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Liban - La carte du tendre

Les chars d’antan du Petit Sérail

Chars Renault FT devant le Petit Sérail de Beyrouth. Photo collection Georges Boustany

Dans notre pays dont la richesse historique est aussi impressionnante que la dette publique, on préfère célébrer des fêtes religieuses, c’est moins clivant. Pourtant, les anniversaires et autres commémorations auraient dû se suivre à un rythme de plus en plus soutenu en cette année 2018 : alors que l’Occident s’apprête à commémorer le centenaire de l’armistice et la fin de la grande guerre, personne ne s’est avisé, chez nous, de se souvenir des cent ans de notre libération de quatre siècles de joug ottoman, le 1er octobre courant.

Il en est de même pour le 7, qui vient lui aussi de passer par pertes et profits. Et pourtant, il constitue une date capitale dans cette histoire libanaise du XXe siècle que l’on s’obstine à cacher à nos enfants : le 7 octobre 1918, en effet, débarquaient à Beyrouth les premiers marins français, prélude à l’établissement du mandat sur le Levant selon le partage prévu par l’accord de Sykes et Picot. Une opération qui devait mettre fin en catastrophe au « gouvernement arabe » de l’émir Fayçal. Celui-ci, qui venait de prendre Damas pour capitale, s’était empressé de lever le drapeau chérifien sur le Grand Sérail de Beyrouth le 6. Le 7 octobre 1918, l’union entre le Liban et la Syrie était définitivement enterrée.

Le cliché d’aujourd’hui est une illustration de ce qui allait devenir le mandat de la France sur le Levant. En effet, quoi de plus emblématique de cette puissance française que le célèbre char Renault FT qui avait fait son apparition dans les tranchées de la grande guerre au tournant de 1917? La présence de cinq de ces engins en pleine place des Martyrs, gardant comme des dogues le Petit Sérail pavoisé de drapeaux tricolores, en fait toute la rareté et tout le piquant.

Le Renault FT, considéré comme le « char de la victoire », était le premier blindé équipé d’une tourelle pivotante à 360 degrés : on imagine le fabuleux avantage stratégique. Ses énormes chenilles lui permirent de traverser les tranchées comme dans du beurre à température ambiante, brisant ainsi le terrible statu quo qui avait fait des millions de morts durant trois ans. Son côté primitif était souligné par l’absence d’équipements de communication interne. Ainsi, le chef de char donnait ses ordres au conducteur en appuyant des genoux sur ses épaules (droite, gauche) ou en tapant sur son casque (marche, arrêt) ! Si plus de 3 000 exemplaires furent produits durant les deux dernières années de guerre, on peut cerner la date approximative de sortie d’usine de nos Renault ici présents grâce à leurs tourelles : 1917. Ce sont donc pratiquement les tout premiers conçus par Louis Renault en personne. Cette prise de vue datant de la fin des années vingt, on en déduit que la France utilisait chez nous à cette époque-là des modèles assez anciens. Mais pas tant que ça finalement, puisque devenus ridiculement obsolètes, ils furent encore employés au début de la Seconde Guerre mondiale, au grand plaisir des vainqueurs allemands qui les confisquèrent comme de vulgaires souvenirs de guerre pour sabler leur revanche !

Mais revenons à Beyrouth. Voici probablement la photo d’un défilé du 14 juillet, que les Français organisaient chaque année en ville. Du Petit Sérail que l’on voit à l’arrière, ils avaient fait le centre du gouvernement libanais, quand leur haut-commissaire logeait au Grand Sérail. La République libanaise a été proclamée en 1926 ; du reste, son drapeau tricolore avec un cèdre dans la partie blanche orne les fenêtres. Au fond à droite, l’hôtel Royal que nous avons déjà visité, avec le café Arabi au premier, et au rez-de-chaussée les magasins Tamraz d’accessoires de voitures. La foule admire le défilé à partir des balcons.

Les militaires français ont le torse bombé et la tête ornée du fameux képi, pendant que déboule par la rue de la Bourse une « White 1918 », considérée comme la plus aboutie des automitrailleuses créées durant la guerre et largement utilisée dans les colonies.

Fierté française, tous ces véhicules blindés avaient coupé l’herbe sous le pied des Allemands, pourtant à la pointe de la technologie, qui n’avaient pas cru à leur efficacité. Ce n’est que dans l’entre-deux-guerres que ces derniers vont pousser leurs recherches dans le domaine, pour finalement permettre à leurs hordes de Panzers d’écraser l’armée française dans les Ardennes en 1940, dans un retournement que n’avait vu venir qu’une voix dans le désert : celle d’un certain Charles de Gaulle. Le Petit Sérail de Beyrouth, quant à lui, survivra à ses occupants encore quelques années, avant d’être détruit en 1950 pour élargir la place devant le Rivoli. De nos jours, on peut encore en apercevoir quelques pierres dans ce qui ressemble à une fosse commune : éloquente image de la fin des tutelles étrangères sur notre turbulent pays.


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Dans notre pays dont la richesse historique est aussi impressionnante que la dette publique, on préfère célébrer des fêtes religieuses, c’est moins clivant. Pourtant, les anniversaires et autres commémorations auraient dû se suivre à un rythme de plus en plus soutenu en cette année 2018 : alors que l’Occident s’apprête à commémorer le centenaire de l’armistice et la fin...

commentaires (5)

Je possède une photo datant de 1945-46 où je me tiens à côté d'une chenillette Renault, petit engin de ravitaillement au blindage léger non armé. Elle faisait partie des engins blindés de l'escadron GRML (Groupe de reconnaissance motorisée au Liban) formé de soldats Français et Libanais stationné dans la pinède de Kaslik jusqu'au 31/12/1946. La chenillette Renault pèse 2,5 tonnes tandis qu'un char allemand Panther pèse 45 tonnes. La différence de poids explique la débâcle de 1940.

Un Libanais

12 h 43, le 14 octobre 2018

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Commentaires (5)

  • Je possède une photo datant de 1945-46 où je me tiens à côté d'une chenillette Renault, petit engin de ravitaillement au blindage léger non armé. Elle faisait partie des engins blindés de l'escadron GRML (Groupe de reconnaissance motorisée au Liban) formé de soldats Français et Libanais stationné dans la pinède de Kaslik jusqu'au 31/12/1946. La chenillette Renault pèse 2,5 tonnes tandis qu'un char allemand Panther pèse 45 tonnes. La différence de poids explique la débâcle de 1940.

    Un Libanais

    12 h 43, le 14 octobre 2018

  • Ce n'est pas une belle photo car il s'agit d'un char, machine de guerre et de lutte ... Je pense qu'à Nahr El Kalb j'ai vu qu'il y a un stèle commémoratif pour ces évènements de 1918 ... En tous cas cette photo mérite une réflexion critique sur le rôle de la France au Liban et Moyen Orient ...

    Stes David

    11 h 04, le 14 octobre 2018

  • LES BEAUX JOURS ! S,ILS POUVAIENT REVENIR...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 06, le 14 octobre 2018

  • Très belle façon de remonter le temps. Merci beaucoup et surtout à Monsieur Georges Boustany car sa collection de photos ne cesse de nous émerveiller tout au long de l'année au fil des articles de lorient le jour. Sûrement un observateur de son temps et amoureux du Liban. Respects.

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 47, le 14 octobre 2018

  • Pour les Libanais qui travaillent chez Renault, ce char FT17 est le symbole de la victoire de 1918 - si tant est qu'on puisse parler de victoire, dans une guerre où il n'y eut que des vaincus. De le voir ici, sur la place des Canons, après 1926, est une émotion différente de celle que vous nous servez d'habitude, mais toujours de grande qualité. Vous avez le génie de trouver de grandes photos, uniques en leur genre. Bravo et merci.

    Aractingi Farid

    09 h 04, le 14 octobre 2018

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