Le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed al-Nahyane, et le président français, Emmanuel Macron, à l’Élysée le 21 juin 2017. Geoffroy Van der Hasselt/AFP/Getty Images
L’affaire Jamal Khashoggi a-t-elle eu raison de la rencontre entre Emmanuel Macron et Mohammad ben Zayed (MBZ) qui était prévue demain à Paris? Après s’être rendu il y a près d’un an aux Émirats arabes unis à l’occasion de l’ouverture du Louvre Abou Dhabi, le président français devait recevoir à son tour le prince héritier d’Abou Dhabi, pour un rendez-vous prévu de longue date. Mais à quelques jours de la rencontre, ce dernier a annulé sa visite « en raison d’un imprévu », a annoncé l’Élysée dans la soirée de vendredi, sans fournir d’informations supplémentaires. Selon une source française, les deux pays cherchent une nouvelle date pour organiser une autre rencontre, a rapporté l’AFP vendredi.
La décision d’Abou Dhabi s’inscrit dans un contexte agité pour Riyad, son allié le plus proche dans la région, qui se trouve au cœur d’un scandale politico-médiatique depuis deux semaines. Le royaume wahhabite est soupçonné d’avoir commandité l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Kashoggi, qui n’a plus donné signe de vie depuis son entrée dans le consulat saoudien à Istanbul le 2 octobre dernier. « Les imprévus de dernière minute évoqués par Paris justifiant le report de la visite du prince héritier d’Abou Dhabi révèlent le niveau de l’inquiétude dans la région » dans le cadre de cette affaire, estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) basé à Genève, contacté par L’Orient-Le Jour. « Les Émirats ont construit leur stratégie sur une convergence sans faille et une alliance entre Mohammad ben Zayed et Mohammad ben Salmane (le prince héritier saoudien) », souligne-t-il. Selon le spécialiste, « les signes de vulnérabilité manifestés par Riyad ne sont pas de nature à rassurer Abou Dhabi ».
Jour après jour, des éléments sur la disparition du journaliste sont distillés par différentes sources dans les médias, mettant Riyad un peu plus en porte-à-faux. Le président français, qui s’était d’abord fait prudent sur le dossier, a quant à lui déclaré vendredi que les faits sont « très graves » et qu’il « attend que la vérité et la clarté soient établies », lors d’un entretien accordé à France 24 et RFI.
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« Frilosité »
Remettre la rencontre à plus tard pourrait donc être un moyen pour les EAU de ne pas avoir à évoquer sur l’affaire, du moins officiellement. Selon M. Abidi, bien que la visite soit seulement reportée, son annulation est un « échec » qui « témoigne du niveau de la frilosité des États du Golfe et de leur rapport avec Paris et le monde ». Un élément qui semble s’ajouter aux points de divergence qui font déjà tache sur le tableau de la coopération entre les EAU et la France – participation émiratie au blocus contre le Qatar depuis plus d’un an ou encore engagement d’Abou Dhabi au sein de la coalition au Yémen menée conjointement avec Riyad – sans pour autant remettre fondamentalement en cause leurs liens stratégiques, économiques et militaires.
L’actuel dirigeant français semble tabler sur les EAU, contrairement à ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui avaient respectivement fait le choix de se tourner vers le Qatar et l’Arabie saoudite. À défaut de se rencontrer demain, Emmanuel Macron et MBZ ont tout de même « discuté, au cours d’un appel téléphonique, des moyens de renforcer la coopération et les liens d’amitié entre les deux pays », a rapporté samedi WAM, l’agence de presse officielle émiratie. « Les deux dirigeants ont réaffirmé leurs relations bilatérales solides et leur détermination à faire progresser la collaboration et l’action commune », a-t-elle indiqué avant de préciser qu’« un certain nombre de questions d’intérêt commun ont également été abordées par les deux parties ».
La veille de l’annulation de la visite, l’Élysée avait déjà indiqué que cette rencontre serait « l’occasion d’approfondir le partenariat stratégique entre nos deux pays, de renforcer la coopération bilatérale en matière politique, économique, culturelle et éducative, et d’évoquer les sujets régionaux avec l’objectif de travailler ensemble à la paix et la stabilité au Moyen-Orient et en Afrique ».
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commentaires (5)
- QU,EST-IL ADVENU DE KHASHOGGI ? - OU EST ADEL JUBEIR ?
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 48, le 15 octobre 2018