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Les naufragés de l’oubli

On ne peut évidemment qu’applaudir au vote, intervenu lundi, d’un projet de loi faisant obligation à l’État de s’enquérir du sort des milliers de Libanais disparus, ces dernières décennies, en Syrie, ou dans notre pays même.

De fait, c’est bien un tonnerre d’applaudissements qui, au sein de l’hémicycle, a salué l’évènement. Aussi imméritée que bruyante était pourtant cette autosatisfaction que se sont décernée nombre de vétérans de l’Étoile. Honte en effet à un Parlement qui, sous ses diverses législatures, aura attendu des décennies avant de s’émouvoir de la question. Et re-honte à cette même institution pour avoir laissé macérer dans son jus, sept années durant, un texte finalement adopté sans plus de réexamen en commission.

Mieux vaut tard que jamais ? L’exploit des élus n’est qu’un premier pas dans ce qui pourrait s’avérer un véritable champ de mines. Les recherches ne ramèneront sans doute pas sur terre un seul de ces quelque 17 000 citoyens dont il ne reste nulle trace. Tout au plus permettront-elles peut-être un jour aux familles des disparus de faire leur deuil en redonnant à ces infortunés une identité juridique reconnue. Mais pour peu que ce sursaut de dignité parlementaire tienne la route, et que l’on arrive à déterrer ne serait-ce qu’une part de ces accablantes vérités, c’est le déshonneur qui en guette plus d’un, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.

C’est précisément pour cette raison que les sceptiques sont hélas nombreux. Déjà, plus d’une des milices locales qui s’affrontaient durant la guerre de quinze ans a fait connaître sa répugnance à voir rouvrir les sinistres placards à squelettes. Elles n’ont pas encore invoqué l’amnistie générale proclamée après la fin du conflit, mais comptez sur elles pour le faire au besoin. Quant aux disparus libanais en Syrie, ils ne sont qu’une goutte de sang dans la gigantesque mare que s’est employé à alimenter, en massacrant son propre peuple, le régime baassiste de Damas : hystérie meurtrière, profusion de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dont on n’est même pas encore certain qu’elles seront sanctionnées par la justice internationale.

Et ce n’est pas tout. On peut déjà douter de l’efficacité de cette instance spéciale dont la création est prévue par la nouvelle loi, et qui sera en charge du douloureux dossier. National par définition, cet organe devra forcément inclure des représentants des diverses forces politiques en lice : voilà qui, non moins inévitablement, le voue à de sempiternels débats, à la paralysie. C’est bien le lot de ces gouvernements de fausse unité dont s’obstine à s’encombrer l’establishment politique libanais, et dont la seule formation tient désormais du rébus, comme cela se passe en ce moment. Sous prétexte de fidélité à l’esprit du pacte national de 1943, c’est tout le jeu démocratique que l’on a éliminé du paysage étatique, ne laissant plus de place qu’aux appétits, exigences, blocages et chantages des acteurs qui s’agitent sur la scène.

Ce funeste sport national, Hassan Nasrallah, étalant avec insolence un nombre impressionnant de diktats, démontrait une fois de plus, samedi dernier, qu’il en est le champion incontesté. Empreinte tout à la fois de fermeté et de sens des responsabilités était en revanche la riposte, hier, du Premier ministre désigné Saad Hariri. Mais le pays, qui ploie sous la crise, est-il vraiment plus avancé pour autant ? Et si après le magnifique baroud d’honneur pour ces disparus émergeant d’un long oubli officiel, on s’occupait enfin des vivants ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

On ne peut évidemment qu’applaudir au vote, intervenu lundi, d’un projet de loi faisant obligation à l’État de s’enquérir du sort des milliers de Libanais disparus, ces dernières décennies, en Syrie, ou dans notre pays même. De fait, c’est bien un tonnerre d’applaudissements qui, au sein de l’hémicycle, a salué l’évènement. Aussi imméritée que bruyante...