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De sable et de vent

Les communistes n’ont rien inventé avec leur mirifique promesse de lendemains qui chantent, pourvu seulement qu’à force de patience et de sacrifices, on laisse le temps à la dictature du prolétariat de porter ses fruits. Depuis les temps immémoriaux, c’est bien en effet ce même et radieux avenir que les dirigeants font miroiter aux yeux de leurs administrés afin de leur faire oublier les dures vicissitudes du présent.


Ces lendemains poussant la chansonnette étaient bien présents, ces derniers jours, à la deuxième édition du forum international de Riyad, pourtant assombrie par l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Et s’il convient de s’y arrêter, c’est bien parce qu’on a là un cas unique de gâchis colossal pouvant résulter d’un télescopage entre grandioses projets et folles dérives du pouvoir, entre pénétrante vision économique et inimaginable cécité politique. On ne peut que s’émerveiller ainsi de l’audace de ce programme de développement parrainé par le prince héritier d’Arabie Mohammad ben Salmane visant à installer au pas de course son pays dans l’ère de l’après-pétrole. À en faire une irremplaçable destination d’affaires, un paradis pour les investisseurs du monde entier. À faire surgir sur le sable des ressources nouvelles avant même qu’il se soit épuisé à vomir, jour et nuit, ses prodigieuses coulées d’or noir.


Or le capital est poltron, comme on continue de l’enseigner en sciences économiques. De voir loin et juste ne suffit guère, dès lors, pour faire un promoteur crédible et fiable. C’est la sécurité de leur placement que recherchent en priorité les investisseurs. Ce qui leur tient à cœur aussi, c’est l’intégrité du gardien qui veille sur leurs fonds, son aptitude à inspirer confiance, à faire acte d’autorité, à appliquer les lois mais sans verser dans l’absolutisme et l’arbitraire. Le problème est que tous ces attributs de respectabilité ont été sérieusement malmenés par l’horrible meurtre commis en plein consulat d’Arabie à Istanbul : lequel n’est pas de nature à faire oublier la vaste entreprise d’extorsion qui, l’an dernier, avait visé des membres de la famille royale sous couvert de lutte contre la corruption.


La glaçante scène de condoléances royales réservée à la famille de Khashoggi n’était évidemment pas faite pour embellir l’image du prince. Idem pour son très singulier sens de l’humour qui l’a porté à évoquer, sur un ton insupportablement badin, la séquestration de Saad Hariri. Celui-ci (on compatit) n’a pu faire autrement que de se prêter au jeu. À l’exemple de son hôte, le Premier ministre désigné n’aura pas manqué, par ailleurs, de se plier au rituel des promesses : un nouveau gouvernement pour bientôt, des femmes et des technocrates parmi les ministres, un accord parfait entre les diverses fractions politiques sur les réformes exigées par les pays amis du Liban, et même une sainte détermination de tous à combattre le gaspillage et la corruption.


Avouez-le, vous n’en espériez pas tant. Mais comment diable imaginer un Davos du désert sans une belle collection de mirages plantés dans le décor ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Les communistes n’ont rien inventé avec leur mirifique promesse de lendemains qui chantent, pourvu seulement qu’à force de patience et de sacrifices, on laisse le temps à la dictature du prolétariat de porter ses fruits. Depuis les temps immémoriaux, c’est bien en effet ce même et radieux avenir que les dirigeants font miroiter aux yeux de leurs administrés afin de leur faire oublier...