À 18 ans, Alceste Darazi est intelligente, enjouée, ambitieuse, sûre d’elle-même. Comme de nombreux jeunes de son âge, elle attendait la rentrée universitaire impatiemment. Pourtant, il y a seulement quelques semaines, son rêve d’intégrer la fac était impossible. Souffrant de dysphasie – un trouble structurel, primaire et durable de la parole –, le projet d’Alceste d’entrer à l’université butait sur les portes des établissements universitaires hermétiquement fermées devant les personnes ayant des besoins spécifiques. Une situation qui a changé grâce à la formation professionnelle inclusive offerte par l’Université pour tous de l’USJ (UPT) en collaboration avec l’association Include. Aujourd’hui, le rêve d’Alceste et d’une dizaine d’autres jeunes Libanais atteints de trisomie, de déficiences intellectuelles ou d’autres syndromes génétiques est devenu réalité. Une initiative qui aura un grand impact sur la vie des jeunes concernés et de leurs familles certes, mais également, à plus long terme, sur la société entière car une société inclusive qui ne met personne à l’écart est nécessairement une société plus riche, plus juste, plus productive. Le nouveau programme, destiné aux jeunes de 15 ans et plus présentant des besoins spécifiques, a été mis en place par l’association Include qui œuvre depuis sa création en 2010 à l’inclusion des personnes différemment capables dans la société. « Arrivés à un certain âge, le cheminement de ces jeunes plafonne à l’école, ils n’ont plus d’opportunités. Ils sont alors soit isolés, soit placés dans des centres spécialisés. L’objectif de ce programme est de donner aux jeunes qui ne peuvent pas intégrer l’université selon les critères universitaires, ni entrer dans les instituts techniques, l’opportunité de vivre l’expérience universitaire tout en les préparant dans un cadre académique à un métier pour devenir des agents productifs et indépendants au niveau social », explique Michèle Kosremelli Asmar, directrice de l’Institut supérieur de santé publique de l’USJ et présidente de l’association Include.
Levées de fonds
Le programme, conçu avec des orthopédagogues libanais, après une étude du marché, comprend 4 modules intégrant chacun un métier, la communication et la technologie, le développement personnel et la culture générale. La formation est étalée sur deux ans et répartie entre des cours et des stages d’insertion professionnelle encadrés par les formateurs. « Les étudiants découvriront ainsi les métiers de l’horticulture et l’art floral, l’art culinaire et l’hôtellerie, l’éducation physique et sportive ainsi que la peinture et l’illustration », indique Mme Asmar. Ils seront aussi formés aux réseaux sociaux, à la communication, à la technologie et l’organisation, mais également à la citoyenneté. Les étudiants apprendront également les attitudes professionnelles, comment gérer leurs relations interpersonnelles, à devenir plus autonomes, à prendre des initiatives. Tout ce qu’il faut pour faciliter leur intégration sur le marché du travail. Il est important de noter que le matériel et la langue d’enseignement sont adaptés au profil de chaque étudiant
Le coût de la formation est fixé à 9 600 dollars américains. La présidente de l’association Include précise : « Aucun jeune ne sera refusé pour des raisons financières. Include s’engage à faire des levées de fonds pour soutenir les familles. »
Pour une meilleure immersion dans la vie universitaire, les étudiants prendront part aux activités organisées au niveau de l’université. « Une telle formation construit chez les jeunes une image valorisante de leur personnalité, elle identifie leurs capacités, développe leurs compétences et leur créativité et, surtout, leur procure une insertion professionnelle convenable. Voilà pourquoi elle intègre des aspects à la fois théoriques, pratiques et sociaux », souligne Mme Asmar.
« Il est très éveillé »
L’enthousiasme des jeunes apprenants n’a d’égal que l’espoir de leurs parents de les voir finalement bénéficier de chances égales. « Lors de la rencontre d’information sur cette nouvelle formation organisée par l’USJ au mois de juin, ma fille s’est écriée : Je veux entrer à la fac et je veux pourvoir jeter mon chapeau de diplômée dans l’air », se souvient, émue, Lydia Achkar, la mère d’Alceste Darazi. Évoquant tous les bénéfices que sa fille unique pourrait obtenir de cette formation, elle insiste sur le droit de tout enfant à une éducation de qualité qui favorise un vrai développement de sa personnalité et un réel élargissement de ses horizons. « Il est important de traiter les jeunes aux besoins spécifiques pour ce qu’ils sont, des jeunes qui ont du potentiel, qui peuvent contribuer à la société et auxquels on doit absolument faire de la place », estime-t-elle.
Cette conviction est partagée par Zeina Jabbour, dont le fils, Charbel, 18 ans, atteint de trisomie 21, fait partie de la première promotion de la formation professionnelle inclusive de l’UPT. Avec des mots où transparaissent amour et fierté, Mme Jabbour confie : « Charbel me donne beaucoup. Il est très éveillé. L’essentiel pour moi est qu’il soit épanoui. Et qu’il devienne fonctionnel, autonome, indépendant. »
Tout aussi convaincue que les autres parents des opportunités que cette formation pourrait assurer à son enfant, Jane, dont le nom a été changé à sa demande, voit ce programme comme une passerelle vers la sphère professionnelle. « Les stages qu’il assure permettent aux jeunes d’avoir un premier contact avec le monde du travail », souligne-t-elle avant de demander à garder l’anonymat. Une preuve que le regard que porte notre société sur le handicap demeure lourd et pesant. D’où la nécessité de soutenir toute initiative qui nous pousse à interroger et à bousculer ce que nous appelons la normalité et à accepter la différence.
Pour en savoir plus sur la formation professionnelle inclusive de l’UPT et sur les activités de l’association Include, contacter le 70-387328 ou visiter le site www.includelebanon.org.
L’UPT, vingt ans au service de la culture et de la société