite s’est forgé au fil des batailles une solide réputation de leader, n’hésitant pas à se poser en célébrité. « Tous les hommes meurent, seuls quelques-uns resteront dans les mémoires », aurait-il lancé à ses troupes durant la reprise de la zone industrielle d’Alep. Les milices et chefs de guerre qui ont des circuits de financements importants avec la Russie ou l’Iran vont avoir intérêt à utiliser leur position, leur charisme, leur poids militaire, pour négocier une place prépondérante au sein du régime tout en maintenant un lien privilégié avec leurs parrains. Décoré par Moscou de la plus haute distinction russe, il est en revanche raillé par les activistes de l’opposition qui lui ont attribué le surnom de « al-Nimr al-wardi », la panthère rose, des rumeurs sur sa mort et son remplacement par un sosie circulant même sur la toile. Même s’il semble être aujourd’hui dans les petits papiers des Russes, il est peu probable qu’il parvienne à se faire une place au soleil car personne ne doit faire de l’ombre à Bachar el-Assad. Certains chefs de guerre tentent en revanche de se faire une place au sein du Parlement syrien ou dans certains conseils locaux. C’est le cas notamment de Philippe Souleiman, ancien chef d’une milice chrétienne, Kouwat al-ghadab, a priori active jusqu’en 2017, qui chercherait à remporter des suffrages auprès de la population orthodoxe de Saqlibiyah, dans le nord-ouest de la province de Hama.

Les efforts de réintégration des milices sont en grande partie dirigés par les deux puissants alliés du régime, Moscou et Téhéran, ce dernier y trouvant ici un autre champ de rivalité. Au-delà de ses propres miliciens chiites de divers pays, l’Iran a un pied au sein de certaines milices comme les FDN, a qui il a pourvu durant des années un entraînement militaire ainsi que des financements. « Les tentatives de réintégration de la FDN dans l’armée vont permettre aux Iraniens d’avoir de l’influence dans le système étatique syrien », constate M. Bahout.

De son côté, la Russie a entraîné et équipé la police syrienne et le 5e corps de l’armée syrienne « qui est toujours théoriquement sous l’autorité du régime, mais qui en pratique est sous le contrôle effectif des Russes », affirme Joseph Bahout. « Pour Moscou, il y a une volonté d’intégrer ces milices au corps militaire graduellement tout en préservant l’appareil militaire, alors que les Iraniens veulent des alliés calqués sur le modèle irakien, une caricature du Hezbollah, mais dans le cas syrien, ce ne sont pas les mêmes conditions », développe Ziad Majed. Une course contre la montre pour le contrôle du pouvoir face à un président syrien spectateur. « Les Iraniens comme les Russes savent que l’armée du régime ne vaut rien et que Bachar est celui qui a vendu la Syrie pour rester dans son petit palais », conclut un activiste de l’opposition réfugié en Turquie.


*Les prénoms ont été changés.


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commentaires (3)

CE SONT LES BANDES DE LOUPS DU MAITRE. DES QU,IL EN A PLUS BESOIN IL S,EN DELIVRERAIT EN LES DEGAGEANT...

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 49, le 15 octobre 2018

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Commentaires (3)

  • CE SONT LES BANDES DE LOUPS DU MAITRE. DES QU,IL EN A PLUS BESOIN IL S,EN DELIVRERAIT EN LES DEGAGEANT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 49, le 15 octobre 2018

  • Arrêtons de lire ce genre de foutaise sans queue ni tête, parlons plutôt du ralliement des druzes du Golan qui manifestent tous les jours pour une alliance claire avec le héros syrien BASHAR EL Assad, depuis que les israéliens ont envoyé des "rebelles/terroristes wahabites" commettre un attentat suicide à Soueyda suivi d'enlèvements et demande de rançon auprès de ces mêmes druzes du golan occupé. POUR le reste la Syrie sera entièrement libérée par le heros Bashar et sera reconstruite sois sa gouvernance . Il ne sert à rien de chatouiller les moustaches du tigre .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 07, le 15 octobre 2018

  • Cet article pointé du doigt l’avenir proche de la Syrie . Ça n’est pas reluisant . Que vont devenir ces chefs de guerre ? Comment le « pouvoir » va t il reprendre le pouvoir une fois les russes et les iraniens partis?

    L’azuréen

    08 h 00, le 15 octobre 2018

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